Nouvelle cible

La chaleur est étouffante, l'air se charche d'humidité et d'iode, la rumeur des oiseaux marins se fait plus précise. Je file à travers le dédale de ruelles sans hésiter. De temps à autres, un curieux suit ma sombre silhouette du regard, intrigué, puis retourne à ses occupations, oubliant déjà la cape virevoltante au milieu des badauds.

Je plonge ma main dans la bourse qui pend à ma ceinture et en sort un petite épingle d'argent que je m'empresse d'accrocher au revers de ma cape. Je bouscule un homme, qui se retourne, furieux. L'expression de son visage se fige alors que son regard croise le mien. Il vient de voir la marque qui orne mon front, les lames torturées croisées en une croix funèbre. Quelques minutes plus tard, il s'écroulera raide, le corps tendu à se rompre, les yeux révulsés, la langue pendante, couverte d'une écume blanche.

Je suis déjà loin.

Mes pas me mènent sur les quais. Sans m'attarder, je passe entre les marins ivres qui déchargent le contenu de leur vaisseau et les commerçant braillard qui discutent le prix de leur cargaison. Un seul de ses bateaux m'intéresse... Une grande silhouette au bois sombre et luisant, les voiles teintées de rouge dansant dans la faible brise. Je m'approche de l'embarquadaire. Un homme s'avance pour me barrer la route, j'esquisse un signe complexe de la main et montre l'épingle d'argent sans même ralentir mon avancée. L'autre s'écarte vivement et me salue avec déférence. Sans lui accorder un regard, je monte à bord.

Quelques instants plus tard, je quitte le navire et me dirige vers les ruelles de la ville. Je lève les yeux vers la silhouette escarpée des montagnes.

Au détour d'une allée, je disparais...

Je la suivai dans ce dédale de rues, c'est bizarre, j'ai l'impression qu'elle les connaît autant que moi. Et pourtant, je ne l'ai jamais vu dans la ville. Raison de plus pour la suivre, elle m'intrigue, cette inconnue.

Je joue des coudes pour me frayer un passage dans la foule un peu plus dense à chaque fois. Je suis les mouvements de sa lourde cape, étant donné que, vue de dos, sa tête ressemble à toutes les autres encapuchonnés qui passent. Si je ne m'abuse, c'est vers le port qu'elle se, ( et moi aussi par la même occasion ) dirige. Un attelage de deux chevaux, suivis par une carriole me sépare d'elle. Avec un grognement de déception, je me rue vers l'engin, le contourne, mais la marée humaine s'épaissit de plus en plus. Là, ma taille n'est pas à mon avantage. Être petite, pour une filature, c'est bien pratique mais lorsqu'il s'agit de retrouver une inconnue dans une foule qui vous dépasse tous de deux têtes, l'avantage s'envole...

Jurant entre mes dents comme collées par la déception, les mâchoire crispées, je me dirige droit vers le port, croisant les doigts à l'intérieur de mes poings serrés, m'arrête devant un bateau ancré au quai. Un navire avec des voiles rouge.

Elle a disparu...Je regarde autour de moi, frénétiquement...Et tape du poing sur un tonneau, de déception. Raté. Saleté de carriole...

C'est au moment où je me dis que tout est perdu, que je ferai mieux de rentrer à l'auberge, que la silhouette surgit du même bateau aux voiles rouges. Une moue surprise vient habiter mon visage, une brusque bouffée d'air s'échappe d'entre mes lèvres entrouvertes, gonflant fugitivement mon torse. Je me mords la langue, machinalement, et, d'un geste preste, rabats mon capuchon sur mon visage. Des cheveux violets ne sont pas recommandés pour passer inaperçue.

Un marin a laissé traîner une bouteille de je ne sais pas quoi sur un tonneau posé à la verticale. Pendant qu'il s'évertue à fermer une caisse récalcitrante, j'attrape la bouteille, en bois quelques longues gorgées. Aucun doute. Du rhum. Le marin se retourne, me gratifie d'un regard un peu vide mais très surpris qui ne tardera pas à virer à très en colère si je ne cesse pas aussitôt. Je repose la bouteille sur le tonneau, et, sans un regard pour l'homme, me retourne en direction de l'inconnue qui traverse à présent à passerelle ralliant le pont du navire à la terre ferme du quai. Elle passe près de moi, j'entends un tintement qui semble venir d'une poche remplir d'or. Une tueuse à gages. C'était donc ça...

J'attends qu'elle se soit éloignée pour continuer à la suivre discrètement, tout en me disant que cette histoire va peut-être finir par être plutôt dangereuse...

C'est un être étrange d'où émanent de multiples facettes : un ange subalterne, un démon facétieux. Il se meut dans un silence suprème, joue de la cape, le regard sentencieux.

L'air sent le poisson, les regards sentent la suspicion, la mer roule son long sanglot sur quelques gravillons.

Quelques mouettes volent encore en braillant de n'avoir pas trouvé pitance à leur nez.

La moiteur du moment imprègne les vêtements. L'odeur du reniement que le marin cultive dans son long tourment fait rire les filles et ricaner leurs amants et fendant de sa cape cet évènement, ce pesant Capitaine, ce Maitre du vent fustige la quiétude habituelle du présent !

Il est venu, il a fendu la foule et il a prit possession du bateau et de son maigre équipage.

Son inspection terminée, il s'en est retourné vers de noires tavernes, vers de lugubres sentiers où Dame Nature n'a jamais mit le nez... Sans doute à la recherche d'un Maitre de Quartier, d'un Gabier ou d'un Valet de pied...

Cette étrange attitude, ce poing serré sur un tonneau qui ne lui a rien fait, ces gestes brusques comme si elle se noyait... juste par le passage d'une carriole menée par des chevaux !

Cette cape jetée sur ses cheveux, cette précipitation à saisir une bouteille que lui tend un marin inconnu, cette délectation, cette extase à savourer un breuvage trop puissant, trop ardent pour une si délicate gorge, une si fragile personne me laisse ignorant du temps et des évènements...

Je prends le parti, tel un pleutre, un sinistre pantin, de me cacher sous les galets, de m'extraire aux tourments, de taire mes sentiments et d'attendre la lune, avant d'ouvrir un oeil et de remuer un orteil.

[Mon rp a été édité, il se poursuivra dans un autre sujet.]

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