Sin espérance.

Put-it in your ears.

Dôme noir impénétrable, puissance du tréfond des ténèbres, la colère est libérée.

"Un monde d'Ombres et de Douleurs...
Il y a des siècles, alors que je ne connaissais moi même encore pas l'existence des treize Mondes, Gendräzeth, la Mère des Ombres envoya ses fils à la rencontre de l'Univers pour préparer son arrivée sur le siège du Treizième..."

Le Seigneur Twärvalien tire de son dos la Lame Sacrée d'Execution que lui confièrent ses deux frères. L'épée longue en cristal noire forgée dans le puit d'Ogmärta s'extirpe de son fourreau en poussant une longue plainte grave, hurlement de douleur des âmes damnées du Twärvalyen.

"...Twörk le Ténébromancien partit à la découverte du Nëkryen et les asservit à leur cause. Valär le Juge prit la direction de l'Austylïen et les fit plier de sa main glaciale..."

La paysage parait tellement vide. Le Seigneur Twärvalien leve sa lame devant lui, pointe vers le bas, et tenant le manche de ses deux mains. Son regard embrasé s'intensifie, il laisse perler la colère dans ses veines en la contenant. Le sol tremble sous ses pieds. Tout autours de lui, la lumière semble être absorbée.

"... et Arkör le Primesautier fut envoyé en Osëfyen.

L'Annonciateur."

Le Seigneur des Cendres pose un dernier regard sur le corps d'Alyssandre. Son Ombre se dessine, puissante et ailée. Il appuie sa lame sur son propre abdomen pour mettre fin à son incarnation.

Un sang noir jaillit de son corps et se déverse sur la chevelure de l'Osëfienne. Le Primesautier hurle sa colère, le ciel se recouvre. Le métal de sa lame pénètre avec force dans sa chaire de Twärvalien, il attends un instant, regardant vasciller le paysage, ses mains tremblent, le froid s'empare de lui. Il ferme les yeux et termine son travail en attirant vers lui son arme de toutes forces. Le Seigneur Twärvalien pose un genou sur le sol et tend une main en direction du ciel. Tandis que les braises qui animent son regard s'éteignent d'épais flocons gris naissent à l'horizon.

[...]

Un long souffle de force noire émane du corps du Primesautier, il est libéré et s'échappe de sa bouche comme un sillon d'encre de chine en apesenteur. Il emprunte le chemin le plus court pour rejoindre le ciel tandis que les flocons de Cendres s'abattent sur le Särwyen. L'âme Ténébreuse du Twärvalien prend la forme d'un serpent et blanchie en s'accélérant, son ascension est de plus en plus rapide, déterminée à rejoindre ces trois flux de puissance évadés de leur prison et prêt à reprendre possession de leurs droits à jamais. La pointe du traits d'Ombres fend l'air, elle rougit tandis qu'elle disparait derrière les nuages, la porte s'ouvre dans un crépitement de flammes infernales tandis que sa volonté s'élève et se répend dans un ordre ultime avant de dépasser ceux qu'elle ne laissera pas franchir le seuil.

"Non !"

Une flèche de feu ardent se dirige vers lui, le Seigneur des Cendres ouvre les yeux, deux yeux de braises entre deux mondes. Deux yeux immenses, profonds et perçants. Les flammes fusent. Le Primesautier déploie ses ailes pour leur barrer le passage. Elle s'élèvent de chaque côté de son regard, véritable rideau impénétrable provenant du Twärvalyen. Sa voix résonne puissante et grave.

"Non Osëfiens. Non vous ne passerez pas. Vous ne détruirez pas mon oeuvre, le Tahäl ne se réunira pas ainsi.

Hellequin, je ne te permets pas ! Je te détruirai de mes mains si tu l'ose et j'investirai votre royaume pour le plonger dans les Ténèbres les plus sombres. Prends pitié des tiens et accepte cette dernière chance que je t'offre avant que ma colère ne prennent trop de place dans mon coeur. Ma clémence est due à notre passé commun, à cette vie désormais révolue, à ma volonté de préserver ton peuple.

Aedissyë, si tu pénètre en Osëfyen ton âme corrompue se répandra dans les Labyrinthe de pensées, elle s'étallera d'un horizon à l'autre de ce monde qui t'appel. Tu t'es déjà bien assez libérée et il est encore temps de faire marche arrière. Je t'en conjure ne commets pas cette faute qui perdrait les tiens. Je ne parle pas au nom du Cercle des Ombres endormi, je parle en mon propre nom, Fils de Gendräzeth et amoureux de l'Osëfyen, enfant adoptif du Tahäl, réfugié des années dans un monde que je comprends mais que je ne contrôle pas, votre invité, celui que VOUS avez laissé pénétrer.

Alessa...Mes yeux s'eteignent à nouveau. Guerrière Indestructible, Volonté de l'Osëfyen, Fer de Lance Enflammée, Bras Armé du Tahäl, Pensée et Décision Martiale, ne vois tu pas la couleur de mes yeux ? N'entends tu pas ce crépitement qui t'appels ? Ne comprends tu pas Alessa ? Pourquoi j'ai bercé ton sommeil alors que tu t'éveillait en Särwyen ? Pourquoi j'ai érigé des barrières de flammes autours de toi ? Pourquoi possède tu cette force d'entre deux Univers ne sachant pas auquel tu appartiens véritablement sans avoir jamais partagé tes doutes avec ceux que tu considère comme étant les tiens ? Alessa, je suis...je suis TON Ombre et tu ne me passera pas, tu ne te passera pas de moi, j'existe parce que tu existe je suis une note de ta partition qui résonne dans NOTRE Univers et sans toi...sans toi le Tahäl n'existera pas. Ta colère alimentera ma force, ta haine décuplera ma puissance, ne lutte pas, ne lutte plus contre moi. Tu es ma pitié, tu es ma foi, tu es ma miséricorde, je n'ai jamais voulu autre chose que..."

La voix mourrante du Twärvalien laisse place aux couroux.

"Ici tu n'es plus en Osëfyen !"

Le Seigneur Twärvalien repli ses ailes devant lui, cachant ses yeux et laissant de nouvelles traces de ténèbres dessiner les contours d'un nouveau monde, un monde à son échelle, prison d'un temps, étape ultime avant l'accès définitif, cellule de réflexion.

Chrysalide.

Le souffle...

La fureur apaisée, le calme...
Centre exact du vortex.
Suspendue dans le rien entre les mondes, indissolublement mélée à ma soeur, à mon frère, et pourtant toujours moi.
Le besoin toujours aussi intense et brûlant, aussi irrépressible.
Le besoin blanc rosé.
Il me taraude, il me transperce, il me fait mal.
Impossible à ignorer.
Impossible.
Il est déjà trop tard.

Tu n'es plus en Osëfyen...
Non.
Tu n'y es pas encore.
Nous n'y sommes pas encore.
Je n'y suis pas encore.
Mais j'irai.
J'irai à travers la masse sombre qui nous masque le monde.
J'irai frapper le voile qui miroite toujours, si proche.
J'irai seule s'il le faut, je gratterai ce mur pendant mille ans s'il le faut, je laisserai ma substance à son pied.
Il n'y a plus d'autre choix.
Revenir en arrière et oublier ?
En arrière où ?
Nous sommes morts.
Où veux-tu qu'on aille, Ombre, notre place est devant nous, derrière toi.
Et je te dénie le droit de nous en chasser.
Entends-tu ?
Notre héritage.
Ce sont tes mots, Ombre.
Tes propres mots.

La sérénité étrange... L'attente.
Et la puissance tenue en laisse. Prête.
Nous devons passer.
Il n'y a pas d'autre voie pour nous.

Pour nous...
Nous trois, Alessa...
Nous trois unis en un, nous trois chacun fraction d'un tout, chaque individualité essentielle...
Trois seulement...
La base de la stabilité.
Deux sont insuffisants...
Trois.
D'autres à venir, pour l'espace.
Pour l'instant nous sommes plan.
Comme le voile qui miroite...
Triangle du plan, pointe de flèche...
Deux derrière toi pour t'insuffler la force.
Et toi au pôle, à l'apex.

Alessa...
Nous ne pouvons reculer.
Il supplie et il menace.
Il t'offre un monde à détruire et à corrompre.
Alessa... il ne te ment pas.
Nous ne pouvons mentir, ici, tels que nous sommes.
Ni nous, ni lui.
Je n'essaierai même pas de te faire croire que je n'ai pas peur.
Je n'essaierai même pas de détourner tes yeux du besoin que nous avons de toi.
Sans toi ce monde nous échappe et nous nous perdons, je le sais, nous le savons, et il le sait aussi.
Je voudrais parler pour toi, pour toi Alyssandre, Alessa, pour toi et toi seule.
Je ne le puis... nos destins sont liés à ta décision.
Je parle donc aussi pour moi, égoïste.
Mais écoute-moi quand même, ma soeur...

Tu n'es pas ce qu'il veut.
Tu es la guerrière qui veille, non celle qui frappe à l'aveugle.
Celle qui protège et non celle qui massacre.
Tu es la sage et non la destructrice.
Il t'offre la destruction.
Mais c'est ta propre destruction qu'il t'offre.
Car ce n'est pas ce que tu es.

Souviens-toi de l'appel du Faucheur...
Souviens-toi de ton désarroi.
De ton dégoût.
Alyssandre, tu n'es pas ce qu'il veut que tu sois...
Il veut la négation de tout ce que j'aime en toi...
Il te veut implacable et impitoyable, comme tu sais l'être, oui...
Mais il nie ta souffrance et ta peine à chaque mort infligée.
J'ai lu cette souffrance dans tes yeux, je l'ai vue, ressentie moi-même c'était la même souffrance, Alessa, tu te perds, tu nous perds, si tu lui cèdes...

Ma soeur...
Ne nous abandonne pas.
Ne t'abandonne pas à lui...
Ma soeur...
Regarde-moi...
Une ombre blanc rosé.
Une autre ombre qui t'aime.
En attente...

L'espérance...
L'espoir blanc rosé...

Tremblement de roches, échos de colère, bribes de flammes dans les cieux.

"Aedissyë il suffit ! Tu semble oublié le nom de celui devant lequel tu t'adresse à Alessa."

Les yeux du Twärvalien se plisse, plus mauvais que jamais.

"Ne me pousse pas dans mes derniers retranchement Osëfienne. Ne cherche pas de clé pour rentrer chez toi tu ne la trouveras pas."

Le ciel rougit, les nuages s'assombirissent, un sol de pierre et de sable né sous les pieds des Osëfiens. Le désert qui les entoure semblent les observer. Le Seigneur des Cendres avance vers eux. Sa voix presque chuchotante s'infiltre dans leurs oreilles. Il est le Maître de cet ultime sas.

"Et bien Osëfiens vous pensiez me quitter aussi vite ? Si il est bien une chose que vous m'ayez enseigné c'est cette force de créer par la simple volonté de mon esprit."

Le décors prend place, des arbres morts naissent de toutes parts, des corps sec et pendus se balancent au bout de cordes raides. Des cadavres rongés par la vermine et entassés s'installent sur des talus de chaire.

"Tu te trompe Aedissyë, ce n'est pas elle que je suis venu chercher, elle m'a appelé. Celui que je suis venu se tient devant moi"

Les senteurs du champs de bataille prenent place, la pourriture et le fer, le sang et la chaire, la sueur amère.

"HELLEQUIN ! C'est toi que je suis venu chercher."

Le regard du Seigneur Twärvalien s'arrête sur le Puissant Osëfien.

"HELLEQUIN, toi qui as su retrouver les liens et les unir malgrès les barrières de temps et de l'espace, toi qui as su mener la troupe de pauvres saltimbanques mendiants au milieu de la tourmente sans jamais les inquiéter, toi qui as su prendre la tête d'une armée de poètes et retrouver tes sens, toi qui as su te battre avec des idées, toi qui n'es jamais devenu un autre que tu n'as jamais été, je viens te chercher aujourd'hui. Tu ne mérite plus l'existence que je t'ai offerte, tu ne mérite plus de vivre, ton essence m'appartiendras et je prendrais ta place sur le tröne de l'Osëfyen. Seuls les véritables prédateurs de l'Univers sauront se partager ses richesses et tu n'en fais plus partie. Depuis combien de temps as tu abandonné le combat ? Depuis combien de temps as tu baissé les bras ? Tu ne mérite pas même d'avoir existé, tu ne mérite même plus mon respect, tu n'es rien, tu n'es que poussière, tu es mon prisonnier, tu es ma chose, celui qui m'as enseigné pour subir son enseignement, le trop bon qui n'a jamais pensé à la suite, celui pour qui tout est gagné ou perdu d'avance mais écoute moi bien Hellequin."

Le Seigneur Twärvalien s'avance d'un pas dans la direction du Maître de l'Osëfyen sans le lacher des yeux. Sa bouche devient mauvaise et son regard s'affine plus encore.

"HELLEQUIN ! Je vais priver les tiens de l'équilibre que tu leur as donné, je vais détruire votre force, tu seras la brèche qui ménera l'Osëfyen à sa perte, tu étais sa pièce maîtresse et tu viens de chuter !"

Je regarde Arkör, la surface de mon être se trouble à l'image de cet univers changeant dans lequel il nous porte. La voix de ma sœur raisonne à mon oreille… Aedissyë

Mon essence se déchire, ploie, se fond en une brume couleur de sang. Je viens enlacer les corps des miens, caresse infime… Hellequin… Aedissyë… il ne peut nous priver de notre foyer… Je ne le permettrais pas… au nom de rien… même de ce lien qui nous uni… ma sœur…

Mon être se reforme à leur côté, corps de femme, armure de flamme, chevelure en brasier brulant autour de mon visage. Dans ma main droite, la hampe de la lance brisée, dans la gauche, sa longue lame…

Mon ventre se tord, mes membres se gainent, mon dos se cambre alors que je rejette ma tête en arrière. Un hurlement s'échappe de ma bouche, un cri d'outremonde, grave, profond, ma Voix…

La lame dans ma main se pare de reflets ardents, tandis que je me redresse face à l'obstacle, face au Primesautier. Mon regard se pare des éclats de la brume.

Un pas…

Un grondement s'échappe de ma poitrine, un murmure à peine audible, un nom… le tien, ma sœur… l'appel… tu sais…

Un pas…

J'avance vers toi, Arkör, sans fléchir, visage impénétrable…

Un pas…

Une mèche de feu vient danser devant mon visage, mes bras se croisent sur ma poitrine, les restes de l'arme déchue brandi comme un étendard…

Un pas…

Ma bouche s'entrouvre, mime des mots que ma voix vient modeler… des sons sourds… l'écho d'un autre monde… ma Voix…

Un pas…

Arkör… Il y a presque de la tendresse dans ma voix alors que je souffle ton nom, alors que tu te dresses sur ma route, que tu nous barres l'accès à ce lieu qui nous appelle. Arkör… Au nom de ce qui a été, je te le demande… retourne auprès des tiens, tu ne peux défaire ce que nous sommes entrain de restaurer, tu ne peux t'interposer… sinon l'un de nous disparaitra dans l'Abîme… écartes-toi.

Un pas…

Ma main gauche se lève violemment, la lame orpheline vient dessiner sur mon torse une estafilade. Du sang qui n'en est pas s'écoule de la plaie, s'échappant en volute légère dans l'air lourd, m'entourant comme une aura.

Mon sang contre ton sang Arkör…

Un pas…

La hampe vient virevolter autour de moi, guider par mon bras, disperçant dans mon sillage ce sang qui n'en est pas, la lame levée au-dessus de ma tête darde le Primesautier…

Un pas…

L'heure est venue… mon ami…

Le temps se fige, une silhouette de brume prend forme. Un pendentif de métal noici pend sur sa poitrine. Son regard est totalement noir, il se dresse auprès d'eux sans avoir été invité. Il se tient debout, la main crispée sur son baton de marcheur. La douleur se lit sur son visage, il est le spectateur de la fin, ou du commencement.

"De tout temps les règles qui régissent notre univers ont été respectées. Il est des moments qui axent la vie et la mort, des moments qui modifient l'histoire et permettent de passer d'une ère à une autre. Je ne suis qu'un observateur depuis tant de temps, je n'ai jamais fait qu'ouvrir les porte et les voies de l'esprit, libérant les chemins qui permettent de trouver meilleur, différents, ailleurs.

A cet instant précis je prendrais partie, je vais cesser de n'être qu'un penseur et je vais devenir acteur de cet épisode. J'ai toujours su rester en retraits sans jamais dite un mot et aujourd'hui, Arkör, je me dresse moi aussi sur ton chemin."

Le vieil homme courbé qui semble avoir traversé les âges porte la main sur le pendentif et le détache d'un mouvement sec de sa gorge.

"Je n'ai plus besoin de cela, et je me moque de l'équilibre."

Le pendentif rougit dans sa main mais l'Annonciateur ne flanche pas.

"Lorsqu'il sera consummé par ta haine, Primesautier, les recherches de ta mère seront anéanties. Les chemins que tu garde farouchement seront libres ou disparaitront. Donne moi une seule bonne raison d'arrêter ce que je fais et tu comprendras pourquoi je prends partie."

Le Primesautier laisse glisser sa griffe sur la poitrine d'Hellequin et se retourne vers Alessa. Il écoute ses mots, il les lit sur ses lèvres, il plonge dans son propre enfer, bien plus atroce que ce que l'imagination des Twärvaliens ne su créer. Ses épaules s'affaissent alors que ses muscles se détendent. Il prend de courtes inspirations, son regard se rempli d'une terrible tristesse.

Il baisse la tête sur le côté et la quitte des yeux. Son arme aparait dans sa main.

Un pas.

Un pas de trop.

Alessa.

"Ce sera donc par un jour ou la Cendres se répand dans l'Univers."

Les yeux du Seigneur Twärvalien s'embrasent, la haine aparait sur son visage. Il tord sa nuque pour la faire craquer, ses poings se serrent.

"Le passage t'es grand ouvert Alessa. Tu es le fer de lance Osëfien et tu viens de faire ton choix. Qu'il en soit ainsi."

Lorsqu'il apercoit le vieil Annonciateur le le Seigneur des Cendres ne lui prête aucune attention. Il ne quitte pas Alessa des yeux.

"Parles mon vieil ami, parles donc et prends partie. Peu importe le lieu ou tu nous enfermera, le secret est percé depuis notre départ du Särwyen. L'endroit ou je me trouverai lorsque j'en serais prisonnier sera le tombeau du monde que tu condamnera. Ma haine n'aura pas consummé le plan que tu tiens dans ta main avant que je n'ai le temps d'accomplir un dernier voyage. Peu m'importe désormais."

Le Primesautier dégage ses ailes de son dos. Ses arcades s'inclinent. Il lève son arme dans les airs et la plante fermement devant lui. Il approche une jambe de la lame et l'enroule autours. Il resserre le pommeau contre sa poitrine en croisant ses bras. Il dépose la tête sur ses mains, sans jamais lacher Alessa du regard. Sa peau semble s'assécher. Ses cheveux cessent de battre dans le vent. Il replie ses ailes sur son corps, ne laissant immerger de son cocon que ses yeux.

"Veilles sur eux Alessa. Je vais veiller sur les votres, prisonniers du septième monde."

Le regard du Primesautier s'éteind. Sa peau se durcie comme le roc. Sa chaire prend la couleur de la pierre, la poussière vient s'imisser dans les moindre recoins de son être, comme si la statue qui se dresse devant les Osëfiens était là bien avant leur arrivée, comme si elle aussi avait traversé les âges.

La voie est ouverte.

Le Seigneur des Cendres a reculé, Alessa a choisi, et la voie est ouverte.
Le vieil homme se tient debout, il a parlé de haine et Arkör s'est fermé, durci, immobile.
Il est toujours là.
La pierre n'est morte que pour ceux dont la vie est trop brève pour la voir en mouvement.
Il est toujours là.

La voie est ouverte, et le temps est venu.
Le voile attend sa déchirure.
Les lumières... leur chant n'a pas cessé une seule seconde.
Leur appel, torture constante, têtue, attraction opiniâtre sur nos esprits immobiles...
Immobilisés par la force.
Et libres à présent.

Le décor désolé planté par Arkör n'a plus lieu d'être.
Il ne me plaît pas.
Je l'éteinds.
Comme ça.
Plus d'arbres morts, plus de pendus grimaçants.
Le vide.
Car nous sommes dans le vide, encore, tant que nous n'avons pas passé cette ultime barrière.
Le Twärvalien est toujours là, masse sombre, immobile, vague menace latente.
Nous sommes toujours là, le feu d'Alessa, le souffle d'Hëllequin, et moi, entre eux et autour, à côté de chacun, en eux, avec eux.

La voie est ouverte, il est temps...
Temps pour moi de libérer la puissance contenue, la force enchaînée, de rappeler à moi l'urgence et le désir, de les éveiller, de les attiser, d'en faire enfin ce pour quoi ils ont été placés en moi.

Non pas propulser le Tahäl et lui donner mouvement. Ce n'est pas mon rôle.
Non pas en faire une arme et lui donner tranchant. Ce n'est pas mon rôle.
Je me serais perdue à frapper, à pousser, à pleurer devant la porte close.
Un temps pour réfléchir, Arkör me l'a donné, un temps pour comprendre ce que je suis.
Il a raison, je ne suis pas celle qui menace.
Je ne suis pas celle qui illumine, pas celle qui conduit.
Je ne suis pas celle qui choisit la route.
Je suis cette qui tisse nos âmes ensemble en un tout plus fort, plus ample, plus vivant que la somme de chacune isolée.
Je suis celle qui fusionne. Celle qui crée l'Alliage.
Le creuset, l'athanor.
Celle qui Rassemble.

Ma puissance à moi ne se ramasse pas pour bondir, elle se déploie.
Elle ne se détend pas pour frapper, elle se replie.
Elle se replie sur vous, sur moi.
Elle nous rapproche, comme une grande main douce.
Elle nous presse l'un dans l'autre.
Nous concentre.
Nous fait unique.

La voie est ouverte.
Le Tahäl existe.
Tout est réuni à présent.
Notre héritage attend.
Il appelle...
Le temps est venu.

Contre toute attente, le seigneur des cendres cède le passage… pour un temps. Je vois son corps de pierre froide et pourtant son regard ne me quitte pas un instant. Immobile, je lui rends ce regard plein de détermination et de mélancolie.

Ce qui a été…

Et ce qui sera. Ce n'est pas une fin. Ca n'en sera jamais une, pas dans cet outremonde ou tout est à portée de rêve.

Mes épaules se détendent, les muscles roulant sous la peau qui n'en est pas, mes bras retombant le long de mon corps, comme épuisés. Je me tourne vers mon frère et ma sœur. Plus rien ne nous retient ici.

Mes yeux se posent sur l'annonciateur. Un sourire se dessine sur mes lèvres, expression étrangement froide sur mon visage.

"Tu as la possibilité de nous suivre où nous allons, Passeur. Une fois de plus, l'Osëfyen renaîtra. C'est un spectacle unique qui ne se représentera plus. Le Tahäl en sera garant."

Mes bras se croisent sur ma poitrine, serrant contre mon corps la lame et la hampe de l'Arme Brisée. Mes yeux retrouvent un peu de douceur alors qu'ils croisent ceux des miens.

"Allons-y"

Je passe devant, mais je sais que mes pas sont les leurs. Ils sont avec moi, en moi, unis par les liens qu'elle tisse entre nous. Mon bras se lève et fend le vide. Le néant se met à hurler, la brume suintant de la blessure béante. Enfin le passage est ouvert. Je me tourne dos à la porte. Ma voix raisonne dans le Rien.

"...Allez-y"

Je ne peux exprimer mes doutes, cette réticence qui me retient encore quelques instants. La hampe frappe le sol, barrant la route à des envahisseurs imaginaires. Immobile, j'attends, les yeux rivés sur cette statue. Un soupir soulève ma poitrine. Je détourne les yeux et emboite le pas aux miens.

"Ce n'est pas fini, Arkör" Dis-je en refermant la Voie.

L'Annonciateur avait observé la scène sans dire un mot, son destin était d'être témoin depuis toujours et quoiqu'il eut préféré ce fut bel et bien la place qu'il tint une fois de plus.

Il s'avança vers la pierre morte qui se dressait devant Alessa. Il passa la main sur sa surface, la pierre encore chaude refroidissait lentement.

"Je vous suivrai bien volontier. Quel plus bel endroit que l'Osëfyen pour finir mes jours, quel plus beau spectacle que sa renaissance pour marquer ma vue une dernière fois.

J'ai fait mon temps."

L'Annonciateur fit glisser sa main sur le visage de pierre du Démon à la recherche d'une flamme dans son regard. Malgrès son iris éteind le vieil homme recula, craintif.

"Le dernier Twärvalien vient de s'éteindre...et avec lui toute sa race. Les autres n'existent plus, Gendrazëth elle même n'existe plus et je doute qu'elle n'ai jamais existé."

Le regard de l'Annonciateur se fit plus doux, comme si il quittait un vieil ami.

"Je n'aurai jamais cru partir après lui. Allons y."

Le vieillard lacha son pendentif dans le sable mort de cet univers macabre, il n'avait plus besoin de passer, de n'être qu'un observateur.

"Ce n'est pas fini, Arkör" Dit-elle en refermant la Voie.

Alors que la voie se refermait, la statue de pierre trônait dans son univers, immobile. Le ciel s'obscurcit, comme si la volonté du Twärvalien ne suffisait plus à maintenir le monde fantasmagorique dont il était le créateur. Le temps prenait son sens dans ce lieu vide de mouvement, le temps prenait son sens alors qu'il n'avait jamais joué sur le Seigneur des Cendres.

Depuis toujours, les habitants du Särwyen avaient craint une force brutale venu d'ailleurs.

Le nuage d'Ombres étaient passé sur la surface de leur monde en emportant nombre des plus grands de leurs combattants mais leur volonté de survivre et de s'adapter les avaient sauvé.

Après de longues guerres de part l'Univers, les Twärvaliens avaient dompté le Nëkryen, ils avaient rallié l'Austïlyen à leur cause, ils avaient détruit le Gëhyen, ils s'étaient allié à l'Abhëryen et ils avaient percé le secret du Treizième. L'Orïdhyen avait su se défendre, le Primëlhyen avait su se tenir à l'écart des conflits, ne laissant aucune trace de vie en leur propre monde. L'Himënyen et l'Astrïyen avaient rayés de la carte de l'Univers. Le Särwyen avait reprit une existence rapide à l'image de leurs habitants à la longévité excessivement courte.

L'Osëfyen, lui, renaissait de ses Cendres.

"Nés de ses entrailles, les trois enfants de Gendräzeth, dotés de ses pouvoirs et de son caractere, partiront a la conquete de ces autres mondes.
Ils y rallieront les Ombres sous leur commandement, et une fois les Ombres des 12 mondes reunis, Korzath viendra.

Les mondes seront alors detruits, et le 13e, le seul qui existera, sera totalement dominé par les Ombres, et leur Mère, Gendrazeth.

L'Annonciateur"

Aujourd'hui le dernier Twärvalien venait de s'éteindre, la menace disparaissait avec lui.

[En Särwyen]

Une série de meurtre horribles et incompréhensibles s'étend de toutes part du chateau de Barla, les plaines et les montagnes alentours sont touchées, comme si une bande organisée sévissait avant de revendiquer leurs massacres. Le point commun découvert entre les meurtres est une mise en scène devenue désormais classique. Quelque soit l'état des corps retrouvés, leurs bouches sont remplis de Cendres et cousues avec de la laine grossière. Leurs yeux leurs sont arrachés et placés aux creux de leurs mains.

[Dans un autre ailleurs...]

"Je refuse..."

Un temps indéfini s'écoule.

Sous un ciel couvert, la roche s'effrite.

La reflexion fait son temps.

Les actes ont toujours le dernier mot selon les Twärvaliens.

Déferlement.

Lumière qui n'est pas lumière.
Son qu'on ne peut entendre.
Avalanche muette et aveugle, cyclone silencieux.

Explosion.

Nous étions unis, rassemblés.
Nous voici dispersés, répandus, saupoudrés dans l'immensité qui danse.
Au-delà du voile.
Au-delà de nous.

Je sais que je me roule dans la lumière enfin mienne, avec délices.
Pas de corps pour rouler, rien qui puisse m'apporter de délices...
Mais enfin chez moi.
Enfin moi...

Je les sens se déployer, ils découvrent, comme je découvre, et leur jouissance doit égaler la mienne, leur ravissement, leur ahurissement...
Comment imaginer ceci, comment...
Ce monde est sans limites...
Ce monde est nôtre...

Et dans ce monde où nous sommes maîtres, rien ne peut plus nous disjoindre, alors que nous sommes plus vastes, plus éthérés que jamais...
Maîtres de tout...
Formes et couleurs, sens, émotions, souvenirs.
Rêves.

Je vais de mystère en mystère, vrille de lumière blanche, pétale de fleur de pommier.
La spire rouge à mes côtés, éclatante et victorieuse, Alessa qui danse.
L'entrelac délicat, inextricable, Hëllequin, dentelle précieuse et filet impitoyable.
Blanc.
Lui aussi...
Etrange...

Je ne veux pas savoir.
Je dois savoir.
Je ne veux pas savoir.

Je sais.
C'est merveilleux, inespéré.
La confirmation de tous mes élans, toutes mes souffrances, la justification, enfin.
C'est miraculeux.
C'est horrible.
Horrible...

Le temps file.
Impalpable, il file, ici aussi.
Le temps qui nous rappelle...
Nous rappelle...

Mon coeur explose en milliers de morceaux de moi. Prise de frénésie, j'envahis notre monde, redécouvrant ses moindres nuances. Les âmes osëfiennes viennent nous accueillir, boules de lumière fusant à travers temps et espace, bout de rêves éternels retenus dans notre royaume.

Je sens à la limite de ma conscience le corps du vieil homme qui nous a suivi. Il n'est pas des nôtres, pourtant je l'enveloppe avec la même tendresse, linceul de l'Annonciateur

Soudain, je tremble... un unique spasme vient de me secouer, faisant vibrer la moindre particule de mon essence dispersée.

Je me retourne à peine et continue ma course folle à travers notre monde de voile et de brume. Je flotte, je vole, je cours, je n'en finis pas de me souvenir. Des larmes baignent mes joues, des larmes de joie, d'espoir.

Un nouveau tremblement, j'ai l'impression que chaque petit bout de moi est tiré en arrière. Je pousse un cri rageur et continue toujours plus loin mon exploration.

De temps à autre, je crie un nom dans l'immensité brumeuse, qui ne trouve pas d'écho. Tous ont disparu... combien reviendront.

Tremblement... comme un battement de coeur lointain. Impossible...

Tremblement... j'ai l'impression que ma têt va exploser... ma tête?... Ce n'est pas possible... pas ici où je suis ce que je décide. Personne d'autre que moi ne peut m'imposer ma forme... et pourtant j'ai repris les traits que tous me connaissent, je m'allonge sur le sol de brume...

Le temps m'a rattrapée...