Une cachette pour Zhiôla

Il était tard quand ses pas la déposèrent aux abords d’une immense bâtisse… Une sorte de forteresse immense, dissimulée dans la pénombre.

Etrange…

Tout semblait s’être obscurci l’espace de quelques instants, alors qu’elle se remémorait encore le chant apaisant d’un ruisseau accompagnant le silence de la soirée. Comment était-elle parvenue à cet endroit ? Quel instinct l’avait encore attirée vers cette funeste contrée ? Le chemin semblait connu d’avance, mais les lieux, le paysage... Ces abords marécageux...

Une foule de sensations s’empara de son être. Une autre vie, un autre monde… Des rires en contrebas, des festins, des danses, des amours… Le bonheur, ou quelque chose qui s’y apparentait…

Non…

Un silence pesant, traître, un vent muet et froid, des gouttes visqueuses ruisselant le long de son corps… Un goût de dégoût profond l’envahissait alors qu’elle ne pouvait stopper sa marche mécanique, malsaine.

Une immense étendue d’eau plate et nauséabonde, sombre…. Aussi sombre que le spectre de l’énorme bâtisse qui la surplombait, poursuivant son visage de ses longues tours, l’effleurant comme pour s’en repaître… Elle avançait dans cette eau étrange : lourde, envoûtante presque…

Presque….

Elle s’arrêta et laissa ses sens envahir tout son être. Pas de vie…Si pourtant, au loin dirait-on une musique apaisante… Et ces rires, toujours les mêmes, imperceptibles,… Loin au devant ou loin en dessous ?
Immobile, aux aguets, elle s’interrogeait, anxieuse.. Cet endroit….

Pourtant, pourtant, pourtant ….
Mélancolie,machiavélisme…
Malsain, ce marécage était malsain…

Mais non … Vidant son esprit de toute sentiment humain, Zhiôla avança encore, résolue, posant une patte après l’autre dans cette eau stagnante et grouillante de mille sensations angoissantes.

Etait-elle angoissée ? Non. Oppressée… Oui, elle eut soudain l’impression d’avancer vers sa propre geôle… Peut-être était-ce cela ? La source de son malaise grandissant. Elle qui battait les sentiers, solitaire depuis si longtemps, dormant au gré du vent, mangeant au gré des autres, rêvant le jour aux étoiles que la nuit lui apporterait en songe… Jamais encore, elle ne s’était sentie envahie par de tels sentiments ambigus : glisser vers un autre elle-même, inexploré, vil, fétide, Non…

Zhiola ?!?...

Il fallait qu’elle s’arrête. Quelque part, n’importe où… Dormir… là, dans la cavité de cette roche dissimulée par les brumes mouvantes :









Peu importaient les rires lointains, ces étranges bruits séquestrés par la roche. Elle devait se reposer… Complaintes de victimes inachevées ou souvenirs lointains d’un passé inconnu… Questionnements saugrenus que quelqu’un s’empresserait sûrement de venir réveiller au cours d’une ronde ou de quelque équipée funeste.

Ce lieu n’était pas vierge de vie, ni exempt de propriétaires, ceux de la bâtisse certainement. Elle n’avait pas demandé la permission et on tâcherait sûrement de le lui signifier. Mais peu importait : le repos avant tout. Ce refuge improvisé allait l’abriter quelques temps.

Que faire du temps qui passe ? Une promenade, d’un déhanché plutôt satisfaisant, une balade sifflée sur le bout des lèvres, un œil oisif et percevérant pourtant, et me voici égaré dans ces marais puant la vase. Les lézards ont vraiment des goûts saugrenus et je leur laisse ces vases qui empestent les larves et la terre humide.

Et je m’enlise, et je marche le pas lourd et qui colle au sol boueux, et je finis par pester au lieu de chanter, par racler la terre plutôt que de la passer en pas de danse.

Ça pue, ça vase et ça colle !

On dira qu’il y a des jours ainsi faits, où chaque instant semble doué pour vous empêtrer, vous ennuyer, vous embarrasser, et pour gratiner le tout, vous salir les habits.
Et ce jour, il est ici, dans ce marais dégoulinant la sueur vaseuse, et surtout pas fait pour moi !

Un pas de plus et je vais me noyer dans l’eau de vase et boire une tasse d’empestasse ; quel déshonneur que de finir le cul dans la boue et la bouche remplie de vase, quand on aime que le vin et l’ivresse.

PLASHHHHHH

Ce qui devait arriver…

Bordel !

Je pue, je puasse et… mais qui ronfle ?

Euh… ça bouge ! ça crie en plus !

Mais…

Toi !!!

Je me débats avec la peau de lézard, ça glisse, ça râpe… Ah… moins là !

Oups… pardon, mes mains ont une tendance naturelle à trouver les choses de la vie, là où elles se trouvent et même dans les recoins les plus… les moins…

Elle n’a pas l’air de me reconnaître, pourtant…

Cette nuit-là, tu faisais moins la fine bouche !

Et je fais ce que je veux, et si j’ai envie de me promener dans ce territoire de boue, de vase, de… lézards, je le fais. Et si j’ai envie de salir mes habits, d’être couvert de boue puante de la tête aux pieds, je le fais !

Et si j’ai envie de tomber sur toi, je le fais, pas exprès, mais je le fais !

Je recule, me secoue… me gratte… et fini par m’asseoir en tailleur et face à Zhiôla.

Les insomnies, ça commence à bien faire… parce que y’en a marre de se taper de longue marche pour enfin tomber de sommeil dans un coin paumé même pas douillet. Ce soir, mes pas me mènent dans là où je ne vais que pour adoucir ma peau. La boue y est chaude, idéale. Par contre, pour l’odeur… Tiens, ça me fait penser que j’y traînerais bien Aénoria pour une petite lutte en petite tenue… enfin, ça, c’est mon fantasme à moi, je n’oserai certainement jamais lu en parler. Quoi que.

Un petit trou dans la roche. Je l’avais jamais remarqué. Normal, je suis jamais venue ici. Et… oui, j’entends des voix…

Qui? Qui me parle? Papa, c’est toi?

Non, ce n’est pas une voix céleste, ça vient juste du trou. Curiosité mal placée? Non, rôle de chef pris très au sérieux, j’entre dans la grotte.

Que vois-je? Arl, assis tout sage en tailleur Chanel devant une lézarde (non, pas la petite faille dans un mur, la femelle du lézard!).

Nomého! Ça va bien vous? Tranquille pépère on s’fait une bouffe? Ça va pas s’passer comme ça, c’est Aelis qui vous le dit!

Je le fusille du regard. Et je parle de moi à la troisième personne, ça donne encore plus de poids. Oh, oui, il l’a cherché, il va l’avoir sa scène de ménage.

Vous croyiez vraiment que j’allais laisser passer ça? Parce que non, je peux pas! Trop c’est trop! Y’en a vraiment, mais alors vraiment marre!

Je farfouille quelques secondes dans ma besace, et en sors un instrument.

Franchement! Vous voyez pas que c’est tout sale??? Et vous vous assoyez par terre…

Oui, à force d’entendre « Aelis, ménage », « Aélis, scène de ménage », il fallait s’y attendre, j’ai craqué. Alors je balaie.

La pulsion ménagère commence à s’estomper. Le mouvement du balai se fait moins incisif, le coup de poignet se ramollit.

Mais quoi qu’elle dit, l’écailleuse? Moi? Me cacher? Jamais! Je fais front, je fais face! Par contre, un petit dodo…

Alors je laisse tomber l’instrument, et je m’avance vers elle. Elle me propose un coin de sa paillasse pour m’asseoir, je m’y allonge. Tel un fœtus dans son œuf, je me recroqueville, me recouvrant simplement de mon bras.

Je vais me reposer, un peu. Fatiguée, très fatiguée…

Je fais mauvaise impression? Non, c’est impossible. Et puis même, je m’en balance. J’ai le droit, moi aussi, à un peu de repos réparateur. Je laisse mes paupières se fermer, et je pars à la rencontre de ses bébêtes étranges qui peuplent mes songes.