Flétrissure.

Bon sang j'ai failli étouffer.

Je devais dormir un peu trop profondément.
Oui, ça doit être ça.
Un poids sur la poitrine, terrible.
Comme si on m'avait enterrée vivante...

Enfin, vivante...
Tout de suite les grands mots.

N'empêche...
Pas envie de me rendormir, là, dans l'immédiat.
On ne sait jamais que la sensation reviendrait.
Hautement désagréable.

Je me secoue un peu, boire un truc frais, grignotter quelque chose...
Mais le vin a le goût d'eau croupie, et ce que je mange, on dirait de la paille tellement c'est sec et insipide...

Beurk...

En fait j'ai pas envie de ça, j'ai envie de...
J'ai envie de...
De ?
Ah merde.
Je l'ai sur le bout de la langue.

Tiens, c'est marrant, ça.
J'étais sûre que ces fleurs étaient encore fraîches hier.
Et que ces feuillages avaient l'air nettement moins flappis.
Et toute cette mousse sur les pierres, c'est quoi, ça ?
Ca fait négligé !
Ah ?
C'est négligé ?
Oui, évidemment, suis-je bête.
Bon. Donc c'est normal.
Mais c'est moche.

En fait, c'est tout moche de partout...
Y'a un doigt de poussière sur tout, des toiles d'araignées plein les coins, les arbres ont l'air borgne et les fleurs dégénérées.
Même le reflet de la lune dans l'étang a un regard un peu malsain...
Ca me dégoûte vaguement, tiens...

Notez, c'est normal, aussi...
Ou plutôt ça va avec le reste.
Plus que des échos un peu partout quand je passe dans les couloirs, et les galopades des rats.
Qu'est-ce que je fous encore, ici, moi ?
Je suis toute seule...
C'est parce que je dormais, sans doute...
Oui, voilà, tout a tourné à l'aigre pendant que je dormais.
Mais bon, c'est pas ma faute, j'étais si fatiguée...
D'ailleurs, je suis sûre que si je me recouchais, je me rendormirais, fastoche.

Sauf que j'ai aucune envie de me rendormir ici.
C'est moche et glauque et je suis toute seule.
Même Sin est parti...
Alors qu'est-ce que je fais encore ici ?
Je garde la baraque ?
Pour qui ?

Non, c'est pas si une mauvaise idée en fin de compte.
J'ai pas grand chose à emmener, c'est vite fait.
Et les souvenirs, ben, qu'ils restent ici, et qu'ils tombent en poussière avec le reste.
Je m'en ferai d'autres.
Ou pas.

Petit trot léger, bien cadencé, on ne regarde pas à gauche, pas à droite.
Même pas la peine de retraverser cette vieille bicoque déserte et poussiéreuse, le mur de mon jardin s'est écroulé à l'Est.
Hop ! Trop facile quand on voyage léger.

Au fait, qu'est-ce qu'il y a par là ?
Beuh... aucune idée.
Et s'il n'y avait rien, par là ?
Alors tant pis.
Du reste ça ne me changera pas beaucoup...

Petit trot léger, bien cadencé.
Grand trot ample, rapide.
Galop à fond de cale.
Ces montagnes sont encore familières.
Je veux être très loin avant qu'elles aussi ne commencent à s'éroder...

Elle est partie.
J’ai entendu son silence, j’en ai pleuré de larmes sèches, bien plus discrètes que les torrents habituels que je déverse.
Je l’ai vu ne pas me regarder. J’ai suivi son galop, immobile. Je lui ai lancé un cri muet, elle ne l’a pas entendu.
Elle est partie.

Je me dis que j’ai fait ce que j’ai pu. Mais au fond, qu’ai-je fait? Pas grand chose. J’ai juste fait semblant, j’ai essayé de cacher derrière mon sourire ses troubles à elle. Leurs troubles à eux. Mais ça n’a pas suffit. Ça ne suffira jamais. Mais pas question de me résigner.

Elle reviendra.
Sa grotte est tellement vide, sans elle… Au moins, je peux y bouger sans lui marcher sur les sabots. Mais je ne peux pas non plus me rattraper à son cou quand mes pattes à moi s’emmêlent. Je m’enivre une dernière fois de son odeur, et au boulot. Dehors les vielles feuilles, au feu la paille flétrie. Un lit de fleurs éternelles vous remplaceront pour ses nuits rêveuses. Va-t’en, Lune au regard des mauvais jours. Tu reviendras en croissant, donnant à la mare son plus beau sourire. Tout doit être parfait.
Elle reviendra.

Et je l’attends déjà.