Le labyrinthe au coeur de la montagne...

J'aime cet endroit...

On dirait moi, en fait.
Sombre, tordu. Imprévisible.
On passe sans transition d'un couloir minuscule à une salle gigantesque... D'une voûte vertigineuse à un abîme plus vertigineux encore...
De la lumière chiche et blafarde des lumignons blanchâtres accrochés de loin en loin aux flambeaux qui dansent sous les courants d'air moites...

J'aime me promener ici. Le silence à peine troublé par la galopade des rats, le son éloigné d'une goutte d'eau infiniment reformée... La solitude. Une paix... Etrange. Moi qui ne suis que colère et rancoeur, j'aime cette paix.

Cette salle, je l'aime tout spécialement. Immense. La voûte lointaine percée d'une fissure qui laisse entrer un jour timide, mais assez pour permettre à quelques touches de verdure de s'enraciner sur le sol rocheux. Je me place dans le rai de lumière, et je m'offre un peu de substance... Une ombre de corps... Je ferme les yeux. Et je me reconstruis.

C'est là que je rassemble les morceaux épars de ma non-existence. Je récupère un bout de fureur qui cherchait à s'enfuir. Je renoue une vieille haine qui se défait toujours... Je recouds mes colères, mes rancunes avec du fil de hargne... Je me reconstitue... Pour mieux repartir ensuite. Vers eux. Mes bourreaux. Mes pères.

Aujourd'hui, la lumière caresse mes paupières. Mon travail est presque fini, et je songe déjà à qui je vais aller tourmenter... Je souris... Que la mort est belle...

La pierre froide sous mes pieds nus...et je souris.
Les courants d'air sur mon corps métissés...et je frissone.
Quelques gouttes d'eau qui dégoulinent du plafond et qui se mêlent à mes cheveux...et je secoue la tête pour les faire couler le long de mon visage.

On dirait des larmes...

Pourtant je suis très heureuse. Ici, dans les galeries souterraines, les couloirs à explorer sont infinis. Un long boyau rocheux se dessine devant moi... Je l'emprunte, cours dedant. Une première bifurquation et trois choix s'offrent à moi. Je prends le couloir de droite. Je cours...Une pierre se dresse devant moi et je saute par dessus...Je prends le chemin, de gauche cette fois-ci...

Une immense grotte est devant moi. Une salle ornée de grandes colonnes qui semblent être d'un marbre naturel et bleuté.
Quelques pics de glace dépassent du plafond, stalactites de cristal dans cette grotte ou la temprérature est à la fois tiède et glaciale...

Et je la vois...

Diaphane, dans un rai de lumière dorée-émeraude, entre une touffe d'herbe d'un vert tirant sur le jaune et un rocher incrusté de mille petits éclats de rubis et d'opale, elle est là, les bras légèrement écartés, les paumes ouvertes vers la base du rai de lumière.

Si paisible, si mesquine aussi, ce sourire qui s'esquisse sur ses lèvres n'est pas celui d'un ange...Mais celui de quelqu'un qui n'a pas trouvé le bonheur depuis longtemps, si longtemps...

Tu es belle, Ô toi, inconnue dont la forme et la pensée sont évanescentes...Tu m'a l'air d'être entre deux mondes, pas assez réelle pour être du notre, mais ton corps n'est pas non plus celui d'un esprit pour appartenir à l'au-delà...

Je me cache dans la saillie d'un rocher et je te regarde...Ces sabots de cheval claquent sur le sol rocheux, mais je dois être discrète...

...

...

...

Foutu éternument !

Quelqu'un.

La forme éthérée s'estompe et disparaît instantanément.

Qui ?

Femelle. Centaure. Et... Et quelque chose de bizarre.

Plaqué sur la paroi, un voile de brume imperceptible court vers l'éternueuse cachée derrière son rocher. Puis s'immobilise derrière elle. Se décolle du mur rocheux et plane au-dessus d'elle.

Quelque chose... Quelque chose de malade. Non. Ce n'est pas ça. Quelque chose de... d'infecté. Je ne sais pas. Elle n'est pas normale.

La brume se condense soudain en une forme, à quelques mètres de distance de l'intruse. Une simple masse blanchâtre, fuselée, trouée de deux yeux noirs.

Qui es tu ? Qu'es tu ?

J'ai envie de me pendre...
Elle était si paisible et je l'ai dérangée... Elle était si belle, et d'évanescente elle redevient brouillard...

Une question. Une voix rauque et sourde qui me glace le sang et m'oblige à me recroqueviller dans l'ombre de mon rocher. Une voix qui, par sa simple intonation, pourrait inciter le plus courageux des guerriers à prendre ses jambes à son cou. Une voix de peur.

Qui es tu ? Qu'es tu ?

La voix s'est tue. La peur me quitte. Une vague puissante de rancoeur et d'exaspération m'envahie. Cette question...Toujours la même...
Je suis lasse d'avoir à répéter la même chose à chaque fois que je rencontre un inconnu. On devrait faire des mi-centaure, mi-vampire comme moi une race à part entière, ça m'éviterait d'avoir à décliner tout Mais quelque chose me dit que ce n'est pas à elle que je dois tenir tête...Au prochain, peut-être...
Je vais m'adresser à cette espèce de fumée qui vient d'apparaître...Avec un peu de chance, elle me répondra...

-Qui je suis ? Je suis Erylis, une amie des Hellequins, demeurant sur le flanc de la Montagne des Maudits, mais appartenant au clan d'Ishtar.

Je n'ai pas répondu à la deuxième question. Qu'elle l'oublie...

Amie des Hellequins...

La brume blanche vibre comme de rire contenu...

Amie des Hellequins je te salue.

La brume tournoie un instant, et se reforme un peu plus près. Une vague forme apparaît, très indisctincte. Assez proche de cette qui se tenait sous le rayon de lumière un peu avant, mais floue encore, et mouvante. Mais les deux yeux immenses et noirs sont toujours là. Très nettement dessinés. Toujours rivés sur elle.

Erilys amie des Hellequins, qui ne me dis pas tout, tu te promènes libre dans cette forteresse, sans crainte. Et tu ne portes pas la marque du Faucheur... Erilys amie des Hellequins... Qu'est-ce qui te protège ? Qu'est-ce qui fait que tu ne les crains pas ?

La voix est assez douce, polie et cordiale, presque... Les questions sont courtoises, presque... Pourtant il fait de plus en plus froid.

-Je ne sais pas comment je dois te nommer, âme égarée, mais sache que ce que tu dis est faux. En partie du moins. Rien ne me protège dans cette forteresse, j'ai simplement confiance parce que j'aime ces endroits, ces souterrains, ces marais.

Une pause. Ma voix continue, plus trouble et voilée.

-...mais ne crois pas que je ne les craint pas. Je n'ai pas peur d'eux, pas peur de parler et de converser avec eux, mais ils m'impressionnent, ces Hellequins. Comme ils impressioneraient n'importe qui. Mais pour rien au monde je voudrai me retrouver dans leur Temple. Je tue et je vole, sans souffrir des remords que m'inspirent ces actes, mais je ne me sentirai pas à l'aise, là-bas. J'aurai trop peur.
Je n'ai jamais vu le Faucheur. Je ne veux jamais le voir.

Ma voix s'éteint.

Tu as confiance en ces lieux, mais tu crains leurs occupants...

La forme se précise encore. De plus en plus nette, elle incline la tête sur l'épaule gauche, un sourire ironique aux lèvres...

Tu tues et tu le chantes comme on fredonne un petit air gai pour se donner du courage... Tu parles du temple, et tu n'y as jamais mis les pieds...

Elle se fige. Nette enfin. Son regard est dur et froid, lisse comme l'obsidienne.

Amie des Hellequins, que tu crains pourtant. Toi qui refuses de savoir qui est au centre de leur cercle... Tu parles bien haut et bien librement. Sans savoir pourtant à qui tu parles.

Son sourire reparaît.

Amie des Hellequins, emplie de paradoxes, bienvenue, donc, car j'aime les paradoxes. Tu ne voulais pas me voir, et pourtant me voilà.
Je suis le Faucheur.

Sous les yeux d'Erylis, la forme redevient brume, et en un tourbillon rapide, elle change, elle grandit, et se fige en une nouvelle silhouette.

Grand et décharné, vêtu d'atours antiques et sompltueux, le visage caché sous un masque fait d'os et de cornes incrustés de joyaux rouges et sombres, il se tient là, devant elle, et la contemple de haut. L'éclat derrière le masque est le même, noir et dur, et l'étincelle qu'on y lit est de pure malice.

Brusquement, il renverse la tête et éclate de rire.

Le monceau de brume se précise...Dedans, une silhouette se dessine, comme tailée dans le brouillard avec la pointe d'un couteau.

Qu'est-ce qu'il fait froid...J'ai même l'impression que la lumière s'est tarie. Elle sourit. Elle rit même. Mais tout son être respire la crainte, peut-être même la malveillance...

Pourquoi donc cette peur qui m'envahit...Je suis vampire avant tout, je ne devrai avoir peur...
Oh, non...
L'objet de mes angoisses s'est dessiné devant moi. IL me couve du regard, et je recule comme s'IL m'avait menacée d'un bâton.
Mes jambes s'enroulent, me font trébucher, tomber.

Ne pas avoir peur...
Du calme...
La mort n'est rien...
Le Faucheur...

- C'est donc vous...?

La fin de la phrase n'arrive pas à passer la frontière de mes lèvres.
Tant de pensées tournoient dans mon esprit alors qu'IL me toise de toute sa hauteur, me scrutant comme si j'étais un infâme vermisseau et qu'il se demandait s'il allait m'écraser d'un coup de talon ou me laisser en vie...

Quelle est cette sueur froide qui glisse le long de mon dos ?
Je ne prends plus aucun plaisir à me trouver dans cette grotte.

J'ai peur.
Horriblement peur.
Mes lèvres tremblent, et j'ai les mains moites.
Je me recroqueville dans un coin.
J'ai si peur...

Il éclate de rire.

C'est terrible à voir, un mort qui rit.
La poussière s'envole de ses hardes de luxe.
La mâchoire se décroche à gauche.
Puis à droite.
Elle tombe.
Il rit toujours.
Puis un bras.
Il atterrit avec un bruit sec.
Il rit.
Plusieurs côtes.
L'une d'elle reste prise dans les plis du manteau.
Et il rit, il rit encore.
Peu à peu il se transforme en un tas d'ossements et de guenilles.
Et le rire est toujours là.
Mais il change.
Plus aigu, plus clair.
Un rire de femme.

Le tas se mue en une brume blanchâtre.
La brume s'élève et prend forme.
Les yeux noirs, d'abord, puis le visage et les longs cheveux blancs, puis le corps menu, diaphane.
Elle est là, la malveillance personnifiée.
Amie des Hellequins, tu n'es pas la mienne.
Vois-tu, je les hais.
Tous autant qu'ils sont, je les hais, et je veux qu'ils crèvent, si possible lentement, en souffrant beaucoup, et de la mort la plus humiliante possible.

Ils ont changé de nom croyant que cela laverait leurs actes, les imbéciles, mais je me souviens, je me souviendrai toujours, et je resterai à leurs côtés tant qu'il en restera un.

Tes amis, Amie des Hellequins, Amie des Ithryn Luin.
Retourne vers tes amis. Tu verras bien assez tôt ce qu'ils font à leur Amies, et là tu te souviendras de moi.
Peut-être aurai-je bientôt une compagne ? Un autre bout d'âme arrachée ?

Elle la fixe attentivement...

Pour autant qu'il t'en reste une à arracher, Amie des Hellequins...
On dirait bien que tu es quelque peu particulière...

[désolée pour l'attente...]

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