Purification

J'ai suivi mes pas, au hasard. Et ils m'ont ramenée ici. Normal. Ils ont l'habitude de suivre seuls ce chemin, alors que mon esprit reste loin derrière, entre les murs noirs et froids de cet immense tas de pierre que je viens de quitter. Cette fois encore, ils m'ont ramenée dans l'étroit vallon qui a abrité mes nuits tourmentées, et mes petits matins blafards.

Mon esprit, lui, bat la campagne comme un cheval terrifié, dans un grand galop désordonné, heurté, chaotique. S'il fait mine de s'arrêter, je m'empresse de lui hurler aux oreilles, qu'il reparte de plus belle, qu'il ne se fixe sur rien, car tout me ramènerait à ça, tout...

Mon bosquet est dans l'état où je l'ai laissé tout à l'heure. J'attrape la vieille besace de peau que je traîne depuis des lustres. J'y jette quelques menus objets, un petit couteau, une pierre à aiguiser, de quoi allumer un feu. En fouillant dans le maigre tas de mes possessions, j'évite sciemment le coin où j'ai placé les roses. Je détourne les yeux à chaque fois qu'ils risquent de s'approcher de l'étagère où elles sèchent. Je ne veux pas les voir. Je veux oublier qu'elles ont jamais existé.

Voilà. Le principal est là. J'attrape mon arc et ce qui me reste de flèches. Je jette une fourrure de lynx sur mes épaules. J'hésite un instant, torturée, mais je cède, et d'une poigne rageuse, je rafle les roses sèchées. Puis je quitte le bosquet sans un regard. Quelques minutes plus tard, je gravis la pente escarpée de la montagne. Les derniers arbres laissent la place à quelques buissons rabougris, aux racines tortueuses et opiniâtres. Dans ma hâte, je m'y coince un sabot. Chute. Une douleur fulgurante au front. Aussitôt je sens le ruissellement poisseux du sang sur mon visage. Je ne l'essuie pas. Qu'il coule.

Quelques secondes d'arrêt ont suffi. Tout est là. Bien net, bien brillant, toutes les couleurs malsaines et nauséeuses, tous les visages grimaçants, les mains crochues, les voix hideuses. Tout. Tout ce cauchemar éveillé.

Je m'y attendais. C'était imminent. Mais malgré celà, ça fait si mal, si mal... Cette déchéance... Pas la sienne. Moi. J'ai aimé ça. J'ai été assez idiote pour croire... Carne stupide. C'était évident, pourtant. Tu n'as donc aucune fierté, aucune dignité. Tu as abdiqué de ton être tout entier, renié ta race. Pour ça. Cette loque humaine dénuée d'âme et de pitié.

Mais c'est fini. Fini. Fini les massacres sans fin, les remords sans répit, la douleur sourde dans le coeur, en permanence. Finie l'attente. C'est arrivé. Plus rien ne me retient ici. Ni personne.

Quelque chose me meurtrit les côtes. Mon sac. Le briquet. C'est sa pierre qui me rentre dans le flanc. Mes mains prennent les commandes. Elles agissent seules, comme mes pieds tantôt. La flamme jaillit saisissant le buisson tout proche. Puis elle gagne le buisson d'à côté, fouettée par le vent, elle grandit, elle s'étend, prend un arbre et en fait en quelques secondes une torche jaune orange, étincelante.

Je suis debout, je recule devant l'ardeur du feu. Voilà. Plus de retour en arrière. Le passé agonise, se racornit dans le brasier. Demain tout ceci sera un vaste champs de cendres. Peu importe jusqu'où il s'étendra. Avec ce lieu de désespoir et de détresse, c'est ma souffrance qui brûle. Avec les flammes dorées qui s'élancent dans le ciel nocturne, c'est ma volonté qui renaît. Droite comme je ne l'étais plus depuis longtemps, toujours à me tasser, à me voûter les épaules pour ne point les regarder de trop haut, droite enfin de toute ma taille, je regarde l'incendie se propager, et c'est mon âme qu'il réchauffe, qu'il ranime...

Le feu ronfle, feule comme un grand félin en colère. Je lui souris. Puis je me détourne de lui, et c'est à lui que s'adresse mon seul geste d'adieu. Je sors les roses du sac. Je les lui donne. Qu'il les transforme en splendeur, ces maigres reliques de mon amour maudit. Trois étincelles d'or, et c'est fini.

L'instant d'après, je file dans les ténèbres, laissant derrière moi le rugissement du feu. Légère, le pied assuré, les yeux grands ouverts, et le sourire aux lèvres. Un peu figé, oui. Un peu tordu. J'ai essuyé de la main le sang sur mon visage. La plaie à l'âme, elle, continue à saigner. Elle continuera longtemps, je le sais. Mais cette douleur est belle. Elle est pure. Elle me lave de tout ce dégoût de moi, accumulé depuis si longtemps. Plus jamais je n'accepterai de porter le joug, quel qu'il soit, volonté d'un puissant maître ou tendresse illusoire dans les yeux d'un amant. Plus jamais. Je suis libre, et la nuit est mienne.

C'est quoi ça là bas ? Mais ça sent le brûlé !! Et toute les bête de la forêt qui s'enfuient. Ce cerf à bien fahit me piétiner ! Mais le feu se propage vite... très vite... trop vite !! J'ai intéret à fuir moi aussi !

Mais ma seule chance est de passer par la rivière pleine d'eau mouillée ! Il commence à faire chaud. Tant pis, je m'élance... et je n'ai plus pied. L'eau semble s'infiltrer par tous mes orifices. Je me maintient d'abord péniblement à la surface en buvant la tasse puis j'apprend à nager avec une rapidité étonnante (sans doute l'instinct ).

La rivière contourne l'incendit en une grande courbe. Il me semble appercevoir une silouette blanche qui contemple les flammes. Serait-ce l'origine de ce brasier géant ? Une silouette féminine sur un corp de cheval. Elle s'enfuit au galop. Je tente de la rattrapper mais le temps que je me hisse hors de l'eau et elle a disparrue. Il reste du sang sur une pierre. Le sang de celle qui a assassiné la forêt... J'y passe le doigt et le porte à mon nez. Cette odeur de haine, je m'en souviendrai...

L'incendit avance et je suis obligée de retourner à l'eau. Je gagne un roché au milieu des flots sur lequel je me dresse et contemple le feu. Le poil roussi, mouillé et les membres fatigué d'avoir nagé, je ne peux que regarder ce lieu de vie partir en fumé, totalement impuissante. je ne vois plus d'animaux courrir. Je suis fatiguée...

J'ai courru longtemps...

Un long galop régulier, pas trop rapide, un galop qui tient des heures sans faiblir, rythme hypnotique des sabots battant le sol, seulement ponctué par les différences de bruit, mat sur la terre nue, sonore sur les pierres, bruissement étouffé dans les hautes herbes et les sous-bois de fougères.

J'ai sauté cent ruisseau, contourné mille rochers. Le soleil se lève, et je m'arrête à l'orée d'un bois, pour le contempler. Quelques minutes, et sa lumière blanche passe le sommet des montagnes déchiquetées, et se répand sur mon corps. Sa chaleur me frôle, me caresse, me prend dans ses bras. Je souris, les yeux vagues. Je suis épuisée...

Peut-être assez épuisée pour dormir un peu ? Je ne sais pas. Tout s'emmêle... Peut-être que je dors, en réalité, et que ma fuite n'est qu'un rêve de plus... Je ne sens plus peser sur mon coeur le remord et la culpabilité. C'est autre chose que je porte à présent. Mais je ne veux pas y penser...

Mes jambes tremblent sous moi. Il faut trouver un coin où me mettre à l'abri... Ce bouquet d'arbres cache une anfractuosité dans la falaise... Je m'y glisse, en dérangeant le moins possible les branchages touffus. Il y fait frais, le soleil levant y jette quelques piécettes dansantes...

Le temps d'un dernier sourire aux rayons qui prennent lentement leur couleur dorée... Mes yeux se ferment. Je les laisse faire. J'ignore comment je le sais, mais mon sommeil sera paisible. Pour la première fois depuis des mois...

La forêt btûle. La lumière rougeatre me brûle les yeux. Je finis par les fermer et m'endors sur ce rocher, bercée par le mumure de l'eau.

Le crépitement des flammes mèlé au chant de la rivière forment une mélodie ipnotique. Ces éléments tounoient dans mes songes. J'oublie le rocher. J'oublie même mon existance. Je suis loin ou je ne suis pas.

Un rêve se dessine. Le sol est bas. Je me rapproche. Une tache clair apparait ainsi qu'une odeur que je connais.
C'est une centaure couchée sur le sol. Est-elle en vie ? Elle est dans un coin sombre. Et cette odeur, celle du sang que j'ai trouvé.

Pui tout se trouble et je suis expédiée à la vitesse de la lumière hors de la falaise.

Mon oeil s'ouvre. Mais ce que je vois ne me semble pas réel : une vaste étendue de cendre parcemée de charbon de bois. Et poutant... Je me redresse devant ce sinistre paysage.

Le rêve que je viens de faire, ne pas l'oublier. Il semblait plus réel que le présent. Je m'accroche aux souvenirs de mon someil et le grave dans ma mémoire. Enfin, je me lève, bondis sur la rive et part marcher dans les bois. Marcher sans destination, juste pour me ranger les idées et on verra...

Être un fantôme.. Un esprit errant, plus rien que du vent, une voix issue de l'autre monde, sujet à charlataneries les plus audacieuses, de malins se prétendant clairvoyants et à même de capter les manifestations des défunts..

De connectés aux esprits il n'existe pas, ceux qui comme moi sont coinçés à l'état de spectre errant n'ont cure de cérémonies pompeuses, on agit selon notre gré, les notions d'espace et de temps, de matière et de néant n'ayant plus cours dans nos piètres existences.

Cela fait fort longtemps que je veille non loin..
Les évènements nous avaient separés, avaient rompu en deux voies distinctes le chemin unique que nous empruntions depuis tant de lunes..
Aaah.. époque bénie parmis toutes où les sabots martelant le pavé et la plaine accompagnaient mes pérégrinations, seul je ne l'étais jamais, ensemble, on ne faisait qu'un.

Les vois différentes qui séparent les êtres peuvent les conduire à des lieues, les aires devenir étrangers, n'échangeant au hasard d'une rencontre que des regards gênés, palabres insignifiantes de ceux qui n'ont plus rien à se dire.

ça aurait pu être le cas, il s'en est peut être fallu de peu, lorsque mon chemin me guida sur la voie du crime, accopagnant le soleil noir, sans illusions ni but, sans compagnie de confiance, plus qu'une rage intérieure de ne plus savoir qui j'étais...

Durant ce temps ma pouliche d'amie, la seule qui ai un jour tant compté àmes yeux, suivit sa route, empruntant les chemins en compagnie de feu la troupe de saltimbanques joviaux...
Tandis que moi j'abandonnais la vie, je gardais ce regard loitain et discret que j'avais de mon vivant, si proche sans jamais le lui avouer lorsque spectre j'étais devenu.

Car je ne l'ai jamais quittée des yeux, cette grande bourrique qui me servait ces délicieux yeux désapporbateurs chaque fois que je m'en retournai à notre bivouac la besace chagée de breloques chipées..
Je l'ai vue se jeter dans la voie du mal, lorsque la mesnie vit le jour, lorsque de doux rêveurs ils devinrent démons..
Je l'ai vu, je ne l'ai jamais compris, j'ai toujours gardé ce lien secret, cette présence bienveillante de laquelle elle ne prenait conscience qu'à mes rares apparitions où, idiot que j'étais, je me plaisais à feindre le bien être...

Car inquiet je l'ai toujours été, pour elle, ça ne collait pas.
Elle même apôtre du bien en chacun se livrant à ces chasses ensanglantées que j'eus été bien incapable de lui reprocher...

J'ai peu à peu senti comme un mal être chez elle jadis joviale et enjouée, elle qui me remontait le moral et souvent les bretelles lors de mes périodes de doute..
Mon tour serait-il venu ?
La boucle se bouclerait ainsi..

Peut être... J'ai fini par comprendre, la réalité a jaillit à mes yeux aveugles, me rendre à l'évidence, un exercice auquel j'ai trop souvent faillit..

Elle est au plus mal et c'est pour sa santé mentale que je m'inquiète maintenant, car seul un sentiment pouvait mettre ma Boadicea dans cet etat second que je ne lui ai jamais connu pour la simple et bonne raison que c'est ce sentiment que je lui croyais étranger..

L'amour.. Amoueuse.. Cette bourrique est amoureuse jusqu'au bout des sabots.. Et elle fuit, le coeur meurtri et l'âme à la dérive, cet amour qu'elle croit perdu.

Le magistral feu qui s'offre à mes yeux m'emplit d'effroi, car je sais, moi, qu'elle est l'incendiaire de ce qu'elle vénérait jadis.
Je l'accompagne dans sa fuite, bienveillant je reste près d'elle, je ne veux pas qu'elle sache, je sais qu'en elle se trouve la force de surmonter tout ça, la clé c'est elle, ce n'est pas moi..

Mais tant que je sentirai le chagrin au plus profond de son coeur, je serai à sa suite, invisible, indécelable et indélogeable... Même impuissant je dois la veiller, la protéger....

Mes pas me guident près d'une paroie rocheuse. Quelle jolies végétation au pied de la falaise. Mais, j'ai comme une impression de déjà vue.
Je longe la roche plus vers le nord. J'ai l'impression d'avoir déjà fait ce trajet.
Ca y est, je sents son odeur. Elle n'est pas loin et les taches brunes de sang sèché le confirme.
Que faire ? Elle a brûlé la forêt ! Mais à quoi bon me vanger ? Elle ne comprendrai pas qu'on l'attaque pendant son sommeil. Et un tel acte à forcément une explication.
Une fois de plus, je voudrai savoir. C'est pas prudent mais je déteste avoir peur de ce que je ne connais pas. Alors une boule de feu à la main, je pousse les branchages.
Elle est là. Elle dort. Immobile, je l'observe respirer en attendant de voir ce que le destin nous réserve.

Il fait nuit. J'ai dormi comme une morte, la journée entière, jusque bien après le coucher du soleil. La lune n'est pas encore levée, et il fait très sombre, dans ce recoin sous la falaise, où la lumière des quelques étoiles ne parvient pas...

Je n'ai le souvenir d'aucun rêve. Pourtant au moment où j'ouvre les yeux, je sais que mon visage est humide de larmes. Sensation de froid sur les joues... C'est aussi bien. Les rêves tristes, j'en ai fait assez qui me hantaient encore bien après le réveil.

Encore engourdie, je me redresse un peu. J'ai la tête qui bourdonne... J'y porte la main, et je redécouvre ma blessure au front. Je l'avais oubliée, elle aussi...

Lentement je reprends mes esprits. Et quand je réalise que tout est bien réel autour de moi, en moi, le pincement se réveille. Cette petite douleur lancinante, au milieu de la poitrine. Cet espèce de creux empli de quelque chose qui fait mal.

Mes souvenirs s'embrouillent... La salle immense, les visages... Aelis et ses victuailles cachées, Egon aux phrases soignées, Alyssandre, ressurgie du passé, Arl...

La douleur fulgure à travers tout mon corps. Brève, intense, elle me fait grimacer. C'est déjà fini, déjà elle est revenue à cette petite gêne sourde, insidieuse. Elle a fait son sale boulot. Je me souviens de tout.

Non.

Pas question de rester là à me lamenter, à m'apitoyer sur mon triste sort d'amante délaissée, de jouet cassé. J'ai pris ma vie en main, mon destin est devant moi, et je refuse de laisser le passé étendre son emprise sur ce futur encore indistinct. Je ne sais pas ce que je vais faire de cette vie que j'ai réussi à reprendre, mais hors de question de la passer à pleurnicher sur mes échecs et mes faiblesses.

Je me relève brusquement. Je saisis mon sac et mes armes, la main décidée, les sourcils froncés. Je ne suis pas encore assez loin. En route.

C'est au moment où je relève la tête pour sortir de mon abri végétal que je prends conscience que je ne suis pas seule. C'est comme un doigt posé légèrement sur le côté de mon cou, contact infime, impalpable... On m'observe.

En une seconde je suis hors du buisson et je fais volte face. La flèche est encochée, la corde tendue. Les yeux grands ouverts sur la nuit, je cherche.

Elle s'est réveillée et elle semble hostile. Mais la colère est souvent signe de peur. Alors je pardonne. Comme toujours avec trop de tolérance et d'imprudence, je pardonne.

Mais s'agit tout de même pas de se faire embrocher ! Il fait sombre, j'ai un avantage.

Je lance une branche à sa droite et une boule de feu par la gauche qui attérit sur le bas de son arc afin de la désarmer.

Un mouvement.

Arc brandi, je fouille l'obscurité.

Un choc. Les mains soudain engourdies, stupéfaite, je vois mon arc m'échapper, et la flèche libérée au hasard s'enfonce, inutile, dans les buissons.

Je suis désarmée. J'ai peur.
Qui ? Eux ? Qui d'autre ? Et comment m'a-t-on trouvée ici ? Je recule de deux pas nerveux, maudissant la lune absente, maudissant mes yeux aveugles, les mains vaguement tendues devant moi.

- Qui est là ? Et qu'est-ce que vous me voulez ?

Questions idiotes. Mais elles sont sorties toutes seules.

-Je t'ai vue contempler le feu dans la forêt. Je ne suis pas venue me battre, je suis simplement curieuse. Pourquoi t'as fait ça ? A quoi était dédié ce sacrifice ?

Toujours tapie dans le noir, je ne veux pas risquer un coup de sabot. Mais je ne laisse pas paraître la peur dans ma voix. Je dois être aussi tendue qu'elle, l'animal puissant qui cherche la bête nocturne. Elle pourrait me broiller les os sans même s'en rendre compte. Mais elle ne le sais pas, elle ne voie pas ma fragile silouette. Je peux la manipuler par sa peur mais je veux éviter la colère qui en découle et qui fait de n'importe quel être un titan.

Une voix douce, calme. Féminine. Non humaine. Une elfe, ou une félys. Je ne la reconnais pas. Mais elle me dit un petit quelque chose, quand même, cette voix...

Des questions. Et à ce qu'elle dévoile, il est évident qu'elle m'a suivi. Si elle l'a fait, d'autres peuvent le faire.

- Montre-toi. Si tu ne cherches pas la bagarre, moi non plus.

Elle est un peu à gauche, cachée dans le bosquet. Je tends l'oreille, je cherche aux alentours... Est-elle seule ? Je ne vois rien, je n'entends rien bouger...

-Bon bah... je sorts.

Timidement, je me glisse hors du buisson et afin qu'elle puisse me voir, j'allume une torche avec la même magie qui m'a permis de la désarmer.

Cette flamme me pique les yeux le temps que je m' habitue tandis que mis clos, il renvoie une lueur bleue dans l'ombre. Je dois lever la tête pour voir la sienne. On se sent un peu vunérable quand on ne dépasse pas 1m65. Je distingue parfaitement sa masse blanche. Elle me donne le vertige.

Aïe, mes yeux ! La lumière agresse mes pupilles dilatées. J'ai un mouvement de recul, et couvre mon visage de la main... Je serre les dents en attendant la brûlure... Une sorcière.

Puis mes yeux s'habituent un peu. Pas de brûlure. Et devant moi, une petite félys qui m'arrive à la poitrine, à peine... toute fine et nerveuse, elle lève ses grands yeux sur moi. Il y a un peu de crainte dans son regard à part ça très calme. Et je la connais.

Je ne sais pas d'où ni comment, mais je l'ai déjà rencontrée... Ce souvenir est bizarre, comme effacé, onirique... Mais j'en suis plus sûre de seconde en seconde.

- Je t'ai déjà rencontrée, n'est-ce pas ? Est-ce que...

Est-ce que je l'aurais tuée, au cours d'une de ces vagues de folies qui m'entraînaient au galop, le rictus aux lèvres et l'arme à la main ? Je n'arrive pas à imaginer son visage couvert de sang... Ce n'est pas ça...

Ca m'énerve, ça. Il n'y a rien de plus agaçant que de chercher à se rappeler quelque chose qui reste juste au-delà de votre portée...

Je sais l'avoir vue dans mon rêve mais c'est vrai qu'il me semble aussi l'avoir vue avant. J'ai du mal à me souvenir. Peut-être que je ne veux pas me souvenir ?

-Toi aussi tu as cette impression de déjà vue ? D'où tu viens ?

Ca me coupe le souffle, cette question. Elle manque pas d'aplomb, la petite. D'où je viens. D'où je reviens... Au moment où je décide qu'il n'est absolument pas question que je réponde, je m'entends cracher :

- D'une nuit de galop à l'ouest, de chez les dingues et les maudits, une bande de meutriers sans âme qui prétendent arracher celle des autres, voilà d'où je viens, et si tu veux savoir où je vais, c'est exactement dans le sens inverse, aussi loin que je pourrai aller avant de tomber morte moi-même, CA TE VA COMME REPONSE ?

Ca a commencé comme un grondement sourd, ça a fini en cri, et ma voix s'est cassée sur les derniers mots... Et maintenant j'ai le menton qui tremble, et les genoux, et les épaules, et tout le reste, en fait... Je la fixe, les yeux écarquillés, sans trop savoir ce qui m'a pris de lui hurler dessus ainsi, c'est pas sa faute, à elle, merde, j'ai froid tout d'un coup, qu'est-ce qui m'arrive de perdre les pédales comme ça, bon sang mais qui c'est qui pleure tout haut ainsi faut vraiment manquer de dignité pour se laisser aller ainsi tiens je me souvenais pas que je m'étais allongée dans l'herbe je suis tellement fatiguée j'aimerais dormir si seulement celle qui se lamente juste dans mes oreilles pouvait le faire tout bas je pourrais me reposer au moins y'a des gens qui sont vraiment égoïstes quand même si je tremblais pas autant je lui dirais ma façon de penser à cette...

Merde.

C'est moi...

(HRP : désolée, je viens d'aller voir un film épouvantable...)

nt nt nt...
Mais elle craque complêtement nom d'une putain moustachue ?!
Jamais elle n'aurait agressé de la sorte une pauvre petiote avant.. Surtout qu'elle a l'air toute mignonne cette felysse... Toute nue en plus.. Aaah.. de mon temps je te lui aurait sorti une de ces cour tiens !

Ma Boadicea est proche de la folie, mon dieu cette lueur dans son regard.. Faites que la folie sanguinaire qui la prend parfois depuis quelques lunes de viennent pas embraser ses sens... La petiote n'y survivrais pas, et un meurtre de plus conduirait cette fois ma pouliche vers une inéxorable dégradation de sa Raison...

Interviens je ? N'interviens je pas ?

Peut être la petiote peut lui apporter cette candeur, cette douceur perdue... C'est peut être une chance, que je dois provoquer, moi qui me sens si impuissant.

Ma main caresse sa joue d'une tendresse impalpable... Je veux dompter cette colère, lui apporter mon soutien, qu'elle sache qu'elle ne sera jamais seule et que moi je ne la blâmerai jamais....
Que faire.. sinon lui glisser ces quelques mots à l'esprit...

Dis donc ma pouliche... Je sais que partyriser les chatons a toujours été un de tes pêchers mignons... Mais où est la béate vertueuse qui m'aurait tiré les moustaches pour la moitié de ce que tu viens de faire subir à cette petiote...

Hop... Je lis quelque chose dans son regard, elle m'a entendu...huk huk huk ... après tout on va jouer un peu

- Hhhhhhhhhh !!!!!!

Je me redresse d'un coup sur un violent hoquet, blanche comme une morte. Crise de nerfs stoppée net. Je ne veux même pas savoir quelle tête j'ai au juste, la gueule en larmes, la peau blème, les yeux exorbités... Pauvre petite sorcière. Elle va croire qu'elle est tombée sur une folle. Et à vrai dire, elle ne se sera pas trombée de beaucoup, si c'est le cas...

Voilà que j'entends des voix... Et pas n'importe quelles voix...

- Vé...Vé... Vegas ?...

C'est lui. Je suis sûre que c'est lui. Il n'y a que lui pour se payer ma fiole avec autant de désinvolture dans des circonstances pareilles...

Je me retire, je n'interviens plus,ma présence pourrait plus la perturber qu'autre chose...
Elle tirera la salut d'elle même, mon rôle , celui que je me suis allouée, celui pour lequel je la veille depuis tout ce temps, mon rôle est de lui apporter mon aide, aujourd'hui plus que jamais...
Je ne peux intervenir directement, je ne suis pas celui là, elle me connait, je la connait trop, trop de passif entre nous...

Elle est au bord du gouffre, elle doit cesser sa fuite maintenant, ou c'est la folie qu'elle trouvera en bout de course..

Elle ! cette petite felysse, fraîche et innocente, la purteté, celle là même que'a toujours défendue la pouliche que j'ai connu, ces valeurs qui faisaient d'elle ce qu'elle était... Elle peut être la clé, elle peut la confronter à ses démons pour mieux les combattre.. Ou les accepter

Cette centauresse a besoin de ton aide petite... écoute la, laisse la deverser sa colère et sa haine, laisse la s'en émanciper, sois l'épaule sur laquelle elle s'épanchera, je t'en conjure...

J'ai pas tout compris.

"Végas"... de quoi elle parle ?

Mais maintenant, je sait où je l'ai trouvé la première fois. Du "trafique d'âme", c'est signé hellequin ça ! Ca doit faire longtemps qu'elle les fréquente... ou qu'elle les fréquentait.

Je la vois s'effondrer devant moi. Elle me rappelle mes propres tourments. Mais, MOI, je m'en sort ou du moins, je ferais tout pour ça et peu importe ce que je dois devenir.

"Cette centauresse a besoin de ton aide petite... écoute la, laisse la deverser sa colère et sa haine, laisse la s'en émanciper, sois l'épaule sur laquelle elle s'épanchera, je t'en conjure..."

Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que c'est ? La voie de ma conscience ? Non. Nous ne somme pas seules. C'est pas rassurant mais j'ai mieux à faire que de chercher une chose dont je ne suis pas sûre de qu'elle existe ailleurs que dans mon esprit. Il m'a sembler voir quelque chose... Peut-être que ces derniers évènement m'ont plus atteind que je ne le croyait...

Cette masse équine me parait à présent vulnérable. Sa détresse me broie les vicères.

-Alors toi aussi, tu es une victime de la Mesnie...

Je me penche un peu et pose ma main à présent dénuée de haine sur son épaule. Elle est épuisée.

-Retournons à l'abrit. Tu as besoin de repos.

Il est parti. Je l'ai entendu, et puis il est parti... Ce murmure... Cette voix railleuse, cette pointe de tendresse qui refuserait éternellement de s'avouer... Le souvenir de longs jours de route, des nuits de veille, de combats mémorables et de fou-rires épiques... Mon complice d'il y a si longtemps, mon chaton facétieux, mon matou beau parleur et faiseur de poches... Tu me manques tellement...

J'ai froid, tellement froid, j'ai les dents qui claquent... Une petite main velue se pose sur mon épaule. Un instant j'imagine que c'est la sienne, et ça me fait chaud... Mais ce n'est pas lui. Tant pis, ça me fait quand même chaud...

J'ouvre les yeux sur le visage en pointe et les yeux dorés de la petite félys... J'écoute ses mots, et je mets enfin un nom, un contexte sur sa silhouette menue... Miw, notre stagiaire... Petite sorcière que nous avons entraîné dans notre chasse... Elle tremblait, je me souviens d'elle, elle tremblait et refusait de toutes ses forces...

Mais elle n'a pas été brisée. Toute fragile qu'elle paraît, elle est vivante, et libre. L'espoir existe, donc. Peut-être qu'il m'oubliera, tueuse médiocre que j'étais, qu'il me laissera lui échapper, oublier...

La sollicitude de Miw me touche au coeur et me réchauffe. Généreuse... Courageuse aussi, je dois être à faire peur. Elle a raison. Je n'en peux plus. A peine éveillée et déjà épuisée... Ce n'est pas ainsi que je parviendrai à m'éloigner suffisamment d'eux...

Je me relève péniblement, fourbue, les épaules pendantes. Je ne peux faire mieux qu'un regard, un maigre sourire, pour la remercier... Un mot murmuré...

- Pardon... Ces mots... Pardonne-moi de t'avoir crié dessus ainsi... Ce n'était pas pour toi, cette rage...

Elle m'a accompagnée jusqu'au bosquet que je viens de quitter... L'ombre embrume déjà mes pensées, je ne tiens plus debout, ou à peine... Effondrée dans mon creux de rochers, je tente un dernier regard de reconnaissance mais trop tard, le sommeil m'emporte, et son image se fond dans un brouillard épais.

Elle dort.
Sa colère semble loin, j'ose espérer assez pour qu'elle ne vienne pas lui embraser les tripes à nouveau, j'ose même espérer qu'elle ai quitté le navire pour de bon..
Mais ce mal que je ne connais pas, je le soupçonne d'être difficilement délogable, ces pulsions meurtrières qui l'assaillent sont l'oeuvre d'une force qui m'est étrangère, comment se battre face à l'inconnu ?

Ce n'est pas mon combat, c'est le sien, mais je veille, impuissant, pestant contre moi même, contre cette reconnaissance idiote sur les plaines de Barla qui a scellé mon sort, m'a privé de vie physique.. Me réduisant à l'état de spectre, sans pouvoir épauler ceux que j'aime, elle la première..

Cette petite felys je crois en elle, bordel à couilles Boa ouvre les yeux, contemple la pureté, reconnais celle que tu protégeais de ton bienveillance jadis..
L'amour... Le plus complexe des sentiments s'est emparé de la raison de ma pouliche.. Oserais je lui en parler ? Moi qui me complaît à railler la pureté, qui moquait naguère la profonde gentillesse de son âme, pour vainement me convaincre que cette vie n'était pas la mienne...

Tu me manque ma pouliche...
Elle dort et je reste là, à la regarder.

Son sourire, si faible qu'il soit, est déjà une victoire. Elle ira mieux... mais peut-être pas seule. Peu importe ce qu'elle a pu faire, comme à mon habitude, je pardonne. Après tout, personne n'est parfait et surtout pas moi.

Je décide de m'occupper d'elle. Elle va me permettre de ne plus penser à mes propre tourments. Je lui amménage un mègre coussin d'herbes et de feuilles sèches pour rendre son sommeil plus confortable. Un petit feu de camp nous réchaufera. Avec quelques brindilles et un peu de magie, c'est chose faite.

Pendant plusieurs heures, je veille sur son sommeil. Puis celui-ci me gagne. Il ne lui arrivera rien ici. J'en profite pour me recrocviller près du feu où je m'abandonne au monde des rêves.

Le soleil levant...

Il caresse mes paupières à travers les feuilles de mon abri de buissons... J'ouvre les yeux, malgré leur résistance. L'herbe est humide de rosée, j'ai les cheveux et la peau un peu moite... Je frissonne. En me redressant sur les genous, je vois le soleil s'élever au-dessus des montagnes de l'autre versant de la vallée... La ville qui se trouve un peu au nord envoie les volutes de ses foyers pour filtrer ses rayons, mais le vent matinal les dissippe sans mal... Je souris. J'aime l'aube.

Je ramène els yeux sur l'intérieur de ma cachette... La petite Miw dort à poings fermés, près des vestiges d'un petit feu. Je frissonne à l'idée de la lueur d'un feu dans la nuit, phare pour les tueurs en tous genre, y compris pour ceux que je redoute... Pourvu qu'ils n'aient pas remarqué ma fuite... Ou s'ils l'ont remarquée, pourvu qu'ils s'en moquent...

Un petit tas de feuilles tassées est étalé à côté de moi... Il était sous ma tête. Ce n'est pas moi qui l'y ai mis. Je souris à nouveau... Adorable petite sorcière... Je la brutalise, et elle, elle me cajole. Roulée en boule auprès de ses cendres depuis longtemps refroidies, elle paraît infiniment vulnérable. Et surtout glacée.

Je me lève sans bruit. La fourrure de lynx qui me sert de cape quand le vent est vraiment trop froid vient recouvrir sa forme menue. Je prends bien garde de ne pas la réveiller. Puis je prends mon arc et je quitte le bosquet en silence. J'ai faim. Elle aura faim aussi. Ce petit bois entrecoupé de clairières est un paradis pour la chasse... La ville est proche, mais pas assez pour effaroucher le gibier. Bientôt un couple d'oiseaux bien gras tombe sous mes flèches. Vidés, plumés en un tournemain... Une baguette de bois vert pour les enfiler dessus... Petit déjeuner.

Je coustruis un feu à l'abri d'un contrefort rocheus, à quelques mètres de notre cachette. J'avais songé un instant à rallumer le sien, mais autant la laisser dormir... Pendant que la graisse parfumée fait grésiller les braises, je récolte quelques racines, tendres, le grain de qualques graminées sauvages. Une fleur orange attire mon attention... Un délice poivré qui relève le goût de n'importe quoi.

Une demi-heure plus tard, les volailles commencent à laisser voir une chair ferme à travers la peau dorée et craquante, et mes racines finissent de cuire dans leur pot de terre posé tout contre le feu. Le parfum me fait gronder l'estomac. Je jette un coup d'oeil vers ma conpagne improvisée... Ses moustaches frémissent...

Ca sent bon. Oh ! un poulet ! Je bondis dessus lui tord le coup et le mange. Mais il a un drôle de goût . Depuis quand les poulets ont-ils des poils ? Tiens ? Mon oeil s'ouvre. Je savais pas qu'il était fermé. Il n'y a pas de poulet. J'ai rêvé et c'est une peau d'animal que je suis en train de machouiller. Bah ! Je suis déçue ! Mais ça sent la centauresse. L'odeur de mon rêve est toujours là, elle aussi.

Je me tortille dans tous les sens pour m'étirer puis je me lève. Ma protégée n'est plus là. Mais ça sent bon dehors. Je sort la tête de la tanière et retrouve l'équidé et un déjeuné.

Elle a l'air d'aller bien. C'est agréable. Un grand sourire s'invite sur mon visage tandis que mes yeux se plissent devant l'aube.

Je viens m'assoir à côté du petit feu (j'aime le feu ) et lève mes petits yeux vers la silouette blanche.

-Bonjours. Comment ça va ?

- Mieux.

Je tourne la broche improvisée. Nouveau grésillement dans les braises. Toute simple, souriante... Communicatif, son sourire.

- Beaucoup mieux.

Je la regarde dans les yeux, ses étranges yeux chatoyants de félin. C'est la première fois que je rencontre un être aussi totalement dépourvu de malice. Pure comme l'eau de source... Le coussin d'herbes me revient en mémoire, la main compatissante de cette nuit... Mon sourire se teinte d'émotion, mon regard vacille un petit peu...

- Merci d'être restée. je ne sais pas trop pourquoi tu l'as fait, mais... enfin, merci. Et désolée pour la crise de nerfs... Je sors d'une assez sale période et... Enfin soit.

Je touille mon mélange de racines, pour me donner une contenance. Difficile de ne pas penser au temps où moi aussi je regardais droit devant moi, et où j'avais l'oeil aussi clair et pur que le sien... C'est bien différent à présent... Où que j'aille, ma culpabilité me suivra...

Les bestioles sont cuites. J'en enlève une de la broche et la lui tend, à la pointe du couteau.

- Grive farcie aux herbes des bois. Et la purée de racines de galiat sera prête dans 5 minutes. J'y ai mis quelques capucines poivrées, j'espère que tu aimes ?