Les ruines de l'abbaye

La brume du matin se déchire paresseusement en longs voiles traînants... Le soleil tarde à paraître, le froid du petit matin est vif et humide à l'orée du bois. Au fond de la vallée, les ruines émergent lentement de la brume, comme un mirage vague et indistinct.

Les collines douces ondulent dans le lointain, enserrant les vieilles pierres comme des bras protecteurs... Quelques lieues plus au Nord, et vous l'auriez manquée, plus au Sud, pareil, elle est trop bien cachée... Vide depuis des siècles, à en croire l'état des bâtiments, délabrés, écroulés, désolés... Même le vent du matin qui siffle dans les murs disjoints a des airs de solitude abandonnée...


Pourtant quelques pièces ont encore un toit, et même, un toit presque étanche. L'eau du puits est toujours pure, et les caves des moines recèlents quelques vieux trésors dans des bouteilles cachetées...

Enfin le soleil crève l'air brumeux du matin, et frappe les murs de pierre. Et les ruines prennent vie de toutes leurs fleurs sauvages qui s'ouvrent de tous leurs arbres pionniers, de tous leurs oiseaux qui se sont depuis longtemps invités dans les charpentes...

Le temps que vous descendiez dans le vallon, il s'est élevé, réchauffe les pierres grises. Il s'est glissé par les fenêtres ogivales, transformé par les verres teintés des vitraux survivants... Dans la nef déserte, la vie végétale explose, gavée de lumière, à l'abri du vent. Dieu n'est plus ici depuis longtemps, s'il y a jamais été. Le seul dieu qui règne ici est d'écorce et de sève vivante...