Escapade

Je cherchais un endroit de paix et de tranquillité. Je voulais faire connaissance avec Aelis, je voulais oublier la fin de la troupe des Ithryn Luin, je voulais revoir la vie heureux et ivre d’elle, pas d’alcool et de vin.

Marchant dans la nuit, sans trop savoir où je la conduisais, nous sommes arrivés près d’un lac aux eaux calmes.





Plus au fond, une chute d’eau magnifique renvoyait quelques houles fendre le calme de la surface du lac.

Je suivais ses pas sans trop prêter garde au chemin que nous suivions. Lui-même savait-il où il m’emmenait? Peu importe. Nous sommes arrivés. Ce lac, qui nous offre un décor digne des plus belles légendes, nous le confirme. Je ne connaissais pas cet endroit, j'avais pourtant bien visité le coin... Je me perds dans cette vision de paradis, visitant de l’esprit tous les arbres, plongeant dans les cascades, humant les fleurs.

Mon regard revient sur la cascade. Je tiens la main d’Arlequin plus fort encore, et le tire derrière moi. Je me mets à courir, sur la terre, puis dans l’eau. A bonne distance, je saute du haut de la cascade, entraînant l’aventurier involontaire avec moi. Un cri mêlé de plaisir, de frayeur, d’adrénaline et de frisson fait s’envoler quelques oiseaux. La chute paraît interminable. Pourtant, elle ne dure que quelques secondes. Mais des secondes d’une intensité extraordinaire.

Notre course aérienne finit en plongeon dans le lac, en contrebas. Je sais que mon visage présente un large sourire et des yeux pétillants. Mais pourquoi tenterais-je de cacher ce plaisir? Je me laisse flotter, dans ce lac, comme j’ai l’habitude de me laisser flotter dans la vie, portée par cette force mystérieuse.

Nos mains se sont abandonnées durant la chute. Je sens sa présence, il est là, tout près, tout va bien pour lui. J’imagine quels traits se sont dessinés sur son visage. Tantôt crispé, tantôt excité, je mime inconsciemment les mimiques qu’il a pu faire…

Et me voici trempé jusqu’aux os, barbotant et… elle est magnifique. Je reste sans voix, nageant derrière elle, je m’en approche doucement pour surgir hors de l’eau et rouspéter juste ce qu’il faut pour lui faire croire à une colère, sans trop l’effrayer…

Je m’éloigne d’elle, regagne une grève, là où j’ai pied. Je me débarrasse de mes vêtements en les jetant sur la terre, maudissant sans y croire le lac et son eau trop mouillante à mon goût.

Il fallait s’y attendre… Faire un tel saut et se faire accompagner par un téméraire involontaire comporte certains risques eu égard aux réactions dudit aventurier forcé. Il râle, sort de l’eau, marmonne quelques phrases inaudibles par mes oreilles emplies d’eau pure tout en ôtant ses vêtements. Tel un bébé loutre voulant échapper au regard de sa mère, je m’enfonce dans l’eau, pour n’avoir que mes yeux et mon nez à la surface, pour profiter de la scène. Quelques bulles viennent trahir ma bouche rieuse.

Je me décide à sortir de l’eau, ne sachant pas trop quoi dire à Arlequin pour qu’il vive cet instant comme je le ressens. Mais hors de l’eau, la petite fille laisse place à l’Amazone, à la séductrice. Je m’approche de lui, lui qui me tourne le dos. Je me tourne à mon tour, et m’adosse à lui. Seules mes ailes séparent nos chairs.

Cet endroit est magnifique, tu ne trouves pas? Idéal pour finir la nuit…

Le ton est suave, mêlé d'enfantillage. Dos à dos, il ne peut lire sur mon visage si cette proposition est innocente ou indécente. Les situations ambiguës sont celles que je maîtrise le mieux, et je m’amuse déjà de sa nature d’homme.

Je fais mine de continuer à râler, l’air de rien… mais du coin de l’œil, j’observe son petit manège… œil de lynx taquine à la surface de l’eau, ensuite vamp suave et alléchante à sa sortie du lac. Je lis dans son jeu comme dans un livre pour enfant, mais lorsqu’elle vient coller son dos nu contre le mien, l’histoire prend une autre tournure et le livre qui va s’écrire sous peu, ne sera certainement pas fait d’histoires à laisser entre toutes les mains…

L’eau a donné à sa peau, une texture toute particulière, fraîche et ferme, je peux sentir le grain de sa peau sur la mienne. Je ne suis pas fait de marbre et le désir qu’elle s’efforce de faire naître par son jeu, ne se fait pas attendre…
Mais j’aime à jouer aussi et c’est mon tour, elle n’a que trop jouer…

Je me retourne et gomme ce faux air renfrogné que j’affichais. J’arbore un sourire cette fois, franc comme un âne qui recule, mais un sourire quand même.
Je ne peux m’empêcher de la trouver belle, mais qui pourrait prétendre qu’une femme de cette stature laisse indifférent…

J’avance une main vers son visage d’ange taquin, je caresse sa joue et passe ma main derrière sa nuque, soulevant sa longue chevelure mouillée. Ma main glisse sur sa peau, le long de son bras pour rejoindre sa hanche et la pousser contre moi…
Mon autre main se pose sur son torse, effleurant son sein, puis s’en éloigne pour aller se poser sur sa hanche. J’enserre ses hanches, massant au passage sa chute de rein finement ciselée…

Brusquement, je me baisse et la fait bascule sur mon épaule, sans attendre une réaction, je la jète dans l’eau du lac dans un vacarme aquatique et fort amusant.

Je regarde la poule mouillée en riant, même si elle n’est pas farouche, même si je ne suis pas un saint, elle mérite ce bain forcé ne serait-ce que pour avoir abuser de ses charmes.

L’eau est-elle à votre goût, ma chère ?

Puis ravisant mon ton, parce qu’elle mérite certainement un meilleur rôle que celui du poisson…

Allons-nous jouer encore à ce jeu de taquins ou préférez-vous que nous fassions connaissance de manière plus sincère ?

Je le sens réagir. Des frissons incontenables se dispersent le long de son corps. Il se retourne, m’enserre. Enfin… ou déjà. Je suis perdue, comme à chaque fois que je ne tiens plus les rênes de l’animal fougueux que peut être le jeu de séduction. A son tour, ma peau se tend, mes muscles se crispent. Mes joues s’empourprent, pour donner encore un peu plus de relief à la situation, pour confirmer mon malaise à la faune ne percevant pas mon émoi.

Que fait-il? Pourquoi se baisse t’il de la sorte? Mais… Où m’emmène t’il???

Je n’ai pas le temps de poser la question. Je le regarde faire, muette comme une carpe. Et il relache le poisson à l'eau. Je me retrouve à nouveau dans le lac, tête en bas, après avoir fait le vol plus long que je n’ai jamais su faire avec mes propres ailes… Je me laisse remonter à la surface, sans lutter contre les lois de la nature. Pendant ce temps, je cherche sur l’image de son visage, imprimée dans mon esprit, un indice pour connaître la raison de son geste. M’a t’il projetée de la sorte par vengeance, ou souhaitait-il s’amuser lui aussi?

Le visage à nouveau à l’air libre, je l’entends me parler. Son ton ne me plait pas. Jouer, oui. Faire preuve de mesquinerie vis-à-vis d’une Amazone lorsqu’on est un mâle, non! Mes traits se radoucissent à sa dernière phrase.

D’un bond, je sors de l’eau, ramasse quelques grandes feuilles pour en faire une paillasse fraîche. De grosses fleurs, reliées entre elles par leur tige, cachent quelque peu ma féminité. Enfin prête, je l’invite à venir s’asseoir près de moi.

Il veut que nous fassions réellement connaissance? Soit, mais ce sera à lui de commencer. Une Amazone ne livre pas ses secrets si facilement… Mes yeux se perdent au fond des siens, cherchant ce qu’il n’a pas encore dit.

Amazone, tu joues encore ou bien allons-nous abattre nos jeux ? Les cartes vont-elles nous révéler nos secrets et parler en nos noms…

Quel tempérament… quelle beauté… curieux ses ailes. C’est étrange, jusque là je n’avais pas prêté attention à ses deux ailes, longues et fines, elles donnent à l’amazone une contenance… intéressante.

Je la contourne, l’observe, la toise d’un regard suspect… Je n’ai jamais rencontré d’amazone, peut-être devrais-je me méfier d’elle.

Un arbre, j’y grimpe lestement, une habitude, un temps pour l’errance, un moment d’oisiveté. Je suis perché sur la plus haute branche, mais aussi la plus robuste, à califourchon sur mon lit du moment, j’observe l’amazone, puis m’allonge sur le ventre au-dessus de la belle allumeuse.

La voir sous cet angle devient captivant…

Les masques vont tomber. Même si le jeu continue, car il ne cessera jamais, je sens bien que nous allons finir par nous dévoiler.

Quand il termine l’inspection de ma silhouette, il s’éloigne de quelques pas. Il grimpe à un arbre avec une agilité surprenante pour un humain de sa taille. Je le regarde s’installer, assis puis allongé, le menton posé sur ses mains superposées. Je m’étends sur ma couche feuillue, face vers les cieux. Je ramène mes bras sous ma tête, afin d’y donner une inclinaison favorable pour regarder celui qui tente de me dominer par l’altitude qu’il a prise.

Plusieurs minutes sans paroles s’écoulent. Mon regard cherche sur son visage les traits de sa personnalité. Comme moi, il semble savoir la garder secrète. Je m’imprègne de ses lignes, de son attitude, afin de déceler chaque battement de cils, rictus ou frisson qu’il laisserait s’échapper. Mon corps ondule par moment, pour écraser une feuille indocile, mais aussi pour provoquer une quelconque réaction chez celui qui m’observe.

Alors, qui commence?

Sourire espiègle, yeux rieurs mais regard mystérieux, je fends le silence de ces quelques mots. Je le connais comme étant un grand bavard, il finira bien par se livrer…

Aurais-je trouvé mon double… elle joue de la même manière que moi, les mêmes notes, les mêmes dièses, elle les joue en mesure et à ma mesure, pour un peu, j’en perdrai mon latin, mais elle ne connaît pas tous mes jeux, pas encore… elle est futée, maligne, espiègle et finalement charmante.

Je ne dis mot, je consens…

Mais l’impatience me gagne rapidement… mon esprit joueur aussi.

Je cueille quelques glands et m’amuse à les laisser tomber sur son ventre. Un à un, je vise le nombril…

Touché !

Un autre…

Coulé !

Pas besoin de parler. Je le comprends maintenant. Il commence un nouveau jeu. Un à un, il laisse tomber sur mon ventre les fruits du grand chêne sur lequel il est installé. Il cherche à remplir le petit creux de mon nombril… Jeu anodin et sensuel, je reste tout d’abord immobile, cible de ses gestes. Puis je replie mes jambes afin de pouvoir m’incliner pour rendre à mon ventre son petit orifice fermé lorsqu’un gland vient s’y loger.

Mes hanches se soulèvent, se balancent, comme pour se rapprocher de lui. Sa main se vide peu à peu de ses projectiles, qui n’atteignent plus très fréquemment leur cible depuis qu’elle est devenue mobile.

Je te croyais artiste… J’avoue être un peu déçu de l’utilisation que tu fais de tes mains!

Je me tourne, m’allongeant ainsi sur le ventre. Une main sous le menton, l’autre cherche quelques trésors dans la terre. Un large sourire vient remplacer le petit espiègle. Je me retourne, m’assois, puis trifouille un peu dans le creux formé par mes jambes et mon buste redressé. Je me laisse retomber allongée sur le dos, les bras et jambes en croix, laissant toujours mes dents luire sous la lumière de la lune.

C’est plus joli comme ça qu’avec un gland, non???

Dans mon nombril, une petite pierre translucide de mille couleurs. Et tout autour, quelles arabesques dessinées à la hâte avec un petit morceau de charbon de bois.

Elle gagne…

Il y a des jours où l’on se veut calme et raisonné, contemplatif et un peu narquois, rarement on se fait surprendre avec autant de virtuosité.
Je me redresse, me retourne et me suspend par les bras pour tomber en face d’elle.

Je m’agenouille, pose une main candide sur son ventre… menteur, oui sans doute. Mes doigts se délient et forme un personnage à deux jambes qui marche sur la peau tendre de Aélis.
Arrivé au nombril il s’empare de la pierre, la ramène à son maître qui la glisse dans sa poche.

Je sourie, lui prends la main pour l’inciter à s’asseoir en face de moi, cherche son regard pour le caresser d’un des miens, le plus subtil.

Involontairement, ou plutôt inconsciemment, je l’ai fait descendre de son perchoir. Il ballade ses doigts sur mon ventre, provocant une réaction intérieure que j’arrive tant bien que mal à dissimuler. Sa main se ferme sur mon trésor, qu’il loge dans sa poche.

J’accepte son invitation, tiens fermement sa main et me redresse. Nous sommes maintenant face à face. Je m’imagine que la brise est son souffle, que mes cheveux volent dans ses doigts ouverts. Ses yeux se font velours. S’il croit dompter une Amazone avec un peu de miel dans le regard et dans la voix… Mais laissons le croire.

Je veux qu’il se concentre sur mon visage. Yeux de biche, bouche entrouverte, tête légèrement inclinée sur le coté, telles sont les armes que je choisis pour cet instant. Quelques secondes, puis ma main lâche la sienne. Elle se plaque sur sa joue, puis s’éloigne en prenant soin de laisser le bout des doigts l’effleurer.

Aelis, Amazone et … voleuse!

Fière de mon tour de passe-passe, je tiens délicatement la petite pierre entre deux doigts. Elle se fait obstacle entre nos regards.

Amusant, amusé, je regarde la pierre qu’elle fait briller sous mon nez. Un rien vexé, un rien émoustillé par son jeu de scène tout destiné à tromper mon attention, par des lumières corporelles dont elle joue avec brio et regard auquel on ne peut échapper, pire encore, je pourrais y rester plongé des heures et des jours sans que le temps ne vienne m’embarrasser.

Hormis une petite soif de vin, l’instant est parfait.

Je lui sourie, béat mais pas stupide. Je toise un peu ses yeux pétillants, j’y cherche la faille…

Elle m’agace… nue et à croquer, difficile de trouver une réponse dans ses yeux ! Le désir est là, perturbateur, indicible et si tenace que j’en perds toute pensée logique et tout rationalisme passe par un nœud coulant qu’elle tient entre ses griffes, si bien tournés…

En réponse à sa duperie, je pose mes lèvres sur les siennes comme pour faire taire une éventuelle moquerie. Une main paillarde se pose sur sa cuisse et vient effleurer plus haut, juste en aval de son mont perturbant et révélateur de sa féminité…
Je retire mes lèvres apposées, je sourie.

Mon autre main tient en son creux, la petite pierre, enjeu d’un jeu de séduction infiniment redoutable.

Mais… Que fait-il? Son visage s’est approché si vite que je n’ai pu l’éviter. Ses lèvres se sont posées, un instant, sur les miennes. Je ne sais comment réagir. Je ne réagis pas. Je reste inerte, les yeux grands ouverts par la surprise. Quand sa main vient se loger sur ma cuisse, je ne peux m’empêcher de sursauter.

Il se décolle. Je vois son visage, et sens sa main qui devient exploratrice. Je retire vivement l’hasardeuse d’un revers appuyé, fronçant les sourcils pour m’opposer à son sourire. Comment ose t’il?

Je me relève, peste et jure, ne sachant moi-même lesquels de ces mots s’adressent à lui. Je ne le regarde pas. Je ne veux pas voir la satisfaction qu’il doit afficher, pour avoir franchi mes limites. Il se joue de moi, et il va le payer. Je brasse l’air, m’agitant pour évacuer cette colère qui m’assaille. Je ne sais même pas pourquoi je réagis ainsi… Son geste m’a t’il vraiment dérangé? Ou est-ce parce qu’il n’était pas de ma propre initiative?

La faille… elle n’était donc pas à chercher dans son regard.

Je devine ce qui anime sa stupeur, son désarroi me touche et je la rejoins d’un regard, d’une main qui saisie la sienne et l’enserre pour ne pas qu’elle s’éloigne.

Je l’attire vers moi, je ne la touche pas, je me contente de lui sourire, mais pas d’un de ceux qui moquent, mais un sourire simple, sans fioriture ni malice. J’ai compris.

Je ramasse ma chemise encore humide mais ça n’est pas important, pas là. Je la passe sur ses épaules et la referme sur sa virginité.

Baissant le regard, je change le ton d’un langage jusqu’ici, provocateur et joueur. Le jeu se termine par un « pardon » à peine prononcé à bout de lèvres. Un mot simple, parfois difficile à dire mais pas cette fois.

Un geste tendre, et toute ma colère s’envole. Son regard me fuit, sa chemise me couvre. Le ton de sa voix me rassure. Il ne s’essaiera plus à ce genre de chose. Pourtant, je n’ai pas envie que le jeu s’arrête. Pas comme ça. Fixant le sol, je cherche mes mots. Quelques secondes d’hésitation, et j’ose me jeter à l’eau.

Merci pour la chemise… Et… heu… Je veux bien réessayer ça, mais tu gardes tes mains dans tes poches!

Je sens que le ton n’est pas celui que j’avais désiré. Il ne reflète pas l’autorité forcée que je voulais y mettre, mais trahit la timidité enfantine qui m'envahit. J’ai quand même réussi à accompagner mes paroles d’un geste, caresse d’un doigt posé sur ses lèvres.

Le souffle court, les joues empourprées, je ferme les yeux et tends mes lèvres vers lui, attendant la suite…

Je vais la faire courte…

Aélis est repartie chez les amazones pour leur laisser une missive dans laquelle elle explique qu’elle part en expédition. Moi, je suis retourné au campement, j’ai changé de fringue et pris un canasson, non, pas boa.
Nous avons traversé les plaines et sommes arrivés dans un port bien malfamé et tout ça en une nuit et une journée !

Quel talent !

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