La peur au fond des yeux.

( suite du rp 'fuite dans les ténèbres' )

Elle a suivi Boa dans un dédale de couloirs de pierre.
Par les rares fenêtres qui percent les murs épais, elle aperçoit tantôt quelques arbres, ou bien un versant de montagne, ou encore une tour voisine à celle dans laquelle les deux femmes marchent.
Et toujours, toujours, le soleil.
Qui luit.
Il semble se moquer d'elle, le soleil.
Lui, il brille.
Il éclaire, d'ici, on dirait une petite ampoule qui rit du malheur des autres, qui s'esclaffe de tout, qui regarde le monde pleurer en riant, qui voit les hommes mourir en riant...Lui, il rit, il rit, il rit.
Alquäloth serre les poings et les dents. Les yeux aussi. Chaque fois qu'elle passe devant une fenêtre, elle ferme ses yeux. Elle ne veut pas voir la lumière du soleil.
D'ailleurs elle préfèrerait aller courir sur l'herbe de sa forêt. Dans un endroit sans murs ni limites pour l'entraver.
Courir. Comme cette nuit.

La main sur son épaule.
Elle la sent.
Son regard se porte sur la centauresse.
En fait, qu'importe les murs, qu'importe le soleil.
Elle reste avec elle.
Point.

Enfin, Boadicea pousse une porte de bois massif.
Elle invite Alquäloth à y rentrer.
Une salle confortable, avec un feu qui ronronne dans l'âtre d'une cheminée.

Exténuée, l'elfe se laisse tomber dans un fauteil mou, et s'aperçoit alors combien elle est fatiguée.

Elle craint la lumière.
Elle l'évite.
Ca reviendra...
Un jour.

Je la laisse s'enfoncer au creux d'un fauteuil, profond et doux comme un coeur de mère.
Je ne parle pas, pas la peine.
Pas maintenant de toute manière.
Elle a besoin de temps.

A genoux devant le feu, je l'éveille un peu, son épaule était froide.
Une bûche ou deux, j'attends un instant qu'elles prennent.
C'est hypnotique, apaisant.
Deux choses m'apaisent, un feu qui brûle ou la course de l'eau.
Deux choses qui me font penser combien le monde est vieux et vaste, et combien il se moque de ce que nous faisons de notre temps de vie si bref.
Deux choses qui me font oublier ces notions de Bien et de Mal, si étriquées, si simplistes... à notre dimension mortelle.
Bien et Mal sont deux jumeaux ennemis.
Deux reflets du même acte dans deux miroirs différents.
Ils n'ont pas d'existence.
L'acte existe.
Ses conséquences existent.
Et c'est tout.

Elle est épuisée, la petite elfe.
Ses yeux sont deux cavernes noires.
Je la laisse une seconde, il y a toujours un pot d'eau près du feu. La grosse tisannière est là, comme d'habitude, les bocaux d'herbes. Je choisis les herbes qui sentent bon, qui apaisent les coeurs tourmentés. %Mon chargement sur un plateau, je reviens auprès d'elle. Eau chaude, et les vapeurs déjà s'élèvent autour de nous.

Est-ce pour elle que j'ai choisi ces feuilles et ces pétales ? Ou pour moi ?... Peu importe. Peu importe les vieux souvenirs qui remontent, lambeaux de cadavres presques putréfiés, à l'odeur tenace. La tisane vous chassera. Elle chassera les siens aussi, pour un temps.

Je lui verse une chope, elle pourra y plaquer ses mains. Une bonne cuillerée de miel, pour le sourire, je ne lui demande pas son avis. Je lui tends le mélange.
Partageons...
Nous partageons déjà pas mal de choses, petite.
Alors partageons ce réconfort-là.
Il est passager.
Mais même passager, il est toujours bon à prendre...

Alquäloth a marché dans des rêves épais et obscurs.

Le contact d'une paume sur son épaule glacée la tire de sa léthargie.
Elle attrappe à pleines mains la chope, pensant y trouver de la bière.
Mais ce n'est pas le cas.
Des senteurs de fleurs sucrées et douces emplissent la pièce, c'est une tisante bouillante qui fume dans la grande tasse.

Elle inspire pendant une ou deux secondes la vapeur qui s'élève en volutes tournoyantes, pour se perdre quelque part entre le plafond et le sol.
Elle avale une petite gorgée du breuvage.
Ca sent bon les fleurs et le miel, c'est bon, elle a l'impression d'y voir plus clair, comme si on venait de laver à grande eau fraîche des fenêtres incrustées de saleté à travers lesquelles elle essayait vainement de voir quoi que ce soit.

Elle se sent toujours aussi mal, une boule au creux du ventre et la honte dans le coeur.
Mais au moins, elle a l'esprit bien rangé, plié, soigneusement empilé.

Et elle aime avoir les idées en place, en ordre, des idées qu'on a pas besoin de chercher pendant des heures dans son esprit avant de les trouver.

Se demandant vaguement ce que contient la tisane, elle regarde Boadicea, sourit un peu, et...

...rien du tout. Elle veut parler, mais n'y arrive pas, les mots ne viennent pas, elle n'y arrive pas...

Elle avale un peu de tisane.

Les mots sortent tout seuls, finalement.

- Boa...Est-ce que tous les Ithryns sont comme ça ? Des enveloppes sans âmes, où avec une âme torturée à l'intérieur...Je vous ai vu rire, quelque fois, tous rire...Que vais-je trouver ici ?

Au moins, elle parle.

Ses mots me glacent.

Est-ce que tous les Ithryns sont comme ça...
Comme moi, comme Erohir.
Vides, désabusés, fatigués de vivre...

Mon âme n'est même plus torturée...
Mon âme est léthargique.
Elle hiberne sans doute durant cet hiver qui n'existe que pour moi...
Est-ce que tous les Ithryns sont comme ça ?
Et qu'en saurais-je...
Depuis quand est-ce que je n'ai plus croisé les pas d'un autre des occupants de ces lieux ?
Je me terre dans ma jungle privée, je me cloître loin des guerres et des meurtres, et ce faisant je perds les fêtes aussi...

Je ne sais que lui répondre...
Je la regarde, elle semble épuisée et anxieuse.
Je la comprends trop bien...
Est-ce un refuge ou un tombeau ?
Est-ce que parce que c'est mon tombeau, ça n'en sera pas pour autant un refuge pour elle ?
Je ne sais que lui répondre...

Et finalement ça vient sans que j'y pense.

Tu y trouveras les Ithryn Luin. Leur âme est bien présente, quoi qu'il arrive elle est toujours là. Tu verras ceux qui rient, ils sont juste allés rire ailleurs pour le moment, c'est tout... Les torturés sont là aussi, et parfois ils rient quand même.

C'est l'essence de ce qu'ils sont.
Ils changent d'un jour à l'autre, d'une minute à l'autre parfois.
Ne t'inquiète pas de ce que tu trouveras, petite.
Tu y trouveras de tout, beaucoup, trop parfois.
Mais jamais d'enveloppes sans âmes.

Et je me rends compte que c'est la vérité.
Et que j'ai dit "ils".
Et pas "nous"...

Mais qu'est-ce qui m'arrive...

De sages paroles, des vrais mots, du vécu, des phrases qui sont authentiques et basées sur des faits, non des suppositions, des préjugés...

Du vrai, quoi.
Des paroles claires et limpides même si elles font quelques fois mal, piquer les yeux.
Alquäloth avale un gorgée du breuvage-remède. Ca passe de travers.
A cause de sa gorge qui est nouée, serrée comme un poing...

Elle lève un oeil, timide, vers la fenêtre percée dans le mur, au-dessus d'elle. Le soleil la pique, mais elle supportera.
Ses yeux brillent de larmes à cause de cette lumière trop étincelante.

Une légère buée se dépose sur la vitre, grandit, diminue, s'estompe puis recommence à grandir, diminuer, s'estomper, au rythme des respirations d'Alquäloth.
Elle appuie son front un peu trop chaud sur la fenêtre, dans la buée.
C'est frais, rafraîchissant, ça l'aide à penser, à réfléchir...

Elle ressasse les paroles de Boadicea.
Neutres.
Véridiques.
Et enfin elle murmure quelques mots.
Qui viennent déposer chacun leur propre buée sur la fenêtre.

- Je crois que j'ai compris...Je ne suis pas sûre, mais je crois...

Oui, elle croit...
Elle croit, elle espère avoir tout compris...
Ce serait trop beau.
Voir trop tôt.

» Loin des yeux...
» Les yeux emplis d'embruns...
» Lylou & Arlequin. Rencontre au fond d'un poche