Visite féline

Parcourant les couloirs du château aux chandelles éteintes, je me glisse furtivement vers les innombrables chemins qui s'offrent à moi. Arrivée au premier étage, je passe devant plusieurs portes mais l'une d'elles attire particulièrement mon attention.

Cette odeur un peu forte d'animal... ça sent le centaure, mais ce n'est pas Boa, je connais bien son odeur. Je sens d'ici l'odeur d'une atmosphère chargée de souvenirs très forts. Je me méfie de ce que je vais trouver derrière cette porte. Je n'ai pas peur de la personne qui se trouve ici mais de ce qui habite ici risquerai de me communiquer malgré lui.

Je n'y tiens plus, la curiosité est bien plus forte. Prudemment mais sûrement, je pousse la porte et me glisse à l'intérieur. A l'évidence, ce n'est pas de lui qu'il s'agit mais d'elle. Cette odeur est plutôt féminine et la déco le confirme.

J'examine chaque objet scrupuleusement : une table de chevet, une coiffeuse avec une brosse à cheveux, elle doit être coquette, un pot de fleurs sur une table, quelques fruits et un portrait dans un petit cadre. Il y a aussi des tiroirs mais je devrais fermer la porte avant de m'aventurer dans ce qui ne me regarde pas. Le temps qu'elle l'ouvre pourrait être suffisant pour me préparer à dissimuler mon indiscrétion.

C’est une de ces journées qui rend maussade, une de celle où le soleil dit bonjour puis se ravise derrière une flopée de nuages… pas trop sombres, ni trop bas… juste ce voile gris assez épais pour envelopper le ciel.

Elle a encore rêvé cette nuit passée. Des visions terribles qui se répètent inlassablement, des souvenirs d’une vie antérieure qui la hante et la taquine quand elle daigne fermer les yeux.

Pas de repos pour les damnés. Jamais. Souviens-t’en… Ah oui je m’en souviens !

Alors elle s’est levée tôt ; ça ne lui est pas coutume mais elle ne peut tenir en place depuis quelques jours…

Ce ne sont pas les cauchemars, non… eux, ils ne m’ont jamais quittée depuis… ils sont mes compagnons de fortune, de mauvaise fortune.

Bien sûr, ça n’est plus pareil. Bien sûr, je n’erre plus dans les rues des villes ou dans quelques bois obscurs sans savoir où aller. Bien sûr, j’ai un chez moi à présent, un repère auquel me raccrocher. Bien sûr, le destin m’a apporté de nouveaux compagnons…

Mais ça n’est pas aussi simple.

Je pourrais tout aussi bien ne plus boire une goutte d’alcool, tout renier jusqu’à mon nom, faire pénitence mille fois… le passé me rattrape et me pourrit de l’intérieur comme une plaie béante toujours ravivée par ma mémoire, infectée par ma conscience…

Non, ça n’est pas si simple.

Les sabots martèlent le sol de la forteresse, résonnants et las, laissant derrière eux une traînée de flaques. Elle ruisselle de la bruine qui perle sur son poil fumant.

Rien. Pas un chat en ces lieux. Le bâtiment lui paraît déserté depuis quelques lunes.

Elle suit les marches de l’escalier central, puis le couloir qui mène à sa loge. Elle se sent si fatiguée, elle aimerait dormir mais elle craint bien plus son sommeil que la réalité…

Juste reprendre mon arc et repartir… une petite chasse ! Voilà ce qui me soulagera !

Elle aurait sans doute dû sentir la présence d’un intrus mais le fait est qu’elle n’avait pas l’odorat des félins...

La porte s’ouvre brusquement. Face à face.

J'entends des pas. Des sabots, apparemment. La démarche est lourde, un son qui pèse dans l'âme. J'en plisse les yeux puis me dépêche de refermer un tiroir à peine ouvert.

Ca approche de la porte. Le dos contre une commode, mes yeux de bête affolée cherchent une issue. Il y a une fenêtre, mais pas le temps. La poignée tourne et mon coeur me frappe dans ma poitrine. Je suis bloquée. Il y a le problème d'être découverte là où je ne devrais pas être, mais bien pire, ce pas lourd et traînant sa mélancolie dont la fatalité se rapproche de mon esprit. Une telle lassitude... Je sens comme un poids qui m'invite à m'accouder au meuble à cause de mes genoux qui plient. Rester debout, c'est important, même si sur le coup, je ne sais pas trop pourquoi.

La porte s'ouvre et une créature sur quatre sabots entre et se fixe devant moi. Elle est grande et a les cheveux cendrés. C'est son odeur que je reconnais comme celle de cet endroit.

Elle me fixe. Mon poil s'hérisse dans mon dos. Une goutte de sueur froide le long de mon oreille gauche et la queue entre les jambes trahissent mon anxiété. Je ne ressens plus la lassitude. Cet allègement permet d'oser un sourire qui se veut amical mais qui est biaisé de confusion. J'ose espérer qu'elle ne me voit pas vraiment.

Un regard fuyant, un regard de félin, un regard gêné, un regard inquiet.

Je n’avais pas senti sa présence, trop de pensées obscures m’embuaient l’esprit et anesthésiaient mon intuition animale, mais elle est bien là. A la seconde où j’ouvre la porte, mes yeux se posent sur elle, sur sa silhouette gracieuse et gracile à la fois, comme posée contre une large commode en bois. Position délicate, ses genoux sont pliés, son sourire invite aux présentations mais son regard cherche la sortie de secours.

Je reste figée sur elle, sans bouger un cil, la respiration retenue. Combien de temps ? Une minute, deux peut-être ? Ca semble long mais j’ose à peine reprendre mon souffle, je crains qu’il n’emporte au passage cette créature à l’aspect si fragile devant moi.

Je ne sais ce qui me retient. En d’autres circonstances, en d’autres lieux, en d’autres compagnies, je me serai jetée sur mon arc, à deux pas de moi ou j’aurai préféré la lame affûtée pénétrant la chair comme du beurre, mais j’en suis incapable, ou plutôt je ne veux pas, quelque chose au fond de moi m’en empêche. Ca n’est pas la peur face à un ennemi surpuissant, cela n’a jamais retenu mes coups, ni une marque de respect, je suis incapable de ce sentiment.

Le fait est que je ne peux croire un seul instant que l’inconnue soit étrangère à ces murs… Qui oserait pénétrer la forteresse et s’inviter ainsi dans les parties privées ? Il faudrait un sacré culot, du talent sans doute et compter sur la chance de bien tomber. Ceux que je croise tombe souvent mal.

Mais alors… si elle n’est pas étrangère… elle est…

Et à mesure que le raisonnement se construit, un sourire grandissant s’esquisse sur mon visage.

Elle est… elle est Ithryn !

Rien d’étonnant à ne pas la reconnaître. J’ai croisé quelques uns de mes frères d’arme, ici ou ailleurs, entre deux tonnelets de bière dans une auberge ou dans le tumulte de batailles ensanglantées, mais pas tous… mais pas elle. Et puis mon caractère solitaire n’a rien arrangé aux choses. Et puis j’ai appris, avec le temps passé ici, que la forteresse est habitée de nombreux fantômes dont la mémoire nostalgique transpire à travers les murs mais qui montrent rarement leur présence…

Rien d’étonnant certes, mais intrigant à souhait.

Je n’avance pas. Je ne veux pas l‘effrayer. Sait-elle qui je suis ? Je continue à bloquer la porte, je ne veux pas qu’elle parte. Je souffre de l’absence des autres et mon humeur est maussade alors pas question de manquer cette rencontre.

Immobile. La scène est absolument figée. Figée, oui, mais seulement de l'extérieur. Tous mes sens en alerte, je tente d'analyser la situation.

Elle a l'air... étonné. Il serait facile de lire dans ses pensées pour savoir quelles questions elle se pose. Mais ce serait franchement indiscret, beaucoup plus que de fouiller ses tiroirs. Ce serait peut-être le moyen de sauver ma peau, mais je ne sens pas d'hostilité... non... je crois juste qu'elle réfléchit... mais à quoi ?

Mon côté le plus grégaire me dit " FUIS ! Elle est en train de penser à la façon dont elle va te cuisiner ! ". Mais non ! C'est vraiment improbable, comme quand un enfant regarde une ombre dans sa chambre et imagine toute sorte de monstres. Pourtant, elle a une légère odeur de sang.

Non, je ne crois pas qu'elle ait faim. Et même si c'était le cas, ça ne voudrait pas dire qu'elle mange du félys à tous ses repas ! A quoi pense-t-elle ?

J'hésite un instant à profaner son âme et puis voilà qu'elle sourit... de plus en plus. Elle me semble d'abord attendrie (comme tout le monde avec les petits chats ) puis heureuse. Je la sens me caresser de ses espoirs.
Mais elle ne bouge pas d'un crin.

De mes grands yeux ronds et bleus comme des perles de saphir, je l'observe, une oreille penchée sur le côté (ça m'arrive souvent quand je ne comprend pas).

Elle est posée là devant la porte... il me semble même qu'elle est la porte. Toute mon attention portée sur son attitude, je peux voir que ses muscles tendus sont comme prêts à intercepter... oui, "intercepter", je pense que c'est bien le mot. Elle n'a visiblement pas de mauvaises intentions mais ce regard fasciné m'indique qu'elle ne me laissera pas sortir comme ça. Elle me rapelle mon enfance, quand j'apprivoisais de jeunes blobs un peu sauvages, dans la ferme de ma mère. Je m'approchais tout en douceur puis m'arrangeais pour que le blob ne puisse pas m'esquiver (ça court pas vite un blob adulte - d'ailleurs ça court pas vraiment - mais les petits sont plus vifs). J'ai l'impression que là, c'est pareil, sauf que c'est moi qui suis à la place du blob. Veut-elle m'apprivoiser ?

Je pourrais facilement sauter vers la fenêtre pour m'enfuir mais je ressens sa peine quand je regarde dans cette direction. Plus que de la peine, c'est de la panique. Elle ne le ressent sûrement pas comme ça ou elle ne s'en rend pas compte mais il est normal de ne pas s'attarder sur sa peine quand elle est grande et quotidienne.
Pour elle c'est trois fois rien mais moi ça me fait mal. Pas très mal, j'ai vu pire mais ça me retient ici.

Je sais comment alléger cette tension et ne garder que son émerveillement. Alors finalement, laissant mes craintes de côté et croyant aveuglément que ça va aller, je m'assois par terre et soupire d'aise.

Les oreilles tombant mollement, presque à l'horizontale, de chaque côté de ma tête, je m'abandonne et relève les yeux vers les siens.
Pas un mot, mais seulement un regard qui dit " OK, tu peux rester calme. Je ne partirais pas. J'ai tout mon temps. Je le donne pour toi." (et oui, on peut dire tout ça avec les yeux et même plus pourvu que l'autre sache lire ce langage universel)

Ses grands yeux ronds fixent mes quatre sabots sur place, à coup de marteau, leurs iris saphir me mettent quelque peu mal à l’aise alors je détourne le regard à mon tour. C’est comme au jeu du chat et de la souris… je ne peux m’empêcher de l’ausculter mais dès que nos yeux se croisent, les miens disent au revoir. Comme il en faut peu pour déstabiliser la bête imposante que je suis.

Encore et encore. J’essaie de me donner un peu de contenance en redressant les épaules mais le silence lourd qui a envahit la pièce, les fait plier comme un parchemin. Je n’y tiens plus. J’ai tant de questions, je suis envahie de curiosité. Elle est Ithryn ! Je le sais, je le sens ! Elle vit ici, j’en suis sure, j’y mettrai ma tête à couper, elle ne vaut pas cher mais je ne détiens aucune autre possession. Tenaillée entre l’appréhension et mon indiscrétion, mes lèvres s’ouvrent puis se ravisent, disent oui, répondent non, exigent, refusent.

Il est rare de me trouver dans un tel état de gêne et d’indécision, l’arrogance ou l’ivresse me sont bien plus familières. Je n’ai pas pour habitude de redouter quelconque situation, j’ose interpeller de grands guerriers, daigne sans hésitation les convoquer en duel sachant l’issue fatale, je traîne ma carcasse dans les tripots les plus mal famés de ces terres, préférant les ruelles sombres aux lumières des larges allées, ne craignant rien, puisque même la mort soulage mes maux.

Mais c’est différent ici. C’est différent devant elle. Car son cœur résonne du même son que le mien. Car elle est ma famille. Car je suis la sienne.

Alors il n’y a ni armure ni fierté entre nous. Juste cette distance. Quoi ? Un mètre ? Deux ? Je la sens si proche, physiquement et de par son esprit. Elle lit en moi et je n’ai rien à lui cacher…

Elle ne doit pas même connaître mon nom… J’ignore le sien… Voyons voyons… Réfléchis… J’ai entendu tant de noms prononcés en ces lieux… et vu si peu… peut-être ai-je déjà entendu le sien ?

Voyons voir… il y a Aelis, celle qui m’a accueillie… Arlequin ensuite, trop occupé à lire New Look et à se saouler… puis ce fut la Divine bien sûr… Ah elle m’a foutue une frousse elle, à se balancer du haut de cette passerelle ! La petite Chimeric avec qui je me suis disputée dès mon arrivée… Shery la puce qui aime venir me réveiller… Rowena, ma fille adoptive… tiens, ça fait longtemps que je l’ai pas vue celle-là… faudra que j’pense à aller vérifier si Yrrch la paye bien… Qui d’autre ? Zhiôla qui file plus vite que son ombre et Pandora qui n’apprécie pas mes talents d’archère ! Oui… bon d’accord… surtout sa fesse droite… détail ! Haéno, aperçu à l’auberge, entre deux tonnelets… lui, pas moi ! Rhooo et… et… celui dont on ne prononce pas le nom dans cette enceinte, celui que je n’ai encore jamais croisé si ce n’est dans le feu d’une guerre mais je prends soin alors de ne pas attirer son attention, me faisant discrète, l’échine parcourue de frissons. Rares sont ceux qui m’inspirent une telle crainte, mais lui… lui… il faut voir les oreilles qu’il se tape !

Rien à faire !

Je ne vois pas ! Ca m’énerve mais je ne vois pas… impossible de me rappeler son nom… AH ! CANNIBAL ?! Non… nan c’est pas ça…

Je donne ma langue au chat et ma foi, je ne lui donne pas que ça. Je m’avance de quelques pas, rompant le no man’s land qui s’est installé entre nous. Mes lèvres s’ouvrent et cette fois ne se font pas muettes.

« Mon nom est Aim,

Installe toi, tu es ici chez toi. C’est un plaisir de faire ta connaissance. »

Elle me regarde puis tourne les yeux. Elle y revient puis elle repart. Elle hésite. Ma soudaine assurance a dû la mettre mal à l'aise. Pourtant, la ptite bête ne risque pas de manger la grosse. Je ne lui porte pourtant pas un oeil agressif, ni réprobateur, ni insolent, ni même soupçonneux. Non, juste le regard que l'on pourrait tenir pour rassurer un enfant inquiet. Elle n'a sûrement pas l'habitude d'être maternée, pas étonnant alors qu'elle ne comprenne pas.

Elle voudrait me parler mais il faut croire que ma posture lui coupe le sifflet. Je peux percevoir de petites contractions au niveau des sourcils et ses yeux se promènent vers le vide, puis vers le haut, puis droit devant elle, puis ça repart. C'est clair, elle fait des efforts, elle cherche. Mais quoi ? Sans doute quelque chose dans sa mémoire. Qu'est-ce qu'elle a bien pu oublier et qui lui tient autant à coeur ?

Enfin, le bruit de ses intentions est troublé par le bruit du son de sa voix. J'en avais oublié que c'était silencieux.

« Mon nom est Aim,

Installe toi, tu es ici chez toi. C’est un plaisir de faire ta connaissance. »

D'abord un sursaut, des oreilles surprises par la rupture de silence, puis un sourire pour approuver ce premier pas en avant. Je dissimule un léger soupir de soulagement (c'est que c'était assez tendu comme situation) et je me lève pour aller m'asseoir sur le lit bien plus confortable que le plancher.

-Moi c'est Miw. Je suis ravie aussi.

"Tu es ici chez toi" ? C'est bien ce qu'elle a dit ? Mais elle est sérieuse ? Jusqu'à quel point ? Ce n'est pas chez moi puisque c'est chez elle ! Nan ? A moi ? Ca ?

J'examine la pièce du sol au plafond et de la commode au lit. Je palpe un peu l'oreiller un peu comme pour me l'approprier. Le meilleur meuble, dans une chambre, c'est toujours l'oreiller. Celui-ci est grand et moelleux. Je m'assois en tailleur dessus, à un bout du lit pour l'inviter à me rejoindre sur la place que je lui laisse. Mais il me vient alors une question :

-Est-ce que ça s'assoit, un centaure ?

Une question naïve et enfantine. Ca ne mange pas de pain. En fait, je ne trouve pas grand chose à lui dire. Je pourrais m'excuser de mettre introduite chez elle sans lui demander son avis mais il ne vaut mieux pas rappeler une faute déjà oubliée. Et puis, ça n'a pas l'air de lui déplaire.

Maintenant que j'y pense, je me demande vraiment comment peuvent s'asseoir les centaures. Un problème qui me fait presque loucher. Et puis, à quoi ça pourrait bien leur servir, de poser leur croupe ?

D’un bond agile et maîtrisé, elle se pose sur le grand lit d’ébène qui orne la partie éclairée de la loge. Le soleil de fin d’après midi, encore chaud et rayonnant, s’invite lui aussi chez la centaure ; placé en dessous d’une large lucarne, le lit devient terre d’accueil de rayons dorés qui recouvrent les poils de la félys d’une parure dorée mouvante sous le rythme de sa respiration.

La centaure se tient là. A quelques pas. Les rayons ensoleillés sont à sa portée, le lit aussi. Et même si c’est l’obscurité qui la berce finalement, son humeur s’embellit, les idées noires s’évaporent.

Arf ! Bah quand on lui dit de se mettre à l’aise, elle le fait vraiment au moins ! J’aime bien ça… les séances interminables de courbettes et de présentation ne sont pas à mon goût et hors de question ici ! On va plutôt s’descendre un ou deux tonnelets que j’ai en réserve par là… ça m’fera pas d’mal !

Bah… qu’est-ce qu’il lui prend ? Pourquoi qu’elle miaule comme ça ?

Aaaahhhh… Elle essaie de me dire comment elle s’appelle en fait ! Hé hé… Miw ?! C’est un joli nom ça ! Ca miaule mais c’est mignon…

Essayant vainement de prononcer à son tour l’imprononçable, ses lèvres se lancent dans un ballet muet mais au combien vivant. Jouant de sa langue, de la position de la mâchoire, de l’entrebâillement des lèvres… grandes et ouvertes d’abord puis pincées et fermées ensuite… rien à faire ! Le son n’est pas le même…

« Mieeeww… nan… Mioouuuiii… raaa NAN ! Miaouu… mouais… enfin enchantée quoi ! »

J’ferai mieux de me concentrer sur ce qu’chai prononcer moi ! Se dit-elle, direction sa réserve personnelle de tonnelets…

"Est-ce que ça s'assoit, un centaure ?"

Un sourcil levé, l’autre froncé… un éclat de rire s’échappe de sa gorge…

« Hé hé ! En voilà une question ! Pardi, oui les centaures peuvent s’asseoir !

Mais peut-être pas comme tu l'entends…

Certes, il m’est impossible, même avec l’agilité des dieux, de croiser à ton image mes pattes et de m’asseoir comme tu le fais sur ce lit… d’ailleurs, ce lit n’existe que pour mes hôtes… non centaures… je n’y prends jamais repos.

Je te le dis… l’or du monde pour de la paille fraîche et chaude ! »

Alors qu’elle prononce ces mots, elle s’écarte un peu plus du lit et de la lumière pour un recoin de la loge, un recoin où l’on distingue avec peine une grande motte de paille, aussi dorée que le soleil, un recoin qui cache une demi douzaine de fûts d’alcool, de quoi assurer plusieurs dizaines de litres.

Elle se tourne vers Miw, la fixe des yeux, lève ses deux bras à l’horizontale et dans l’alignement de son corps, comme si elle était sur le point d’exécuter un numéro de claquettes et laisse sa croupe s’affaler sur la paille, abaissant ses pattes arrière. Pattes avant légèrement repliées, dos droit, sa moitié humaine se trouve comme assise sur sa moitié bestiale, elle domine.

« Me voilà assise ! Satisfaite ? Hé hé… tu préfères le vin ou la bière ?

Alors dis moi Miw… qu’est-ce qui t’amène ici ? »

Les yeux exorbités, je regarde la bête se lever sur sa croupe. Avec ses parties animales et humaines et ses deux bras écartés, on dirait un totem. C'est en équilibre ou c'est stable ? Je me demande si ça lui fait mal à la croupe.

-Euh... je veux bien de la bière, s'il te plaît.

Tous ses maux semblent s'être envolés. Je respire et souris de la voir à l'aise. Elle peut écorcher mon nom autant qu'elle le veut si c'est pour chasser sa peine.

"Alors dis moi Miw… qu’est-ce qui t’amène ici ? "

Elle a réussi à dire mon nom ? C'est pas plus mal.
Me rapprochant pour mieux voir les fûts, j'explique brièvement et d'un air évasif :

-Je visitais. Maintenant que je connais mon grenier par coeur...

Je ne suis pas arrivée aux fûts que la paille me fait de l'oeil. Ce gros tas doré est vraiment tentant. Ca sent bon. Debout droite devant la paille, j'analyse, je calcule le bon angle, j'évalue la distance et... plouf, je plonge dedans ne laissant apparaître à la surface qu'une petite motte quasi immobile, comme une taupinière. Puis je fais des remous en me calant en boule dans la masse chaude et sèche. Ce serait un bon endroit pour faire la sieste, à condition qu'elle ne s'y assoit pas par surprise.

Je me décide finalement à donner signe de vie en remontant m'accouder à la surface.

« De la bière ! A la bonne heure !

On part sur de bonnes bases Miw, le sais-tu ?… Car même si le breuvage couleur or me sied bien au palais, je n’ai jamais pu résister bien longtemps devant une barrique pleine de vin… ahhh le vin… Miw, c’est mon meilleur allié… le pire aussi… »

Ces derniers mots s’étouffent entre deux gorgées, alors qu’elle porte le goulot d’une bouteille de vin rouge à ses lèvres ; une goutte s’échappe et vient s’échouer au creux de sa fourchette sternale, suivie d’une autre puis d’une autre encore.

« Je visitais. Maintenant que je connais mon grenier par coeur... »

Libérant la bouteille à moitié vide dans un soupir de contentement, elle attrape un petit fût de bière qu’elle pose sur la paille, à l’attention de sa féline invitée.

« AhahAahahh… il est bon celui là… vient de la capitale, c’est sûr… » Marmonne-t-elle…

« Un grenier dis-tu ? Tiens tiens tiens… hé hé… alors je comprends mieux ! La forteresse a beau être grande, les vieux murs parlent tout seuls…

Il me semble bien avoir été réveillée une ou deux fois par quelconques bruits inopportuns… à vrai dire… je pensais d’abord qu’il s’agissait de moi… enfin… de mes cauchemars… j’en fais beaucoup… puis j’ai songé à Arlequin et à ses folles nuits, là haut, dans sa cage dorée et inaccessible qui surplombe le bâtiment…

… mais je sais d’où venaient ces bruits sourds maintenant ! C’était toi… hé hé… J’aurai aimé te rendre visite mais ma taille me l’interdit. Je défis un centaure d’emprunter les escaliers en colimaçon ! J’ai déjà bien assez de mal avec ceux qui m’amènent ici et pourtant ils sont larges…

… A-t-on idée de s’installer dans des appartements quand on est centaure… rôdeuse qui plus est… parfois j’me dis que je serais mieux dehors, à dormir à la belle étoile… »

Et alors qu’elle parle sans discontinu, elle réalise que Miw a littéralement disparu de la pièce.

« Gné ? Euhhhh… mmmm… Miw ?.... Wouhouoouu… Miiiiiww ??!...

AH ! Ca bouge par là ! »

La paille remue, émerge une petite tête, couronnée de brins de paille.

« Hé hé… c’est agréable hein ?!... Tiens, sers toi… la bière est fraîche…

… Alors Miw… parle moi de toi. »

-... De moi ?

Je suis un peu timide et je ne pensais pas qu'on pouvait vraiment s'intéresser à moi au premier regard. Je bois quelques lampées de bière, le temps de savoir ce que je vais bien pouvoir lui raconter.

Elle dit que je fais du bruit ? Bizarre, moi même je n'entends que rarement mes propres pas. Est-ce que j'arrive à faire du boucan pendant que je dors ? Et si ce n'était pas moi ? Si c'était... Je pâlis à cette idée. Avalant bruyamment une gorgée qui me reste en travers, je prie pour que ce ne soit pas Liûie. Il s'est déjà manifesté dans le monde réel alors que j'étais quasiment inconsciente. J'espère qu'il ne profite pas de mon sommeil, il est dangereux... Je dois dire quelque chose, ne pas l'inquiéter, couper le silence et rester calme.

- Je... ben je vis au grenier en général, je ne descends que pour trouver à manger et prendre un peu l'air. Je suis très casanière et je n'aime pas la foule...

... Mais je suis contente de t'avoir rencontrée. La solitude, ça pèse un peu.

Je la regarde, dégoulinante de vin. Pourquoi elle ne fait pas sa toilette ? Elle n'est peut-être pas assez souple. Je voudrais bien l'aider mais je crois que ça ne se fait pas. Ces gouttes qui roulent sur sa peau me font loucher. Un coup de langue et on en parlerait plus mais...

Je devrais arrêter de la fixer plus bas que les yeux, elle pourrait mal le prendre. Faut dire aussi qu'elle est tellement grande que j'en attraperais un torticolis. Je relève donc un peu plus la tête.

- En fait, j'envisage d'adopter un blob pour me tenir compagnie, là haut.

Je commence à avoir mal au cou.

- J'ai déjà fouillé quelques marais mais l'idéal serait de trouver un oeuf car les adultes sont trop agressifs.

Je sors de la paille pour m'asseoir au dessus, mais je suis encore trop basse.

- Dis moi, c'est confortable comme position ?

« Gloup… Gl…. Glup… Glup… Gloup…

… Hhaaaa… »

Sa main vient râper la moitié inférieure de son visage, essuyant d’un revers les gouttes de vin qui y perlaient en continu.

« Hmmm… casanière dis tu ? » Lance-t-elle sourcils froncés.

« Voilà qui est étonnant ! Je pensais les félys aventuriers, toujours enclins à traîner leurs coussinets dehors, un brin sauvage, aimant côtoyer divers milieux mais libres avant tout…

Hmmm… c’est aussi ce que je pensais des centaures…

… Et nous voilà toutes deux coincées ici, dans une prison de pierres, toi le grenier, moi la loge. »

Son regard, nostalgique, continue à fixer le goulot de sa bouteille.

« Haaaa… où sont mes forêts ? Mes escapades ? Ma liberté ?... i’m’reste plus qu’ça ! »

La bouteille vient embrasser la moue formée par ses lèvres, laissant l’alcool s’écouler le long de sa gorge, par grandes coulées.

« Gloup… Gl…. Glup… Glup… Gloup… Un blob ?!?... ahh… pouah ! C’est flasque et vicieux les blobs ! A chaque fois que je passe par les caves du château de Barla, j’me prends les sabots dedans, c’t’une horreur ! Ce sent l’moisi pendant deux semaines, rien à faire ! Quelle idée… »

« Gloup… Gl…. Glup… Glup… Gloup…

… Hein ? Heu… ouep ! Confortable à souhait ! »

- C'est ce que disent tous ceux qui ne les ont pas côtoyé de près ! Les blobs peuvent se montrer très affectueux. J'ai grandi avec eux. Ma mère a une ferme à blobs. C'est mon père qui a domestiqué les premiers. Maman a continué l'élevage après que papa ait disparu. Je ne l'ai jamais vu.

Plutôt que de continuer à me dévisser la tête, je m'allonge dans la paille, juste sous son nez, comme pour regarder les nuages.

- J'aimerais bien retrouver mon père... s'il est encore en vie. Maman m'a dit que c'était un puissant sorcier, doublé d'un génie. Il a inventé une machine pour nourrir les blobs avec de l'énergie. Y'a juste à pédaler...

... Dis moi, tu as de la famille, quelque part ?

Je vois les gouttes de vin rouler et j'ai peur que ça me tombe dessus. Mais je suis trop bien installée et trop paresseuse pour bouger.

« Gloup… Gl…. Glup… Glup… Gloup… »

Pfiouuu… qu’est-ce qui fait soif !... Hum ? Mais… mais qu’est-ce qu’elle raconte le chaton ?! Les blobs, affectueux ? Un élevage ??

J’tombe des nues ! J’reluque ma bouteille qui s’fait de plus en plus légère de bas en haut, sourcils froncés… c’est quand même pas le vin qui m’fait délirer nom dudju ! J’en ai descendu qu’une bouteille, c’est pas possible, j’connais mes limites hein !

Bon… pas vraiment… j’bois jusqu’à m’étaler par terre et le lendemain, c’est trou noir… mais quand même ! C’est ptêt elle… pas moi après tout… ptêt qu’elle vient vraiment de dire que son père a inventé une machine pour nourrir les blobs ??

J’suis abasourdie, j’dois la regarder avec de grands yeux ronds à coup sûr… une machine pour… pffff… naaaaaaann… j’en ai entendu des histoires mais celle là !

Ptêt que j’ai pas assez bu finalement, ça doit être ça…

« Gloup… Gl…. Glup… Glup… Gloup… Grrrfff….mouaarrffff… a pu… FINI ! Arf ! »

Une autre ! VITE ! Ou elle va m’dire que son frère a monté un chenil de chiens cailloux ! Hoplà, je choppe une deuxième bouteille, aller simple pour ma bouche… Le débit est prêt à partir quand vient la question qui fâche…

« Erf ! Si j’ai d’la famille ? Hé hé… nan ! J’ai pas d’famille… personne… rien qui vaut qu’on l’appelle famille en tous cas et pas d’élevage à l’horizon ! »

Rhhhaaa… j’vais pas commencer à faire remonter l’passé hein… j’deviendrais de mauvaise compagnie.

Elle lève la bouteille bien haut en tendant le bras dans les airs.

« La vala MA famille Miw… Gloup… Gl…. Glup… Glup… Gloup… »

Pas de famille... J'ai du mal à m'imaginer. Je me demande ce qui a bien pu se passer mais sa réaction un peu violente n'est pas encourageante. Je pense que c'est un sujet à éviter... au moins pour l'instant.

Elle a une sacrée descente ! C'est l'alcool qui lui fait les yeux tout ronds où c'est ce que je lui raconte ? Pour quelqu'un qui n'a pas de famille, elle a l'air assez bon vivant. Mais j'ai l'impression qu'elle va se noyer à force d'engloutir autant de vin... même pire, elle risque de NOUS noyer !

Je la vois, la grosse goutte qui se forme sur son menton alors qu'elle lève le coude. Elle grossit, roule et tombe immanquablement en plein sur mon nez.

Je souffle, éternue et tousse. C'en est trop ! Je vais lui rendre service !

Je bondis, me perche sur sa jambe de devant et commence une toilette vigoureuse à coup de langue. Je pars du nombril et remonte jusqu'au menton, en passant entre ses seins et sur son cou.

Ce n'est pas mauvais, ce qu'elle boit. Il y a un mélange de salé sucré entre le vin et sa peau qui éveille mes papilles.

Voilà qui m'a donné soif. Alors arrivée à la fin de la toilette, je lui pique sa bouteille avec un petit air de provocation et m'envoie quelques lampées.

« Gloup… Gl…. Glup… Glup… Gloup… »

Les histoires de famille, pour sûr, c’est pas mon truc, ça l’a jamais vraiment été… il n’y a que dans cette forteresse que ce mot a pris un sens pour la première fois d’ma vie… le reste, ça appartient au passé, c’est enterré au plus profond d’moi et y’a personne qui pourrait l’faire ressortir !

Alors quand mademoiselle « j’veux un blob » m’raconte son enfance, ça m’dérange pas plus que ça, j’écoute sans broncher mais quand elle commence à poser des questions, là…. et bah pareil, j’écoute sans broncher !!... Et j’m’entame une troisième bouteille au passage…

L’bras droit toujours tendu en l’air, c’lui de gauche vient balayer la paille qui recouvre ma réserve personnelle et…

« NOM DUDJU !! Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?!? »

J’ai rien vu v’nir ! Faut dire que j’commence à pu trop être en état… un tourbillon de brins de paille qui voltigeaient autour de moi… cette chose agile qui d’un bond vivace m’a grimpé d’ssus !

Sous l’choc, j’bascule en arrière, mon dos vient plonger dans la motte, pattes avant en l’air, j’me noie dans la paille. Abasourdie, je sens cette chose prendre ses aises sur mon buste… c’est léger, ça n’étouffe pas, ça n’étrangle pas, ça… ça… mais CA LECHE !! Ca ME lècheuh !!

« MIIIIIIIIIIW !! Mais… mais qu’est-ce que tu fais sacré nom d’bonsoir ?? J’suis pas un blob !! »

Elle remonte tout le long et attrape ma bouteille en plus… c’est l’pompon !! Ah mais pas question dis donc ! Si y’a bien quelque chose qu’il est formellement interdit de me piquer, c’est la gnôle !

Ca va pas s’passer comme ça ! Elle l’emportera pas celle là… Alors j’me mets à gigoter dans tous les sens en guise de représailles ! Vu sa taille comparée à la mienne, va bien finir par tomber… rhaaaa j’vais lui en donner du rodéo moi !

Ca bouge drôlement ! J'ai failli me laver les sinus avec la bibine. Elle gigote comme une enragée mais je tiens bon, jusqu'à ce que... PAF... un de ses sabots atterrisse malencontreusement dans ma face. Je tombe à moitié assommée et douchée d'eau de vie. Me voilà violette !

Je ramasse la bouteille avant qu'elle ne se vide complètement dans la paille et frotte ma bosse sur ma caboche.
La lumière s'en va un instant... puis elle revient, ouf ! J'ai encore un peu les yeux qui se croisent, mais ça va.

-Moi qui te trouvais un peu trop dégoulinante, me voilà belle !

Je commence à me lécher le bras. Si me lèche entièrement, je risque d'être ivre. C'est que je suis sacrément bien imbibée. La paille me colle à la peau alors je me lève et m'en vais sur le plancher où je m'ébroue pour enlever le plus gros.

-C'est bien la première fois que je prends un bain de vin...

... Au fait, au cas où tu aurais des doutes, je ne lèche pas les blobs. Et si ça peut te rassurer, tu as bien meilleur goût. J'ai voulu faire sa toilette à un blob quand j'étais petite et j'ai un peu vomi. Si tu pouvais éviter de répéter ça d'ailleurs... Je te remplacerai cette bouteille.

Ca avait l'air de bien la contrarier que je lui prenne sa gnôle. J'ai bien rigolé mais ce serait bien que je lui trouve un bon dédommagement. C'est vrai quoi ! Je m'introduis chez elle sans lui demander son avis, je lui cause des trucs qui fâchent, je me permets de la laver comme un chaton, je lui pique sa bouteille et je crois que j'ai un peu dégueulassé le plancher...

PAAFFF !!

C’est à confirmer mais j’crois que j’viens d’lui envoyer un d’mes quat’ fers dans la tronche et bien que ça m’soit jamais arrivé personnellement, j’parierais que ça fait pô du bien, vu la grimace de douleur qu’elle me tire !

Pauv’ p’tite chose… j’la plains. On a pas idée aussi de se j’ter comme ça sur un sabot et tête la première en plus !

J’me relève un peu, enfin j’essaie parce que ça commence à tourner sévère là haut et pis j’voudrais pas l’écraser avec mes aut’ fers au passage…

« Hop ! Atta… attation hein ! J’arrrive… »

A peine debout que j’l’entends couiner! Et patati j’suis toute trempée… et patata me v’la belle… bon hé ! Bien la première fois qu’j’entends quelqu’un s’plaindre d’avoir d’la bibine à l’œil… nan mais l’autre… elle a pu qu’à faire sa toilette pour s’rincer un peu l’gosier… pour une fois, j’envie ces félys… mais faut toujours qu’les gens se plaignent et pis hé… et pis… hé hé…

Titubant entre les bouteilles vides qui jonchent le sol de la loge, la centaure éclate en fou rire devant la scène qui s’offre devant elle. Haletante, elle s’écrit entre deux souffles :

« Ma pauv’ Miw… j’suis désolée… ne t’inquiète pas pour cette bouteille, j’en ai assez pour l’oublier. Allez, viens là que j’me fasse pardonner ! »

Et d’un geste, elle attrape la félys par le bras, la balance sur son dos de cheval et entame une petite danse, rythmée par les éclats de rire. Tout se met à voler autour d’elles, la paille, le vin, la poussière, même les rayons de lumière paraissent suivre les mouvements mal coordonnés…

« C'est l'heure de l'apéro… lalala… c'est l'heure de l'apéro… direction l’bistrot…HE !... C'est l'heure de l'apéro… et… »

SBOUUM !!

« Rrrrrrrrr…… pfiiiiiii…… rrrrrrrrrr… pffffffiiiuuu……rrrrrgggmouarffff……pffffiiiii… »

Ce que vous entendez, c’est assurément une demi tonne de viande qui vient de s’abattre lourdement par terre et d’entamer un p’tit roupillon, car il faut bien cuver ! Pour sûr, la bête est partie pour un long somme, mieux vaut ne pas la réveiller… en admettant que ça soit possible. Rassurons tout de même notre assemblée : la charmante félyssette a survécu à cette chute !

Quel raffut ! Le sol a tremblé. Elle s'est écroulée là, la tête sur les planches et la croupe dans la paille. Tandis que je m'approche de son pif aviné, elle me ronfle au nez.

- Y'a pas d'mal !

Sur ces mots, je souris et me dirige vers la sortie. Après tout ce qu'elle a ingurgité, c'est pas étonnant qu'elle ait sommeil.

De drôles de bêtes, ces centaures. J'en ai connu une plus délicate. Mais je suis contente d'être descendue de mon grenier. Je me demande si je pourrais la retrouver aussi pleine de vie et sobre en même temps. Pour le reste, je réserve mon jugement. Ca peut faire une bonne copine... j'espère...

Mais quelque chose m'inquiète : pourquoi semblait-elle, elle aussi, si seule ? J'espère qu'elle n'héberge pas un monstre comme le mien... à moins qu'elle ne soit le monstre en question... De mon point de vue, à part sa descente, elle n'a rien de monstrueux.

Je te laisse, reine des beuveries. Peut-être découvrirais-je autre chose que ton alcoolisme... une autre fois. Car maintenant que j'ai bien entamé ma toilette au raisin, moi aussi j'ai un peu sommeil.

C'est à pas de velours, un peu titubante, que je franchis la porte et rejoins mon coussin, tout en haut du donjon, en me pétant la gueule de temps en temps parce que personne n'a eu l'idée de mettre une rampe à ce foutu colimaçon!