MusiqueUn soir de brume tiède, la torpeur d’un été chaud et sec, l’esprit vague.
Une chambre d’hôtel, la fenêtre ouverte sur la rue où tintent les couverts des restaurants, le claquement des talons sur le pavé des passants qui brassent l’air chaud, l’air heureux sur le visage.
Le piano d’en face joue un air de blues, il écorche les accords en note bleue, ces lamentos qui s’attachent aux tripes et serre la gorge, trop peu l’entende, peu savent y trouver un sens, certains l’écoutent mais ils n’entendent pas la note bleue, celle qui fait vibrer jusque sous la peau, la recouvre de frissons émus.
Assis sur le rebord, je regarde la rue, la vie qui s’éveille d’une journée trop chaude.
Je regarde le ciel, la nuit qui le noie et noie les nuages d’un jour peut-être un peu gris, mais parfois le gris n’est pas triste, il cache seulement le plus profond bonheur, ces instants éphémères et qui pourtant durent une vie et accompagnent les jours gris où le gris n’a plus rien à cacher.
J’allume cette cigarette qui me fera tousser demain, lorsque le jour sera là, encore une fois, encore une cigarette, encore une nuit, un jour, demain, toi.
Je tire et avale, recrache la fumée que j’aime avaler. Je sourie amer de mourir un peu plus de ce poison qui distille ses venins dans mes poumons.
Le pianiste abandonne son air de blues et ses doigts s’enroulent sur les touches, un air, une mélodie du bonheur, ton sourire dans la nuit tiède, un air frais qui caresse mon visage, je te regarde dormir, nue, si belle.
Tes bras étendus autours de la tête, en arche.
Le visage tourné vers moi, la joue couchée sur le drap.
Tu me regardais avant de t’endormir.
Ta poitrine qui se soulève au rythme de tes inspirations, s’affaisse en soupires nonchalants. Je regarde ce qui fait que la vie est excusable, toi, belle, nue allongée sur le lit dans cette chambre d’un hôtel qui aurait du être quelconque, sans toi.
Je regarde tes yeux que j’aime et qui m’aiment lorsque je m’y regarde.
Ce reflet absent ce soir, mais qui brillera tout à l’heure, lorsque lasse de te regarder sans te toucher, je m’allongerais près de toi, contre ton corps nu, en face de tes yeux qui s’ouvriront et brilleront de tous les reflets qui font ta beauté.
J’écrase ma cigarette sur le rebord et la jète machinalement au son de cette mélodie d’un pianiste aussi triste qu’une chambre d’hôtel sans toi.
Je quitte la scène de la rue, et je m’assoie sur le bord du lit.
Ma main tremble sur ton visage, nerveuse, sans doute la nicotine qui entache mon sang de la prochaine cigarette ou alors la peur de te toucher ce soir, tu as l’air si paisible.
Je mime les caresses qui envelopperaient ton visage, ta joue tiède, ton nez que je survole et redessine du bout du doigt, ton nez que tu trouves pas beau ou bien trop gros, trop long, je ne sais plus, je ne vois pas la même chose que toi.
Tes yeux endormis sous les paupières, ta bouche entrouverte, tes lèvres sur lesquelles je passe un doigt et souligne l’arrondi.
Sur ton front, je gomme la ride qui naît entre tes sourcils, sans te toucher, t’effleurer, ne pas te réveiller, j’efface ce qui pourrait être le tourment d’un rêve.
L’index tendu, j’imagine ton sourire et le redessine une fois encore avant de tracer ton profil, descendre le long de ton menton, arpenter ton cou jusqu’à ta poitrine qui se soulève et flirte avec ce doigt qui te dessine, et je crayonne sur ta peau des rêves que nous vivrons ensembles, plus tard, quand enfin je prendrais ta main dans la mienne et que nous marcherons le long de cette rue, où les gens sont libres de marcher ensembles.