Rendez-vous avec la lune.

La nuit prend petit à petit ses droits sur les terres. Ce qu’il est bon de voir les étoiles apparaître les unes après les autres. Elles se sont certainement passées le mot, toquant chacune à la porte de l’autre pour prévenir que le ciel avait déroulé son plus beau manteau noir. Je ne me rappelle pas avoir eu cette impression de calme depuis mon arrivée au-delà du domaine d’Initis. Si apaisant, si agréable. Je me balade, au grès de mes envies. Je suis victime de mon propre cœur : il décide pour moi, cela fait bien longtemps que ma tête n’est plus capable de pondérer mes choix. Je le laisse guider mes pas, ce cœur qui pleure malgré ce sourire accroché à mon visage.
Qu’importe où je vais après tout, qu’importe. Je me fous de tout. Ce soir, j’ai rendez-vous avec la lune.

Je continue de laisser vagabonder mes sentiments, craquant de ci pour une fleur qui commence à s’ouvrir, de là pour un lapin qui donne l’impression de courir après le temps. Je me prends l’envie de m’imaginer l’héroïne d’une histoire, pouvant envoyer des boules de feu sur les fessiers de monstres gigantesques et qui les atteindraient plus que superficiellement… Juste une envie… La réalité me rattrape vite quand je repense au temps que j’ai passé dans les souterrains de ce château, sans lumière, sans mes étoiles ; le temps que j’ai passé à essayer de transformer mes étincelles en boules de feu dignes de ce nom… plus d’espoir…
Qu’importe qui je suis après tout, qu’importe. Je me fous de tout. Ce soir, j’ai rendez-vous avec la lune.

Et puis, je raccroche ce sourire que j’avais laissé tomber l’espace d’une seconde, c’est qu’il faudrait donner l’impression d’être heureuse d’être ce que l’on est, sous peine d’être traitée de Caliméro - drôle d’insulte en soi -. Heureuse, je le suis ; du moins, je l’étais. J'ai choisi de mon plein gré de devenir sorcière, oui je l'ai choisi... J'ai rêvé de pouvoirs puissants... Je les ai rêvés... Maintenant mon rêve est presque devenu un cauchemar : je me bats plus contre moi même que contre ces plantes pourtant quasi sans défense ! Maintenant je rêve d'un susceptible ailleurs... Un ailleurs où je pourrais m'endormir calmement dans les bras de Morphée et me réveiller autrement... même si cela se paie d'une expérience totalement à refaire ! Je m'égare... Je ne devrais pas...
Qu’importe si je meurs après tout, qu’importe. Je me fous de tout. Ce soir, j’ai rendez-vous avec la lune.

J’arrête de pleurer, tout va s’arranger et s’arrange déjà… Je continue d’avancer, je continue d’écouter les bruits qui m’entourent, je continue d’aspirer la nature. Tout à coup, j’entends une sorte de grognement, et quelques rires ; j’aperçois quelques lumières un peu plus loin. Mon cœur a ses raisons que la raison ignore et ordonne à mes jambes de se diriger vers le campement. La curiosité permet parfois de raccourcir les trajets. Arrivée sur place, je me fais toute petite et observe les gais lurons s’agiter. Quelle troupe… spéciale ! Tiens, ce bonhomme de blanc vêtu, ce ne peut être que l’ensorceleur des mots… Et ce félys, foi de mes grandes oreilles, avait essayé de me faire les poches… J’observe leurs mises en scène et il arrive même que mon sourire reprenne la place qui lui est due. Je me penche un peu plus, espérant entrevoir d’autres personnes. Un peu plus, un peu plus, un peu plus… A peine ai-je le temps de me rendre compte que je m’accrochais à un miroir que je le fais tomber. Pas un mot de ma part. Ne pas se faire remarquer. Pas encore le moment.
Et puis, qu’importe si je me fais prendre après tout, qu’importe. Je me fous de tout. Ce soir, j’ai rendez-vous avec la lune.

Je m’amuse alors à interroger le miroir, moment de bonheur que celui de donner vie aux objets : « Miroir, mon beau miroir, dis moi que j’étincelle… ». J’imagine alors sa réponse, comme écho d’un autre temps, en prenant une voix plus grave : « Mademoiselle InLove, vous êtes celle qui étincelle mais les étoiles sont plus belles que vous ! ».
Les étoiles, la nuit, la lune… Stop. Je m’assieds et observe. C’est LE moment. Plus un mot. Plus un pleur. Plus un rire. La lune brille comme un diamant et c’est ce qui importe le plus. Ce soir, j’ai eu rendez-vous avec la lune.

(SOS d'une étoile en détresse.)

Seule, je me sens seule…

* Allongée sur l’herbe humide, InLove observe les étoiles qu’elle aime tant. Parfois, son bras se lève et entame une chorégraphie pour le moins étrange : son rêve de les rejoindre ne la quitte pas.*

Tellement de doutes, tellement…

* Une larme étincelante coule le long de sa joue.*

Mal, j’ai si mal…

* Ses pensées choquent et s’entre choquent.*

J’ai besoin de partager, il est bien là, en moi, et il me ronge, me dévore de l’intérieur. Il ne demande qu’à sortir, mais n’y arrive pas ; il ne demande qu’à sortir… Ce monstre est apparu là, sans un geste de ma part. Qui m’a lancé ce sortilège qui fait de moi la prisonnière de mes propres mots ? Qui ?
J’ai besoin de m’exprimer. Je les empêche de sortir, mais ça fait mal. Cette douleur sous la poitrine ne fait que grandir avec mon refus d’expulser mes mots… mes maux…
Rien ne me prédestinait à tout cela. Je me contentais, il y a encore quelques temps, de griffonner au gré de mes envies dans mon journal. Pour moi. Rien que pour moi. Et cette douleur qui est apparue. Mon journal ne me suffit plus. Est-ce que je suis punie par les dieux de tout vouloir garder pour moi ? Rien que pour moi.
J’ai besoin de communiquer, de chanter, de crier, de pleurer, de parler, d’hurler, d’écouter, de sangloter, de chuchoter, de raconter, de rire,…, mais j’ai surtout besoin de partager, j’ai besoin de vivre, d’exister…

* Elle jette un dernier coup d’œil aux étoiles et se retourne pour se mettre sur le ventre, la tête sur ses deux bras repliés.*

On me prendrait pour une folle si on m’entendait parler toute seule. Tant pis…
Les citoyens d’Ankh Morpok me prendraient pour une traîtresse s’ils m’entendaient espérer une compagnie plus attentive à la douceur et à la violence des mots. Tant pis…

Et si je ne devais pas prendre ces sensations comme un mal, mais comme un don ; si je devais voir en ce signe quelque chose de bénéfique… le partage ! Ce mot ne brille-t-il pas comme mes étoiles ?

Je me souviens d’une conversation, peu de temps avant que cette douleur n’apparaisse… Arlequin, ne serait-ce pas toi mon ensorceleur ? Ensorceleur malgré lui… Arlequin, à quoi cela sert il de donner goût aux gens de partager, à quoi cela sert il de permettre à nos papilles la découverte de ces saveurs, si on ne peut les partager avec nos proches…
Je me découvre de nouveaux intérêts, j’en deviendrais presque égoïste en voulant partager… Mais… Je ne sais plus… Je ne trouve plus les liens qui ont fait que je me sois approchée de la guilde des AM ; le joli ruban qui m’attache à eux est en train de céder… Retenez-moi…

Mes sentiments forment un gros nœud : je veux rester, mais mon cœur pense à un ailleurs. Qui saura renouer mon ruban ? Qui saura me faire écouter ses mots et écouter les miens… ? …