Reflet de flammes

Un vombrissement lourd roule dans mes oreilles. Une chaleur étouffante lèche ma peau et s'insuffle dans mes narines. Le temps c'est arrêté. Mes pieds ne touchent pas le sol. Je suis pétrifié en pleine extension.

Je ne sais pas qui je suis.

Je le savais à l'instant, mais je l'ai oublié depuis.

Mes muscles ronds sont tendus à l'extrême. Ma gorge est gainée. Mon visage est crispé. Mes jambes mon font souffrir. Mes épaules lourdes soulèvent mes bras puissants. Mon ventre est aussi solide que de l'acier. Ma chaire est distendue de toutes parts, je n'épargne pas la moindre partie de mon corps.

Un vombrissement lourd dans mes oreilles.

J'entends imperceptiblement les battements de mon coeur qui frappent la mesure, comme si ils égrainaient le temps qu'il me reste avant de sortir de cet état second. Ma vie va reprendre son cours très prochainement dotée d'un sens nouveau, je le sais. C'est imminent maintenant.

Ma gorge se gonfle d'air de plus en plus vite, je dois expulser mon hurlement si je ne veux pas étouffer.

Un dernier battement de coeur avant la libération.

Un fourmillement désagréable inonde mes veines et mon crâne.

"RAAAAAAH !"

Mon hurlement me fait sortir de ma torpeur.

*TCHOC*

Ma hache est lancée en puissance. Mon corps se soulève plus haut encore sous l'impacte du coup. Le métal de mon arme broie l'os crânien de la créature qui me fait front et une volée de sang éclabousse mon visage. Mes talons retombent lourdement sur le sol, je fléchis sur mes cuisses pour absorber le choc de la chute. Je plaque un pied sur le torse de la créature et je tire de toutes mes forces sur le manche de ma hache pour l'extirper de son crâne.

La créature à la peau brunâtre s'écroule face contre terre en poussant une longue plainte d'orgueilleuse et douloureuse.

Mon souffle est court. J'observe sa peau se parer de cloques de chaire nauséabondes. Elle est en train de se décomposer dans un râle sourd provenant d'un autre monde.

Je reste ainsi plusieurs minutes à l'observer avant qu'elle ne disparaisse en ne laissant pour traces qu'une ombre sur le sol de roche de la caverne. J'entends l'air s'engouffrer dans l'entrée de la cavité et quelques éboulis de pierre qui se détachent du plafond du bout du tunnel. Je dois fuir, courrir le plus vite possible jusque la sortie si je veux en réchapper.

Mes pas résonne dans le boyau de terre, je détale aussi vite que je peux, évitant pièges après pièges en sautant, en me baissant, en chassant... Au dessus de ma tête le toit semble vouloir m'aplatir.

Qui aurait cru que la batisse du Démon l'aimait suffisement pour disparaître avec lui ?

Encore quelques mètres et je saute le plus loin possible devant moi. J'entends l'entrée céder juste derrière moi. Il était temps.

Je roule sur le sol de pierre sèche et je me relève en passant une main sur mes plaies pour éviter que la poussière ne les infecte.

Je ne sais toujours pas qui je suis si ce n'est que je m'appels Ark. mais j'ai tout de même une idée de ce que j'ai pu être par le passé.

Je marche une dizaine de minutes droit devant moi, j'ai repéré une oasis à quelques centaines de mètres. Lorsque j'y arrive je me dirige droit vers la marre d'eau claire et m'agenouille sur sa berge. Je plonge mes mains dans l'eau fraiche et m'envoie quelques claques revigorantes sur le visage.

Mon visage.

Dans l'eau, c'est le reflet de mon visage.

C'est bien celui que je connaissais. Je suis Ark, le Massacreur de Démon dont la renommée est solidement ancrée dans les légendes que l'on raconte aux jeunes le soir au bord du feu.

Ma mémoire revient peu à peu, je me souviens du visage de ce vieil homme qui est venu me parler.

"Le viel homme".

Je porte nerveusement mes mains sur ma poitrine et je baisse la tête. Mes doigts parcourrent les sillons d'un symbole à douze pointes sculpté dans ma chaire.

Un symbole que je ne connais pas.

Cette scarification semble désormais être la seule que je porte sans même que j'en connaisse le sens. C'est étrange.

Oui c'est étrange.

Tout à l'heure, alors que j'observais mon visage dans l'oasis, il m'a parut un instant que mes yeux se teintaient d'un reflet de flammes.

Cela fait maintenant plusieurs jours que je marche droit devant moi. Je me souviens des paroles du vieillard. On aurait dit qu'il connaissait aussi bien l'avenir que le passé. Ses phrases construites de manière enigmatique ont mit mes nerfs à vif mais j'avais besoin d'en savoir toujours un peu plus sur ce qui m'arrivait.

"Tu trouvera la situation bien ironique lorsqu'enfin tu comprendras !"

Que voulait-il dire par là ? J'ai failli lui trancher la gorge lorsqu'il m'a regardé avec ses petits yeux couroucés pour me remettre à ma place :

"Homme du Nord ne t'égare pas, la réalité te dépasse, je ne suis pas celui que tu dois combattre !"

Mais de qui voulait-il parler ? Parlait-il de ce Démon des Criptes que j'avais pourfendu quelques jours après l'avoir rencontré ? Je n'en suis pas certain. Je sens toujours planner un parfum de danger autours de moi. Et je resterai alerte tant que je n'aurai pas percé ce mystère.

J'ai remarqué que plusieurs changements sont survenus en moi ces derniers jours. Je suis devenu bien plus agressif, mon tempérament s'est enflammé. J'ai de plus en plus de mal à me contrôler, comme si une autre personne prenait le contrôle de mon corps lorsque mes nerfs se consumment.

Je ressens beaucoup moins la douleur aussi.

Et ce qui me paraît le plus flagrand...cette soif de destruction. J'ai le sentiment que je repousse les limites de ma Rage à chaque nouveau combat.



Cette nuit je dormirai sur un tapis de mousse au milieu de cette forêt d'Ombres. Je pense que mon trajet touche à sa fin.

Egon Balrogsen, me voilà.

Un songe.

Ce sont les rêves d'un autre que je vois à présent. Je le sens qui prend son envol. Vole majestueux toutes ailes déployées. Il quitte son univers pour mettre fin à son oeuvre. Je le sens qui vient frapper à la porte de mon esprit. Je le sens rongé de remord. Il est seul dans l'obscurité et elle ne lui plait plus. Il ne sait pas ou il va et le gout amer de la mélancolie le ronge de l'intérieur.

Suis-je en train de rêver à sa place ou me fait-il vivre ses derniers instants ?

J'entends siffler des vents d'une force inouïe. J'ntends des hurlements qui se déchainent, des appels à l'aide, je vois des âmes qui volent autours de moi. Qui est-il ?

J'ai le sentiment qu'il les libère tous de son joug inquisiteur. J'ai le sentiment qu'il m'offre ce qu'il a de meilleur en lui. J'ai le sentiment qu'il m'épargne, il me cache quelque chose. Je suis Ark le Massacreur de Démon et pourtant je ne ressens que de la tendresse pour cette créature ignoble.

Un battement d'aile, un souffle d'air chaud, il prend son dernier envole et me salue, il salue ceux qui sont tournés vers lui.

Je vois des enfants qui courent dans les rues d'une grande ville. Je vois le visage horrible d'une vieille femme aux yeux sans fonds, son regard se tourne vers lui. Je vois une cohorte Démoniaque envoyée pour le ramener d'où il vient.

Je vois....je vois son visage entourré d'une barrière de flamme. Son regard est triste, il n'aura pas accompli la tâche qu'il s'était donné, je le sais, je le sens.

Songe inachevé.

Au réveil le vent est glacial. Un fin manteau de neige a recouvert le sol et drappé ma peau. Une Ombre s'abat sur mon visage, je tourne les yeux. Je suis allongé sur une pierre tombale ensevellie. Autours de moi les feuilles des arbres de cette forêt si sombre on revêtu leurs parures de blanc.

"Je ne sais qui tu es Démon, mais sâches que je t'ai entendu."