In espérance?

Musique

Il fait froid, la pierre est sèche.
Le silence s'est installé lentement, il aura mis des semaines.
Il a envahi, s'est insinué, il a fait taire les murs qui riaient encore.

Le silence mort et froid, sec, qui a pris possession de la forteresse.

Egon l'a vu, ils l'ont tous vu, Hellequins ou Mages Bleus, saltimbanques ou chasseurs d'âmes, palladins ou tortionnaires. Ils l'ont tous vus arriver comme une brume lente et diffuse, mais ils se sont détournés, ont voulu croire que les échos seraient immortels, que les rires danseraient à jamais dans les longs couloirs.

Mais le silence gagne toujours et il partage les territoires conquis avec son frère l'oubli. On croit résister un temps mais on ne fait que repousser le crépuscule, un peu.

Egon a froid aujourd'hui, un petit peu plus qu'hier. Il ne veut pas le sentir, il cherche à se convaincre que le printemps est juste un peu timide cette année, et qu'il fait juste un peu plus calme. Mais il sait au fond de lui que ce qu'il veut prendre pour de la quiétude est une vague vide et sans force, mais irrésistible, qui pourra repousser les volontés les plus ancrées, lentement s'il le faut, et avec douceur, inexorable.

Il referme son livre, se lève, frissonne un peu, croise les bras et se frictionne en soupirant, et...

cet instant, comme un souffle infiniment léger qui passe sans qu'on sache si on l'a vraiment senti, comme un bulle qui disparaît si vite qu'on doute qu'elle ait existé...le temps d'une inspiration, même pas, d'une demi, un vertige à peine perceptible, un déséquilibre aussitôt rétabli, comme un...

...fil qui se détache.

En quelques pas, il est à la fenètre. Ils sont là. Il sont sortis, ont marché le long de la petite rivère qui serpente avant de se jeter dans le lac, tout proche. Ils sont trois et ne semblent qu'un être, un seul coeur qui bat, une trinité élue.

Ils ne marchent plus. Arlequin et Alyssandre, et entre eux, Boadicea. Depuis la fenêtre, Egon peut voir qu'elle porte en sautoir le Don du Faucheur. Il sont immobiles, et si intensément unis. Arlequin et Alyssandre regardent Boadicea et on dirait que...

Oui, Egon, le temps est venu pour eux de choisir, enfin. Ils ont compris qu'ils pouvaient répondre eux-même aux questions qu'ils se posent quand ils sont sortis du temple.

Egon ne se retourne pas, il sait que c'est inutile, il est lui aussi sorti du temple à la suite d'Alyssandre, il sait.
Comme une main sur son épaule, la voix du faucheur qui lui parle par-delà, le réconforte, l'ancre un peu, peut-être fait-il moins froid...

Est-ce que...

Peut-être Aëgo, peut-être...celà ne m'appartient pas...

[ HRP : J'aurai bien aimé posté dans le rp in espèrance, mais il étais réservé...Alors je m'installe ici, dis moi Egon, si ça ne va pas ! ]

On aurait pu croire à une statue.
Une statue, penchée dans un équilibre précaire, sur le rebord de la falaise déchiquetée.
Si ce n'était ses cheveux qui battaient son visage rigide dans le vent.
Mais des cheveux peuvent être factices...
Tout comme un physique peut révéler autre chose...
Comme un coeur qui bat peut-être de pierre.

Et pourtant elle voit.
Droite et comme de marbre, elle observe, détaille, reconnaît.

En bas, de l'autre côté du pont, trois silhouettes.
Unifiés, main dans la main, yeux dans les yeux.

Elle reconnaît...
La silhouette du milieu.

Celle qui est blanche.
Grande.

Celle qui sourit.
Celle dont elle connaît le regard.
Celle qui l'a rassurée.
Celle qu'elle ne veut pas voir partir.

Une statue qui respire.
Yeux grands ouverts.
Elle vaccille sous les assauts du vent.
Mais un signe ne trompe pas.
A-t-on déjà vu une statue pleurer ?

Une larme a fait plisser sa paupière, s'est glissée, lentement, progressivement, inexorablement, au coin de son oeil, formant quelques ridules éphèmères.
La goutte qui vient s'étaler sur la pierre rude porte le nom de Boadicea.

La statue s'anime.
Secoue la tête.
Respire plus vite, saccadémment.
Chaque larme qui tombe est baptisée du nom de sa protectrice.

Protectrice...Boadicea ne l'a jamais su.
Mais Alquäloth la considérait comme telle.
Elle avait confiance...
Mais plus maintenant...

Un nom, murmuré du bout des lèvres, disparaît bien vite dans la grande rumeur du vent. Alquäloth ne s'est même pas rendue compte qu'elle le prononçait.

-Boa...

Elle a mal, son coeur pique.
Elle n'y croit pas. Ne veut pas y croire.
Reste...

La conscience d'Alquäloth lui a retourné une gifle magistrale et la sermonne.
"Egoïste, orgueilleuse Alquäloth ! Tu pleures et te lamentes, pour que restes avec toi quelqu'un qui est heureuse de partir ? Honte à toi ! Ne penses pas à toi. Penses à elle. Si tu l'aime tant que tu le proclames en pensée, alors sois heureuse et bénis ce jour où elle se délivra de l'emprise du Faucheur. Du jour où elle fut libre. Du jour où elle franchit le pont des Hellequins pour partir !"

Rien à faire, elle n'y arrive pas. Elle s'en veut, et elle lui en veut, et en veut à tout et à tout le monde. Et surtout, elle en veut à lui...

Faucheur...
Faucheur !

"Crève, Boa. Je suis seule à présent. Tu m'as...Tu m'as abandonnée ! Crève, Faucheur, crève, conscience qui veut me faire regretter ces pensées. Boa, tu me tues à t'en aller. Crève, crève, crève, tu m'es trop chère pour que je puisse dire quoi que ce soit d'autre..."

Quel que soit le regard qu'elle porte sur le monde, haineux, vengeur, reconnaissant, flamboyant, amoureux, qu'importe, elle la déteste, elle se déteste, et elle l'aime tout en même temps...

Ils sont partis.

Ils sont arrivés.

Ils ont choisi.

Après que Boadicea se fut éteinte, Alyssandre s'est frappé le coeur, et Arlequin ,dans le même temps a choisi de quitter la terre.

Leurs âmes dansent à présent, nue et lumineuses, libérées du poids de la matière, de l'espace et du temps. Ils sont tellement plus. Ils sont encore là. On peut sentir leur force, on a l'impression de les voir. Ils n'ont pas choisi l'absence, ils n'ont fait que trouver le chemin de l'éclosion. Egon sentit tout celà, il le comprit sans le formuler, comme on sent la fatigue, comme on sait que l'on est en train de rêver, sans qu'il en faille la preuve.

Et il y avait plus.

Egon, écoutes-moi à présent. Tu peux - nous pouvons - leur offrir le pouvoir d'habiter leurs corps, de revenir quand ils le souhaitent. Il va te falloir agir, avec toute l'aide que tu pourras trouver. Leurs corps doivent être retrouvés très vite, il faut empècher qu'ils soient meurtris.

Egon, je voudrais...je voudrais réussir, cette fois.

La voix du Faucheur, pour la première fois, trahissait une émotion appréhendable pour un humain. Une sorte d'hésitation, une angoisse ténue, mais réelle.

Egon, je...j'ai été trahi. Ce que nous allons leur offrir m'a été refusé il y a bien longtemps. Il...ce prètre a brulé mon corps alors qu'il devait accomplir le rituel... Cette fois, celà ne doit pas arriver. Va, sorcier.

Tristesse, douleur, résignation, Egon percevait les émotions qui affluaient avec les paroles du faucheur et qui le suivaient comme une traine alors qu'il courait le long du sentier vers le corps d'Alyssandre.

Il sentit aussi la détresse d'Alqualöth.

Il s'agenouilla et retourna la guerrière. Son corps, tiède encore et souple, n'évoquait la mort que par le sang qui maculait la tunique. L'épée se libéra d'elle-même. Egon apposa ses deux mains sur la plaie et scanda une courte invocation gutturale qu'il répéta quatre fois crescendo. D'abord en murmurant, la quatrième répétition sonna comme un cri de guerre. Un bref éclair de lumière blanche jaillit de sous les mains du sorcier. Il les porta à son visage en grimaçant de douleur et souffla lentement sur ses paumes en psalmodiant. Les brûlures pouvaient laisser croire qu'il avait plongé les mains dans une forge, elles s'estompèrent doucement à mesure que le sortilège opérait.

Alyssandre...

Arlequin et Boadicea. Il fallait les retrouver. Quelque part, au fond de l'eau...

Aidez-moi!

Hellequins, Mages Bleus, entendez mon appel.

Il vous faut réunir vos forces. Trois des vôtres connaissent l'accomplissement d'avoir passé la porte d'un monde qui englobe le vôtre. Rejoignez Egon, toute l'aide que vous pourrez lui apporter sera bénéfique.

Entendez, Mages Bleus, Hellequins, entendez!

C'est moi aujourd'hui qui vous supplie, entendez!

je ne sais pas pourquoi, mais aujourd'hui, je me sent mal. Je n'ai pas de fièvre mais pas d'appétit non plus. Comme j'en ai pris l'habitude, je marche la où mes pieds m'entrainent, guidés par l'inquonscient.

A mesure que j'avance, je sent le vide... mais un vide trop vide. J'ai la tête qui tourne et il me semble entendre des voix dans le vent.

Liûie, c'est toi ?

Question stupide ! Je sais bien qu'il n'y a pas de réponse.

Un frisson quand je m'approche du gouffre... pire ! Il me semble voir, entendre, sentir ... je ne sais par quelle sensation, mais il y a une chûte... Mais ça semble tomber sans arrêt... un peu comme dans ces rêves où l'on sait que l'on tombe sans savoir où ni pourquoi.

Une fois de plus, je maudit cet aptitude que j'ai à capter ce qui ne m'est pas destiné.

Pendant un instant, je n'entend plus mon coeur. Il me vient comme en songe l'image d'une dame blanche froide comme la pierre.

Puis soudain, je vomis. Je tousse crache et râle. J'entend à nouveau mon coeur et même tout mon sang qui m'irradie.
Et cette impression mole, poisseuse, froide... une impression presque de pourri.

Je m'assoit, les genoux repliés contre moi et aggrippe une touffe d'herbe. Ramenant l'autre main sur ma poitrine, je souffle comme un chien pour m'assurer je vis et que ça ne risque pas de changer.

Les yeux écarquillés, j'ai tout juste le temps de ravaler ma bile avant de me rendre compte de la scène qui échappait à ma vue et pourtant juste a côté de moi, tandis qu'à quatres pattes dans l'herbe, je crachais le contenue de mes trippes pour m'assurer que j'en avais.

Une rouquine baignant dans son sang et Egon penché sur elle.

Mon oeil plus éveillé que jamais ce tourne vers la rivière. Est-ce que je cherche quelque chose ? Surement. Peut-être la dame blanche. Ou plus de choses...
En tout cas, je sais des choses. Peut-être les ai-je déjà vues au cours d'un rêve prémonitoire, ou par je ne sais quelle intuition. Mais je sais. Mais ça ne ce dis pas avec des mots. Le temps de formuler une phrase trop construite et ça pourrait disparaitre. Pourtant, c'est important. Il faut le prévenir.

-Egon... Ca va pourrir.

Pourquoi j'ai dit ça ? Ca me parraissait plus propre quand les mots m'ont traversé l'esprit. Mais me l'entendre dire à voix haute...

Je tremble un peu. De la peur ? de l'exitation ? ou alors, j'ai peut-être froid, j'en sais rien et ce n'ai pas l'heure de savoir.

-Egon, dans l'eau... Ya quoi dans l'eau ?

-Une forme froide et blanche, mais pas seulement... Est-ce qu'on les cherche ?

-Baaah ! J'ai peur !

Je m'accroche à sa jambe et sent sa chaleur. Les jambes et les bras enroulés autour de son tibia, je dois avoir l'air d'une possèdée ou d'une handicapée mentale.
J'ai cette impression d'être un joué au prise de je ne sais quoi... peut-être de moi-même... Je ne veux pas le savoir ! Pas aujoud'hui !

Une de mes griffes touche la flaque se sang. Je tourne les yeux vers le pourpre et me lèche les babines, ce qui me semble peu approprié.
Vite, une nouvelle pensée ! Je me frotte la joue en ronronnant contre la jambe d'Egon.
A quoi je pense maintenant ? ... M'en fout !

Je sent la chaleur me revenir. Je palpite et le tient au chaud comme une bouillotte. Et plus je revoit la scène de la femme blanche qui tombe, plus j'ai envie de me fondre dans sa jambe.

Mais quand même, ça me tracasse.

-On va les chercher ?

Je lui dit ça mais ne relache pas ma prise, ne lui suggèrant en aucun cas de faire un pas en avant.
C'est bête ! C'est même très animal ! Mais je suis bien, là, incorporrée à son tibia. Un contact mammifère...

Pourquoi suis-je venue ?

Ici, le premier endroit que je souhaiterai haïr de tout mon coeur, de toute mon âme...Oh oui, que j'aimerai en avoir peur, pouvoir trembler devant le vide, serrer les dents, écarquiller les yeux devant l'appel de l'abîme, j'aimerai tant pouvoir ressentir ça, pleurer peut-être un coup, puis retourner me terrer dans mes remparts d'acier et de chair, de chair et d'acier.

Alors, pourquoi suis-je venue ?

Je l'ai entendue, la voix, quand je m'enfonçai dans les eaux ténébreuses du lac de ma forêt. Je l'ai entendue, et j'ai flotté entre deux mondes, entre l'illusion et la réalité. Douleur et confort. Horreur et sérénité. "Ca" m'a parlé. Je "l"'ai écouté. Et je suis venue, j'ai rejoint Egon.
"Il" m'a dit le nom de l'humain que je devais rejoindre.

C'est bon, je suis là.
J'arrive, alors si vous partez, je vais me jeter en courant sur cette falaise, et vous serez bien obligés de m'écouter, de me regarder !
Attendez-moi, s'il vous plaît, ne partez pas...je ne veux pas être abandonnée de vous, ne partez pas, pas maintenant...Plus maintenant.

Ca coince, tout à coup. Je suis au sommet de la falaise, sur les empreintes même d'Arlquin il y a quelques minutes. Au loin, je distingue le pont, ce fin réseau de cordages filé par le temps qui se balance comme un lambeau lugubre dans le ravin, un lambeau de vie, de mort, d'existence. Je n'ai pas le vertige. Je n'aurai même pas peur de sauter, si je le devais.

Miw est là-bas, Egon aussi, et une beauté rousse que la vie a délaissé. Je dois aller les voir, mais ça coince...La culpabilité du survivant, je crois que ça s'appelle comme ça.
Mais je finis par me décoller. Un oeil curieux, attiré, se balance un peu au-dessus de l'abîme au fond duquel gisent, sans vie, deux corps. Blancs.

L'appel de l'abîme....Je le sens plus que jamais.
C'est peut-être lui qui m'a parlé, tout à l'heure, je nen sais rien. Trop de questions se bousculent dans ma tête, trop de pouquoi et de peut-être...
Je regarde Miw, prostrée aux pieds d'Egon. Je regarde Egon, qui recueille le sang du cadavre encore tiède. Je regarde mes mains, dont je discerne la trace du sang.
Et je comprends qui m'a appelé.
Je franchis les derniers mètres, je m'agenouille dans un geste de recueillement devant la guerrière rousse, et les deux formes blanches qui ne font qu'une, et qui tournoient lentement au fil de l'eau, dansant leur dernière vasle, silencieuse et muette, leur plus beau tango.

- Je suis là, Faucheur.

La plaie s'était refermée, sans laisser aucune cicatrice, comme si elle n'avait jamais existé, comme si le sang qui empourprait l'étoffe n'était pas celui de la guerrière comme si elle revenait d'une nouvelle bataille.

Egon, le visage encore crispé de douleur se tourna vers ce qu'il qu'il avait vaguement perçu pendant qu'il combattait la douleur que lui infligeait le sortilège.

Miw, la petite sorcière Félys. Celle qu'il avait accueillie quelques mois auparavent, et dont il avait bien failli causer la perte. Elle semblait mal en point, comme en proie à des doutes si profonds qu'ils confinent à l'angoisse qui paralyse, mais qui exacerbe la clairvoyance aussi.

"Ca va pourrir"..."quoi dans l'eau"..."peur"..."les chercher".

Elle avait ressenti plus que l'appel du faucheur, mais semblait ne pas pouvoir ordonner ses perceptions.

Egon prit le visage si délicatement ciselé entre ses mains et en choisissant les mots et le ton pour les dire, parla à la petite sorcière. Il connaissait les dons de Miw pour toucher l'esprit des autres avec le sien. Aussi usa-t-il de son ancienne pratique, celle qu'il connaissait depuis si longtemps, bien avant que des pouvoirs de sorcier ne lui soient insufflés, pour suggérer à la petite félys l'apaisement, la quiétude, la clarté de la pensée et du travail à accomplir.

Miw, écoutez-moi, il n'y a nulle peur à avoir en ce moment. Le temps presse, c'est vrai, mais aucun danger n'est à craindre. Boadicea, Arlequin et Alyssandre ont libéré leurs âmes. Il ont fait un pas de plus que celui que leur a fait faire le Faucheur. Ils ont atteint la...disjonction. Un esprit simple les croirait morts, sans rien voir d'autre. Mais ils sont encore là, autour de nous, partout et si prodigieusement loin qu'essayer de se le représenter est en soi un vertige a couper le souffle. Le corps d'Alyssandre est hors de danger, mais ceux de Boadicea et Arlequin gisent au fond de la rivière. Il nous faut les retrouver pour les préserver. Ensuite...ensuite, le faucheur nous guidera. Une cérémonie que je ne connais pas, et qui fera appel à nos pouvoirs de sorciers devra avoir lieu pour...pour permettre qu'ils nous reviennent. Ils pourront alors habiter leurs corps et s'en extraire à volonté. Ils seront...plus que nous. Je... je devrai sans doute leur parler, les appeler, je ne sais pas.
Le faucheur sait ces choses, n'ayez crainte.

Alors qu'Egon avait commencé à parler, Alquäloth, l'Elfe Guerrière, s'était approchée, et il avait forci sa voix afin qu'elle l'entende aussi.

Il nous faut emporter Alyssandre dans la forteresse et retrouver Les corps de Boadicea et Arlequin au plus vite.

Alquäloth, merci... avez-vous entendu? Vous êtes vive et avez l'esprit aigü, pouvez-vous vous mettre à leur recherche?

-Le Faucheur ? ... Arlequin ? ... B...

Je ne suis pas sure d'avoir bien entendu. C'est de Boa qu'il parle ? Celle que j'ai connue et qui m'a tenu chaud ? C'est elle qui est morte ? Non, j'ai surement mal entendu. Je sais que c'est possible, qu'elle a pu mourrir, mais c'est le corps d'une humaine que j'ai perçu.
De toute façon, il faut être efficace et ce n'est pas en pleurant des amis qu'on les fait ressusciter. C'est décidé, jusqu'à leur retour, je ne les connais plus.

Ses mains chaudes sur mes joues me rassurent. Des mains un peu rugueuses, comme celles d'un artisant. Les même que celles qui batissent, réparent, construisent et reconstruisent soigneusement. Mais il ne plante pas des choux... il plante de la quiétude dans ma tête et dans mon corps.
Je me laisse couler dans ses mains, l'oreille bancale, l'autre à l'écoute. Ses mots si nètes me font presque mal à la tête. C'est si clair et pourtant je sent une part de moi qui n'aspire qu'à la confusion, comme si au fond, je ne voulais pas comprendre. Tous les mots s'inscrivent mais seuls quelques uns font sens :

"Miw, écoutez-moi, il n'y a nulle peur à avoir ...Arlequin et ...libéré leurs âmes...Un esprit simple les croirait morts...ils sont encore là, autour de nous... un vertige a couper le souffle...Le corps d'Alyssandre est hors de danger, mais ceux de Boadicea et Arlequin gisent au fond de la rivière. Il nous faut les retrouver pour les préserver. ...Une cérémonie...fera appel à nos pouvoirs de sorciers...Le faucheur sait ces choses..."

Tout à fait clair... je crois.

Sa voix s'élève quand Alquä s'approche.

-Alquäloth, ils sont dans l'eau. Ils sont tombés... elle devient moite...

Je me frotte les doigts comme pour enlever une souillure, puis me fronte le front. Le souvenir de la chute de la dame en blanc me fait serrer les dents. J'ai mal aux gencives. J'attrappe le bras d'Egon pour lui prendre son calme.

Alquä aura besoin d'aide pour déplacer le couple blanc.
Une grande respiration puis je me lève. Mon genou tremble un instant et une fois stabilisée, un regard plein de force leur signifie que je suis prette à y allez. Il n'y a pas de temps à perdre.

Je me penche à quatre patte, les doigts serrés sur le bord de l'abime pour me dessiner le chemin des yeux. Je commence la descente, les griffes dans la terre et la roche, me laissant parfois glisser pour gagner du temps.

J'arrive à un petit chemin plutôt stable où sont posés des vieux outils et une corde abandonnée. Sans doute les affaires de ceux qui ont battient le pont. J'attache une extrémité à un gros caillou pour pouvoir mieux lancer le bout de la corde à l'elfe afin qu'elle puisse me rejoindre.

Je m'assure qu'elle l'a bien reçut puis continue à descendre par le chemin le plus direct.

Assise dans sa chambre, elle et sa chambre. C'est mieux de penser ainsi que de laisser cette sensation de vide l'envahir entièrement.
Shery et sa chambre, ça fait au moins deux...

"Il y a quelque chose de différent aujourd'hui, tu sais quand tu arraches la tête d'une poupée c'est vide à l'intérieur...
Quelqu'un a arraché quelque chose aujourd'hui"

Trois..

Traînant derrière elle, cette douce torpeur qui accompagne la tristesse, remplie de larmes, qui ne veulent couler, Shery se releva et sortit, indécise, guidée par une voix, lointaine, inconnue.

"Ainsi font,font, les petites marionnettes, un petit tour et puis sont vont."

Pas après pas son vide se remplissait. Ils étaient là tous les trois, essence de vie, de lumière, il suffisait de relever la tête.
Souriante de tout son être, petite aux sentiments changeants, tête redressée, regard perdu dans le ciel, elle les regardait s'éloigner.

Eux, ceux qui venaient de s'arracher, êtres lumineux aux milles couleurs indescriptibles, féeriques.
Pourtant autour d'elle toujours autant de douleur, d'agitation, questions...

Eux, ils souriaient, sourire tellement radieux, que leur yeux lui parurent si proches, si libre

"Ils reviendront..."

Un crissement strident de griffes contre pierre, la sortie de cette béatitude candide.

"Qu'est ce qu'il fait le tit chat ? pourquoi personne ne les regarde ? regardez ils dansent pour nous regardez !"

Retrouvez les corps de Boadicea et Arlequin...

"Mais non laisser les ils reviendront des qu'ils auront finis, regardez comme ils sont beaux, regardez là haut !!!"

Il le faut fait, ce qu'on te dit !

"Non !"

Son vide était remplit à nouveau mais les larmes retenues étaient toujours présentes, brûlantes, incontrôlée, mouillants ses joues rosies de colères, sans fin..

Une seule personne pouvait l'aider face a tant d'incompréhension, celui qui l'avait accueillit, l'homme au sourire disparu

EROHIIIIR !!!!

Il faut aller les chercher. Descendre dans l'abîme pour recueillir leurs corps entremêlés et les arracher à l'eau qui, régulièrement, doucement, les balance en son sein, les cogne un peu contre la racine de la falaise puis les en écarte, puis recommence, infini cycle.

Peut-être est-ce là la tombe qu'ils ont choisi. Peut-être veulent-ils reposer à tout jamais ici, à ce point où les courants se croisent, créant un petit tourbillon qui les fait tournoyer lentement sur eux. Ils n'ont peut-être pas envie qu'on les dérange, et Boadicea est si belle, ses cheveux de neige formant une auréole autour de son visage où plane une ombre de sourire, presque serein...

Mais ils doivent les arracher à l'eau. Ils doivent les sortir de cette onde mouvante qui aimerai les emprisonner à jamais. Alquäloth arrivera-t-elle seulement à soulever le corps de Boa ? Peut-être, lui qui est si frêle, à présent, si mince et petit, et...bipède...Et puis, elle est habituée, la guerrière, à soulever quinze kilos d'armement dans chaque main, elle espère pouvoir en faire autant avec Boadicea...

Miw lance une corde trouvée sur le sentier escarpé à Alquäloth qui l'attrappe. Un viel arbre cabossé se trouve là, si penché au-dessus de la falaise qu'on dirait qu'il attend depuis des siècles que lui vienne le courage de faire le grand plongeon. Elle accroche la corde au tronc mité, presque moisi dont l'écorce s'effrite sous la marque du chanvre. Un noeud bien solide, un noeud de marin, et elle commence sa descente, le corps sous la corde, les jambes entrelacées sur celle-ci. Pourvu, pourvu que Miw ne lâche pas le fil...

Le fil de vie...

Elle se sent comme entre deux mondes. Entre celui des vivants, et l'au-delà. Et elle emprunte une passerelle pour rejoindre l'antre des morts, un pays où malgré les apparences, le soleil brille comme jamais, puisque le corps de Boadicea - une Boa heureuse et libre - y repose...Elle prendra un corps puis priera Hadès et Perséphone pour qu'il la laisse remonter dans le monde des vivants...

Oh ! Combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux, pour les courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !

L'elfe continue d'approcher des tréfonds du monde, la rumeur des vagues lui parvient aux oreilles...

Combien on disparu, dure et triste fortune,
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !

La lune brille-t-elle à présent ? Aucune idée, peut-être pas, sinon elle la verrait se refléter, perle de nacre ridée, dans le torrent tumultueux, mais il ne fait pas jour pour autant...

Combien de patrons morts avec leur équipage,
L'ouragan de la vie a pris toutes les pages,
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !

Boadicea savait quel serait son destin ? Si elle n'avait connu les Ithryns Luin, sa vie, ou sa mort, aurait-elle été la même ?

Nul ne saura leur fin, dans l'abîme plongée,
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée,
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !

Mouarf...Sur ce coup là, la mer portait le nom de Faucheur et elle a saisi l'esquif ET les matelots...sans partager.

Alquäloth pose un pied, deux pieds sur la terre ferme. Ca va mieux...
Elle sourit brièvement à Miw, puis s'engage sur le chemin tortueux, pour aller chercher les deux amants cadavériques...

pas de méprises, le poème est sûrement pas de moi ! Je m'appelle pas Aislin...

Qu'est ce qu'elle a dans la tête ?! Elle traine ! Elle ne se rend pas compte que ce n'est pas le moment de rêvasser et encore moins d'avoir des états d'âme ? Est-ce seulement le moment d'avoir une âme ?

Je me tourne un peu vers Alquäloth qui fixe le vide. Je perçoit de formes blanches tourbillant dans son iris. Je regarde alors à mon tour le couple qui danse dans l'eau.
C'est un drôle de spectacle : deux poupées de chiffons qui tournent et heurtent les rochés.
Le souvenir de leur vivant frappent à la porte de mon esprit, mais ce n'est pas le moment. C'est Egon qui l'a dit, le temps presse. C'est le Faucheur qui le veut, celui qui m'a amené jusqu'ici.

Mais où suis-je à présent ?

Je fais des cauchemards qui menacent de dévorer quelqu'un, je bave à chaque fois que le sang coule, je voudrai me libérer de je ne sais quoi, mais je ne suis qu'une bête... une bête qui veut vivre au mieux tout ses instincts mais qui vit dans un monde trop réprimandé, la contraignant à se tenir elle-même en laisse pour ne pas choquer. Mais un monde sans laisse pour personne ne serait-il pas dangereux ? Liüie aussi n'en ferait sans doute qu'à sa tête s'il n'était pas prisonnier de mes songes.
Au bout du compte, de vouloir trop vivre, je regarde mes chaînes et tout autour le néant. Je donnerai volontier mes liens à quelqu'un pour qu'il me guide, mais qui voudrai mener ma vie et risquer d'être happé par mon démon. Qui oserait me diriger alors que moi même je m'y perd ? Même le Faucheur y renoncerait !
... ou peut-être pas ?

Si je rapporte ces coprs comme convenu, peut-être voudra-t-il m'aider ?

Ce serait si simple de les rejoindre pour patoger avec eux au pays des poissons heureux. Non, je ne suis pas si faible et aussi dure soit-elle, je crois en la vie. Jamais je ne ferai un beau plongeon et ne dancerai avec les anges... jamais de cette façon. Je préfère encore me pervertir, subir les pires affronts, souffrir milles épées dans la gorge que d'abandonner.

Leur contexte est surement différent mais ce n'est plus mon problème. J'ai deux paqués à livrer avant qu'ils n'expirent. Deux fleurs à livrer au Faucheur sans qu'elles ne se flétrissent. Le fait de porter ainsi mes amis noyés sur le dos revient à transporter un rosier piquant.

J'ai décider de ne pas sentir les épines

Mais l'une d'elles me crèves les yeux quand Arlequin glisse de mon épaule alors que j'essaie de le sortir de l'eau, ce stupide tombeau. Je pleur. Il est trop lourd pour moi. J'ai de l'eau jusqu'aux épaules et mes larmes rejoignent les flots et ces deux imbéciles qui tournoient.
J'ai les yeux rougits et suis verte de rage. Quelqu'un se rit de moi... Ce sont mes amis ! Qu'elle vilaine besogne ! J'aurais aimé que ça se passe vite. J'aurais voulu soulever la rivière et l'envoyer voller jusqu'au chateau. Mais ce corps idiot, je suis trop petite pour le porter.

-Alquäaaaa !!! Je peux pas le faire toute seule !!

Ma voix s'éccorche dans ma gorge avant de partir en un lourd sanglot.

Sans aucune patience, j'attrappe Boa et la tire sur la rive, puis cherche une bonne prise pour la porter jusqu'à la forteresse.

Stupide envelopper vide ! Tu ne contient plus d'âmes mais cent littres d'eau ! Vous êtes vides et si lourd ! Le corps de Boa me parait frois comme un caillou. La chaleur de son esprit n'est pas loin, je le sent, mais c'est de la barbaque que traine sur mon épaule.

Ma gorge a fini de gémir mais les pleure sillonnent toujours mes joues. Je les voix abreuver le sol à chaque pas que je fais, voutée et mouillée par Boa imbibée comme une grosse éponge.

Je ne pense plus à l'effort. Je ne fais que marcher sur mes larmes, la tête de plus en plus vide, invitant le néant à me soulager.

Musique

Du sang.
Face au bretteur sa dernière victime lui lance un regard vide, la gorge tranchée.
Le candelabre éclaire d'une flamme tremblante le corps d'un homme.
Un petit roturier, plutôt respectable. Mais à vrai dire la rencontre fut brève.
Gisant à ses côtés, le traitre coutelas qui n'a pas su protéger son possesseur.

Un sourire meurtrier reste gravé sur le visage marqué par la fatigue.
Pas de remords, ni la plus petite once de pitié. Erohir n'a pas eu le moindre sentiment.
Son reflet apparu dans un miroir de bronze déposé au dessus d'un cheminée aux braises mourrantes.
Peur et dégoût... Lui même parvient à s'effrayer, c'est comme si une autre personne était dans son corps. Il n'est rien de plus que le spectateur de sa propre existence, impuissant. Offrir son âme n'est pas sans conséquence.
Incapable de supporter cette vision plus longtemps, il détourne les yeux.

Le guerrier s'avance vers la table proche. Il attrape un chiffon et essuie la lame ensanglantée. Si tout s'effaçait aussi facilement, tout serait plus simple. La nausée le prend, sûrement à cause du carnage, mais peut être par la prise de conscience de son geste. Il a oté la vie d'un homme ce soir, mit fin à un destin.
Sans tarder, il quitte les lieux du crime.
Après quelques pas, il s'effondre, épuisé.
Dos à un arbre, plus un mouvement, seulement sa respiration profonde et régulière.
Lentement, il sombre, et plonge dans un sommeil profond.

Un rêve étrange lui vient. Des visages familiers, mais surtout cette voix...
Une étrange mélopée, charmeuse, presque envoûtante.
Il y voit la mort. Arlequin, Boadicea et Alyssandre, dérivants le long d'un cours d'eau, inertes.
Pas des amis, ni même des alliés... Seulement des esprits en déroute, fuyant quelque chose. Des gens comme lui.

Une petite voix familière le surprend. Elle est lointaine, trop lointaine.
Un écho.

Erohir...

Une fois, rien n'y fait, il ne peut s'arracher à la vision de ces corps meurtris.

Erohir

Deux fois, l'écho revient, avec plus de force. Quelqu'un l'appelle...

Erohir !!!

Trois fois, il se réveille. Il l'a reconnue. Shery...

En ouvrant les yeux, il ne voit que le soleil qui l'éblouit.
Mais personne.
Pourtant tout ceci semblait si réel.
Il se redresse, époussette sa tunique. Il doit en avoir le coeur net.

En suivant le cours de la rivière, rien ne semble tourner rond.
Les oiseaux chanteurs comme les grenouilles se sont tus.
Seule cette brise le pousse à avancer.
Plus rien ne semble n'a d'odeur, tout semble fade, et déjà mort.
Au loin des silhouettes.

Les rêves n'arrivent jamais par hasard, et parfois ils sont des guides à suivre. Le tout et de savoir écouter pour ne pas se perdre...

Ils sont là mais ne m'ont pas remarqué. Il s'approche lentement, effrayé à l'idée de ce qu'il pourrait trouver.
Les regards se croisent et ils se comprennent. Ce sont les Ithryn Luin.

Le sombre sorcier Egon se tient proche du corps d'Alyssandre, la guerrière flamboyante... Mais des plus charmantes.

Miw, l'étrange félys, traine quelque chose de trop gros pour elle...
Non, quelqu'un. Ces cheveux blancs et ce visage divin ne le trompent pas.
Boadicea est tombée.

Shery, une des rares à avoir su me faire rire. Elle semble si désemparée... Elle n'a pas à assister à un tel spectacle, elle ne mérite pas ça.

Au loin une ombre qui fait frissonner le bretteur. "Il" est là aussi...

Mais où est Arlequin ?
Lui aussi, dans le songe, est tombé.

Lentement, Erohir s'avance, le pas hésitant. Sa main vient se poser sur l'épaule de Shery. Un regard vers Egon, puis un murmure s'élève.

- Que c'est il passé ?

Plus rien n'a de sens face à la mort. On ne peut que subir les assauts répétés du chagrin, jusqu'a ce que notre masque tombe en poussière.
Inquiétude se lit aisément sur le visage du jeune homme...
Mais surtout l'envie brûlante de trouver réponse à ses questions.

Miw crie, appelle, elle a besoin de moi. Et la voir tirer ainsi le corps de Boa, traînant dans la poussière du sentier sinueux, les jambes tirées en arrière comme appelé par l'eau tourbillonante, lui déchire le coeur. Elle ne mérite pas ça. Miw non plus, ne mérite pas de la porter comme ça...Faut que je l'aide.

Je cours derrière Miw...attrappe les pieds de Boa, qui raclent le sentier comme de vulgaires serpillères...Ah non, pas de ça. Pas comme ça...Je hisse ses jambes dans mes bras, ça va mieux, au moins elle ne sert plus de torchon pour une terre qui se ressalira de toute façon...

On remonte jusqu'à la corde qui pend négligemment du haut de la falaise, faute de personne pour la tenir. Et voilà, Hadès refuse de nous laisser remonter dans le monde des vivants...Que faire ?

Miw dépose Boa par terre. Elle cherche une solution, tout comme moi...

Eurêka...

- Miw, tiens bien tendu ce bout la de la corde, je remonte jusqu'en haut. Ensuite, tu y attacheras Boa et je la hisserai jusque là-haut, après, on ira chercher Arlequin. Il ne faut pas le faire attendre...

En disant "le", j'entends " Arlequin et Boa." Les séparer me dégoûte...Ils étaient si beaux, et nous les séparons...Je m'en veux...Je n'en montre rien. Visage de marbre, rigide, regard décidé. Miw a attrappé la corde, tire dessus, et moi je monte...L'ascension est plus fastidieuse que la descente, j'ai mal aux mains. Je serre les dents et les doigts sur le chanvre tressé. Et arrivant en haut, l'arbre ploie, se craquelle, penche encore plus...J'essaye de l'ignorer et pose les pieds sur le sol.

J'appelle Miw, lève mon bras bien haut et pointe mon pouce pour qu'elle comprenne. Et elle comprends...Elle arrime solidement Boa à la corde, et je tire, je tire, l'humaine est plus lourde que ce que je croyais...ma volonté fléchit, et l'arbre ploie, ploie bien trop.....Mais Boa sera bientôt en haut. Un dernier à-coup et je la hisse jusqu'au bord de la falaise. Je serre la corde le plus possible dans ma main droite, m'approche du précipice et lâche la main gauche. Boa semble retomber, alors je serre encore plus fort la main, me penche sur son corps, et passe un bras sous ses aisselles. Avec soulagement, je la dépose le moins brutalement qu'il m'est possible sur le sol. Je respire de triomphe, mais aussi de honte. La corde se déroule dans le ravin, Miw s'en saisit et la tend immédiatemment. Je redesends le plus vite possible, arrive à la hauteur de Miw, saute presque dans le torrent...Arlequin est sorti du tourbillon. Il dérive lentement, inexorablement vers je ne sais quoi. Boa n'est plus auprès de son corps, alors il part, il file, s'en va.....J'ai de l'eau jusqu'aux cuisses. J'attrappe son corps, il fait son poids, lui...Le courant l'emporte, et il m'emporte avec. Je le cramponne pour ne pas le laisser s'échapper...

- Miiiiiiiwwww ! Vite, j'ai un problème !!!

Dans un reflexe stupide et instinctif, je me jette à genoux, Ce qui fais que je suis imergée jusqu'aux cou, attrape le visage d'Arlequin, le tourne, et lui plaque quelques mots à l'oreille...

- Toi, tu attends. Je t'emmènes rejoindre Boa. Alors ne pars pas tout de suite. Tu vas la rejoindre...A jamais.

Et le corps d'Arlequin ralentit. Il résiste aux remous de l'eau, puis stagne, s'arrête....Je me tourne vers Miw qui a courut vers moi.

- Il va falloir le porter à deux. Lui aussi fait son poids....

Le guerrier s'est approché le regard las et inquièt. Il a embrassé la scène, a vu les efforts de Miw et d'Alquäloth. Il a vu les cadavres. A cru voir la mort, trompeuse illusion. Ambigüe apparence qui offre au hasard un pouvoir plus lourd sur les âmes de ceux qui ouvrent la porte.

Mais le faucheur était là, avec eux, autour d'eux. Egon l'écouterait, il le savait. Il connaissait les arcanes de ce qui se tramait sur la berge de cette rivière.
La présence impalpable rassurait Le sorcier. Il voulut expliquer à Erohir ce qu'il comprenait de la situation, que la mort n'était pas partout où elle semblait apparaître, que la vie était bien plus que le battements d'un coeur ou la chaleur d'une peau.

Mais le temps pressait.

Il se leva, debout devant le bretteur à la haute stature, Alyssandre dans les bras, comme si son corps, figé dans la privation de son âme en avait perdu autant de poids.

Erohir! Ah vous êtes là. Ils ...ne sont pas...pas morts. Croyez-le! Il importe de les mettre à l'abri sans tarder pour... pour qu'ils puissent revenir!

Miw et Alquäloth, là, elles ont besoin d'aide.

Quelle poisse ! Il ne manquait plus que ça ! En plus de lutter contre le poids des corps, il faut lutter contre la courant. L'eau n'est vraiment pas mon élément.

Mais j'ai l'ouïe fine et j'ai entendu un homme arriver. Aussi profond soit le gouffre, j'entend tout ce que se dit à son sommet pour un peu que ça puisse mettre proffitable.

-Erohiiiir !!! Ramène tes fesses !!

Ma propre voix me surprend. Je ne l'ai jamais connue aussi forte grave et rugissante. La haine me chauffe la peau malgré la fraicheur de la rivière. Mes griffes se plantent dans le sol et mes doigts serrés sur l'habit d'Arlequin le transpercent presque. Ma paume saigne.
Je lance un regard furieux à cette paire de bras perchée là-haut mais n'ajoute pas un mot : je boit la tasse en remontant le courant.

Enfin. Depuis combien de temps ne m’a t’il pas appelé? Le son de son esprit qui envahit le mien m’a manqué. Enfin, je vais avoir l’occasion de lui prouver que je suis sa seule fille, que les autres ne sont que des jouets pour lui. Oui, Père, tu sauras comme moi que je suis la seule que tu chéris. L’unique à t’aimer comme un père. Alors j’avance, sourire aux lèvres.

Certains des nôtres ont besoin d’aide. Mais ce n’est pas ce qui m’importe. J’apprécie chacun de mes compagnons de route, mais quand il s’agit du Faucheur, la donne change. Il est mon obsession. Il est l’obsession d’une fille qui exige d’être reconnu par son Père. D’une fille qui veut être aimée par son père.

Ils sont déjà nombreux à avoir répondu à son appel. Si je n’avais pas perdu tout ce temps à choisir la tenue qui me mettra en valeur à ceux yeux… Jamais je n’ai porté attention à ce genre de détail, même avec mes prétendants les plus cotés. Bientôt, je pourrai reconnaître les corps que mes amis s’efforcent de mettre à l’abri. A l’abri de quoi? De la mort? On dirait bien que c’est trop tard… Quand je comprends vraiment ce qui se passe, je presse le pas, jusqu’à courir dans leur direction.

Je suis assez proche maintenant. Je m’arrête, à quelques mètres de la scène. Le sourire effacé par l’angoisse se redessine lentement. Enfin. Ils se sont enfin décidés à me rendre ma place.

Faucheur, mon père, je n’ai jamais compris pourquoi tu les préférais eux. Alors qu’ils se refusaient à toi.

Alyssandre, fière guerrière rebelle. Toi que je connais si peu. Je ne te regretterai pas. Non, je ne regretterai pas ces instants manqués, où nous avons à peine échangé un regard, sans prendre la peine de s’avancer l’une vers l’autre pour partager une aventure ou un sentiment.

Boa, belle centaure passionnée. J’oublierai bien vite ces moments futiles passés à deux dans une grange. Notre amitié, aussi forte soit elle, ne fait pas le poids contre l’amour d’un père. Va-t’en, ne résiste pas. Ne les laisse pas te ramener. Tu voulais être libre? Tu l’es maintenant, alors reste-le. Je ne me languirai pas de toi.

Arlequin, sorcier à la prose houblonnée. Le Faucheur t’a offert son trône. Tu es le pire de tous. Tu m’as ouvert les portes, montré le chemin, mais maintenant je sais marcher seule. Toi qui semblais me porter dans ton cœur quand nous étions seuls, pour m’oublier à la faveur d’autres dès que tu en avais l’occasion. Tu n’es pas mon ami. Tu n’es pas mon frère. Je ne te pleurerai pas.

Partez, allez-vous en tous les trois. C’est ce que vous avez toujours voulu. Laissez-moi enfin la place que je mérite, tout à coté du Faucheur. Dans les bras de mon père.

Les sentiments se mélangent peu à peu. Les larmes chaudes viennent mouiller mon sourire tremblant. Le regard passant d’un corps à l’autre, les mains grelottant de ne pouvoir les toucher, je ne peux pas bouger. Je reste là, savourant et souffrant la scène qui se déroule devant moi.

Il y a des spectateurs, je le sent. Erohir qui traine, mais aussi deux filles en haut de la falaise. L'une sent la jeunesse et ne devrais certainement pas assister à ça. Mais l'autre, elle ne serait pas de trop pour ramener Arlequin.

Je ne veut pas crier, pas une fois de plus. Ca me fait mal et ça me fatigue. Alors, comme s'il n'y avait plus personne, j'avance jusqu'à la rive. J'oublie le poids de l'homme et l'emporte sur la terre ferme, d'une seule main, avec Alquä qui patoge derrière. Elle a l'air d'avoir du mal à suivre malgré toute sa volonté de m'aider à porter.

Ma vue semble changer. Je vois comme dans un rêve. Est-ce que je manque de sommeil ? Ou peut-être que l'effort était trop grand ?
J'ai chaud... comme si j'avais de la fièvre. Mes pensées vagabondent un moment et des images défilent dans ma tête... des images sans grande importence : une table avec un repas, une foule qui m'acclame, un blob... Puis une image me stop net comme un mur de terreur : un grand oeil, un de ceux que je connais... Liûie !

J'ouvre très grand les yeux et ne voit que le chemin rocailleux devant moi. Je regarde mes mains et m'assure que je suis bien réveillée. Mais si je m'endormais...
Le visage déformé par la peur, je me tourne vers l'elfe.

-Ne me laisse pas m'endormir.

Mes mots tombent net, comme une sentence. Elle, elle sait ce qu'il se passe quand je dors.
Je tremble un peu et mon oeil gauche qui s'obstine à vouloir se fermer. Mais si je ferme le gauche, je sais que le droit suivra et que je me retrouverais affalée sur la terre et les cailloux et Liûie risque de se manifester.

Mais pourquoi maintenant ? Je ne pensais pas manquer de sommeil. Pourquoi une telle envie de dormir ? Est-ce que je veux fuir dans les songes ? Est-ce que laisser vagabonder la bête serait moins pénible que cette situation ?
Non, je m'égare surement. C'est pas quand on est fiévreuse et à moitié somnolente qu'on peut avoir les idées claires. Je ferais mieux de me concentrer sur ce que j'ai à faire. Les cailloux... les cailloux sur lesquels je marche... voilà, un pas à la fois.

Je marche, je marche sur un chemin de croix, et une croix est plantée au bout, dans la terre battue du sentier.
Je marche, je marche en traînant les pieds sur le sol, et le sol me répond. Le sol hurle, les rochers hurlent, les rochers vivent et me parlent, ils m'accusent, et tout autour de moi se met en mouvement, tout ce qui était minéral et végétal et éternel, et immuable, ça bouge, les feuilles des arbres me chuchotent des mots de haine et la pierre elle-même se craquelle et me lance des exclamations ordurières.
Je ne comprends pas, tout s'agite et le vent hurle et stridule, des cris stridents de désespoir et de colère, et de vengeance.
Il m'accuse de ne pas avoir rempli mes fonctions. Que je ferai mieux de partir et de laisser, tout. Que je ne sers à rien sur la surface de ces terres si vastes pourtant, et que le monde se porterait mieux une fois le fil de mon acier passé à travers mon sein.

Au bout du chemin.....

La fin de toutes choses. La croix est là, vieille, délabrée, rouillée.
Le peu de couleur qui subsiste encore sur son piédestal provient d'une écriture rouge sang, majestueuse, gothique, tordue d'arabesques et moulée délicatement. Alors je m'approche, mue par une envie de lire le mot, car il n'y a qu'un mot, et mes yeux s'habituent à l'obscurité. Il ne fait pas tout à fait nuit mais le jour décline, le soleil passe derrière les montagnes à l'ouest et un vent nocturne s'élève, faisant danser les ombres du soir sur la croix légèrement bancale. Je lis....

Alquäloth.

La croix est une tombe. En dessous repose un corps, sous terre. Je ne peux pas le voir, mais j'en suis sûre. C'est mon corps qui pourrit à quelques mètres sous mes pieds, allongé en ces lieux après je ne sais quel évènement qui fut ma perte...Je cligne des yeux. Le nom a changé. On peut voir écrit :

Boadicea.

J'incline la tête. Est-ce donc là la cimetière où Boadicea va être enterrée ? Etrange...Pourquoi mon nom était-il gravé sur la croix, alors ? Une bourrasque de vent passagère vient m'emmêler les cheveux et me les fait voler devant les yeux. Je les écarte, le nom a encore changé. Il s'est allongé. Deux noms.

Arlequin. Alyssandre.

Je ne connais pas le deuxième nom. Ni tous les autres qui s'affichent...
Des centaines, des miliers de noms défilent devant mes yeux, gravés à la croix. Je ne sais de qui il s'agit...Mais c'est fini. les noms défilent de plus en plus vite, très rapidement, ma vue se brouille devant tant de flou...Happée par je ne sais quoi qui me tire en arrière, je pars à reculons, je glisse, et je vois la croix s'effondrer sur elle-même, bientôt elle n'est plus qu'un tas de pierre recouverte de mousse. Et ça me happe....Et un rire s'élève, un rire horriblement sarcastique et glacial...

Un pas. Un autre. Epuisée, mais il faut continuer. Ce pas là ne coûte rien. le prochain non plus. On peut toujours faire un pas de plus.
La félys et l'elfe sont sorties de l'eau, le corps d'Arlequin a laissé un sillon de boue derrière lui. Le regard d'Alquäloth s'élève jusqu'en haut de la falaise...
Toi...TOI !! EROHIR ! Tu n'entends pas que Miw t'appelle ? Et moi aussi, d'ailleurs je t'appelle, n'entends-tu pas ?
Erohir......Pantin du Faucheur... Guide des Âmes Egarées... Démon enchanteur...Et je pourrais te trouver bien d'autres noms encore !

Elle grince des dents.

Miw...Tu ne dormiras pas, petite chatte.
Tu ne dormiras pas, sinon elle te gifleras. Ca lui ferai mal, mais elle ne veut pas que tu dormes. Et tu la supplies...

- Miw, tu ne dormiras pas. On a une tâche à accomplir. On l'a déjà faire à moitié. On peut continuer. Et tu ne dormiras pas.

Pas de rêves, pas de songes pour Miw, ni pour Alquäloth. Pas de repos. Pas le droit au repos.

[Hrp : désolé en ce moment c'est pas facile pour le rp ==']

Ailleurs, perdu au fond de ce rêve éveillé.
Cela ne peut pas être possible.
Son regard ne peut se détacher de celui qui domine.
"Il" est là, et observe...
Il les garde, comme le berger surveille son troupeau.
C'est alors qu'une voix le sort de sa torpeur.

C'est Miw qui l'appelle... Ou plutôt lui hurle dessus.
Le pas lent il s'avance, alourdi par le poids des mots d'Egon.
Ainsi ils sont en vie.
J'approche la Félys et l'Elfe, autour du corps d'Arlequin.
Ma voix ne parvient pas à s'élever, et reste un murmure :

- Je m'en occupe.

Des excuses ? Pour quoi faire ? Il ne leur doit rien.
Il ne doit rien à personne d'ailleurs...
Le bretteur tendit sa main à Miw pour l'aider à se relever.
Mais son regard restait posé sur le corps du mage.
Sans se retourner, il demanda à Egon :

- Egon, comment êtes vous sûr qu'ils sont encore en vie ? Est ce qu'ils vivront à nouveau ?

Un sentiment étrange parcouru le jeune homme, pas de la pitié, ni même de la tristesse... Seulement un peu de peur... La peur que cela pourrait très bien lui arriver. Le visage pâle et ruisselant d'Arlequin était serein...
Apaisé. Le monde pourrait s'écrouler qu'il n'en aurait rien à faire.
Il reste seul avec ses rêves et ses passions, n'ayant cure du reste.
Vous savez ce qu'on dit... Les ignorants sont bénis.
Le regard du guerrier se pose alors sur Aelis, la seule à avoir du chagrin...
La seule à être vraiment humaine, la seule qui les appréciait pour ce qu'ils étaient, et non pas par ce qu'ils représentaient.

Erohir s'agenouilla et souleva le corps d'Arlequin. Sa robe alourdie par l'eau rendait l'homme encore plus lourd. Pourtant le bretteur mettait sa douleur de côté un instant... Seulement était ce par respect ou pour ne pas montrer sa faiblesse ?

Au Temple des plaisirs, où Rivières de liqueurs
S'écoulent extatiques en ce jour de douleur
Je reste seul, en vie, mais sans plus de bonheur
Que je n'en trouverai dans mon propre trépas.

Je ne sais, je le sens, plusieurs nous ont quittés
Il ne faudra qu'un temps pour qu'ils soient retrouvés
Céans, je l'ai senti, leur âme s'est envolée
Partant pour d'autres cieux, et moi me laissant là

Plus que jamais je souffre, rongé de solitude
Attendant mes amis, en complète hébétude
Faut-il bien que je vive, si c'est vivre sans eux
Qui égaillaient mes jours par leurs fêtes et leurs jeux ?

Arlequin est parti, partis sont ses bons mots
Toutes ses belles manières qui le faisaient unique
En suis-je même arrivé à le trouver sympathique,
Malgré son caractère résolument elfique...

Alyssandre de même, nous laisse orphelins
De ses cheveux de feu, de toute sa présence
Que j'ai trop peu connue - je regrette enfin
De n'avoir pas cherché plus loin que son silence

Et enfin, plus que tout, ELLE nous a quittés
Je ne sais même pas s'il y'a à ajouter
Boa était notre âme, si elle a disparu
C'est tout notre passé qui nous est dérobé

Tout le monde au comptoir, mettons en perce un fût
Un fût de désespoir, de pleurs et de regrets
Qui en de longues années se sont accumulés
Et qui enfin noient tout, jusqu'à perte de vue

Cette chope est spéciale, amis, pour vous je bois
Car je dois décider de quelle sera ma voie
Faut-il que je vous suive jusque dans le tombeau ?
Ou que je persévère pour conjurer mes maux ?

Infime tavernier, nabot derrière l'entrée
Sans aucun héroïsme ma vie s'est déroulée
Ce n'est qu'une fois que vous tous êtes partis
Que je regrette enfin la joie et la gaieté.

Erohir...
Enfin du repos...
Son visage est figé comme une tombe. Il me tend la main et je lui souris. Je sent cette petite flamme brûlant mes antrailles qui s'éteind peu à peu. Mes yeux ruissellent de soulagement. Il me relève et prend ma place. Je fais quelque pas mais mes jambes faiblissent. Elle sont en coton et ne portent plus rien. Je tombe et je m'éteind.
Je sais qu'il ne faut pas dormir, alors je force mes yeux à rester ouverts. Mais c'est si bon. Je voudrai me laisser tomber dans ce petit coin d'obscurité. Même les cailloux me semblent confortables.

Me laisser partir... Est-ce que c'est ça qu'a pensé Arlequin avant de sauter ? Pourtant, dormir n'est pas mourrir. Est-ce qu'il dort d'une autre façon ?
Je ne veux pas rester ici de peur de finir comme lui. Pourtant, la raison me montre qu'il n'y a pas de quoi s'inquiéter : l'air est pur, le sol est stable. Pourtant, il y a quelque chose dans l'air qui me déplais.
Je me redresse, prend le temps de me relever puis reprend mon escalade vers Egon, au sommet, pour me sentir plus en sécurité.

Arrivée en haut, je m'assoie dans l'herbe, le regard vide comme si mes yeux grands ouverts rêvaient déjà. C'est la première fois depuis longtemps que je préfèrerais voir Liûie et s'il ni avait pas ces vies précieuses autour de moi, je ne me gènerai pas. Des parfaits inconnus ou même de simples connaissances, je les laisserai se faire dévorer, pourvu que je parte ailleurs, même dans un cauchemar. Je veux simplement quitter cet endroit qui me donne le vertige et la nausée.

Je pourrais m'enfuir si je le voulais; partir dormir ailleurs. Mais nous avons une tache à accomplir. Quelqu'un ou quelque chose me dit "reste là". Et puis le Faucher, c'est quoi ?

Si je ne peux pas me rendre utile dans l'imédiat, je ferais bien de me reposer. C'est pas facile avec cette atmosphère chargée d'émotions. Mais on peut arriver à beaucoup de choses avec de la volonté. Je suis capble de croire les choses au point de les réaliser (comme pour escalder des planches imaginaires). Alors je dois bien être capable d'ignorer des choses au point qu'elles ne m'affectent plus.

Alors c'est décidé ! Pour m'aider, je tourne le dos au gouffre. A présent, je suis ailleurs, il n'y a pas de gouffre... ou bien, il y en avait un avant que je soit remontée mais maintenant il n'y en pas plus. J'entend le vide qui se remplit et le vent dans mes oreilles n'est plus le même... plus aussi tourmenté... un vent de plaine.

Ca détend. Mais soudainement, je pense à un truc : s'il n'y a plus de gouffre, ou sont les autres que j'ai laissé en bas ?
Je me retourne vite pour le savoir et tombe nez à nez avec un homme, une elfe et un magicien mort qui ont un drôle d'air de pas comprendre ce qu'ils font là (à par Arlequin qui n'a pas vraiment d'expression, lui. Normal il est mort.). L'abîme c'est simplement remplit sous leurs pieds, leur épargnant une pénible escalade. Ils n'ont vraiment pas l'air de comprendre ce qui est arrivé. Pas étonnant quand on sait qu'il y avait un...un grand... un grand quoi déjà ? J'ai oublier. Je dois vraiment être fatiguée ! Il me semble avoir changé quelque chose de monumental en plaine mais je ne sais pas quoi. Peut-être un temple. Pas étonnant que je soit fatigué !
Est-ce que j'y ai cru assez fort pour oublier la réalité ? Je me regarde et... j'y croit pas ! (Enfin si, j'y croit, ce n'est qu'une expréssion cette fois). Alors je ris. Je sais pas trop pourquoi non plus (la fatigue, la pression sans doute), mais j'éclate de rire en regardant ces trois éberlués au milieu de la plaine. Je ris. C'est con, je ris !

Nul pardon aux damnés.
Je le sais pourtant. Comment ai-je pu l’ignorer ?
Comment ai-je pu feindre ce trou béant de complaintes comme si de rien n’était ?

Je n’ai pu détourner mes sabots.
Je ne voulais pas mais je suis là. Ils m’ont soustraite de la fuite, si facile.
Ils m’ont menée jusqu’ici. Ils m’ont menée tout là haut.

De cette butte, m’est offert la mort, dans toute sa superbe… Montagnes maudites.
Un, deux, trois… trois âmes en suspens. Qui attendent.
Attendre quoi ? L’absolution ? L’au-delà ? Un souffle de vie ?

Pire… une seconde chance ?
Mais pourquoi…
Comme je payerais cher pour être à votre place… le repos, enfin.

Mais pas Eux.
Pas toi guerrière. Tu préfères le goût de ta lame à celui du vin.
Laisser filer le sang, laisser ce filet se confondre avec ton auréole de feu.

Mais pas Toi.
Lumière blanche, virevoltante. Tu embrasses l’abîme et sombres dans l’obscurité.
Je verserais un océan de larmes si seulement mes pupilles de charbon savaient pleurer.

Mais pas Elle.
Que fais-tu là ma sœur ?
Tu joues ? Tu joues à te faire peur ? A me rendre malade ?

Touché…
Je suis malade. Malade à en crever de voir s’éteindre la lumière.
De voir mourir le feu. De voir les êtres qui me tiennent en vie s’échapper comme une volute de fumée.
Malade de sentir la mort rôder et s’abattre sur vous comme un coup de tonnerre.
Ivre de douleur de faire les cents pas, sans pouvoir partir, retenue par des chaînes, pour un tel spectacle !

Je les vois. Les autres. Je suis si loin.
Je ne les entends pas mais je les vois. Ils tournent autour tels des vautours.
Ils essayent de réparer ce qui a été cassé.

Mais pas Moi.
Moi je ne peux pas. Ne me demandez pas ça. Je ne peux pas.
Moi, la vie je la prends, je ne la sauve pas. La vie ne m’inspire pas assez de respect pour cela.

Alors je vais attendre. Je vais rester plantée là, sous la pluie, sous le vent. Je vais admirer la mort faire son œuvre… peut-être.
Je n’ai aucun dieu à prier, ni aucune incantation à prononcer. Pas d’appel de détresse.
Je vais attendre que ça fasse moins mal, que les nausées m’oublient, que les bonds du cœur prennent pitié de moi et cessent d’arracher mes entrailles de douleur.
Et je repartirai… peut-être.

Seule.
Dans mes narines, l’odeur pénétrante des cendres.

On est là, debout sur tout ce plat, plat comme un fond de chope de bière, et nu comme le dos de la main, ou plutôt homogène, oui, tout ce vert provenant du tapis herbeux qui s'étale sous nos pieds...Et l'arbre est toujours là, croûlant et fissuré... Par contre, la corde est abandonnée négligemment sur le sol, roulée sur elle-même en un petit tas de chanvre marron, qui contraste avec l'herbe couleur de lagon.

Comment se fait-il que...? Je ne sais pas...Et ça vrai dire, je m'en fiche...Ne sommes-nous pas bien, là ? Miw, Erohir, Egon et d'autres, et moi, et Boa, Arlequin et Alyssandre...Oui, parce qu'en fait, la grande rousse s'appelle Alyssandre. Je le sais, je l'ai vu. Ce nom gravé sur la croix délabrée au bout du chemin, c'est évident qu'il appartenait à feue la guerrière. Ah, ils sont beaux, les trois corps...Allongés sur le dos dans l'herbe, sereins et apaisé. Le visage d'Arlequin s'est détendu, celui de Boa rayonne, et sur la face hâlée de la guerrière plane encore une ombre fugitive d'un sourire heureux de retrouver d'anciennes choses perdues.

Etendus sur le sol, sous eux, la terre ferme, au-dessus d'eux, la voûte céleste.
Elements opposés, contradictoires, unis pourtant dans un accord parfait, ils entourent et recouvrent le trio décédé. Ils manquent deux élements, le feu et l'eau...Mais non, suis-je bête, le torrent est bien là-dessous, on ne le voit pas pour l'instant c'est tout...Quand au feu, il apparaît bientôt, élan fugitif de sa superbe. Une étoile filante traverse de ciel de plein jour, enflammant de rouge et d'or la voûte céleste, nimbant "notre" ciel azur d'une auréole écarlate. Puis elle se désagrège lentement, progresivement, captivant les regards...

La Trinité...

Tous trois, les yeux fermés, imposants gisants qui semblent être d'un marbre de rose, allongés sur l'herbe comme pour une hibernation volontaire, ils forment un symbole à trois branches, leurs têtes se touchant presque. Leurs mains se serrent, j'ignore comment. Est-ce Egon qui les a disposé ainsi ? Peut-être...peut-être pas...une trinité unie, indissosciable symbole de l'amour et de la confrérie mort mais toujours aussi plein de vie et éternelle. Et j'admire...

Oui, nous sommes bien, là, eux, la Trinité, les quatre éléments, et nous, figurants dans une pièce qui se jouera bientôt, on ne le sait pas mais instinctivement nous nous sommes placés à pas comptés du Trio, à même distance les uns des autres formant un cercle parfait autour d'eux. Un rire s'élève. J'écarte les bras de chaque côté de mon corps, le visage levé vers les cieux. je sens le soleil sur mes yeux, j'entends le grondement de l'eau disparue pour un temps, mes pieds sont fermement posés sur le sol et les dernières paillettes d'or de l'auréole de feu céleste filtrent à travers mes paupières closes.

Musique la plus parfaite, accord des éléments et des coeurs.

Alquäloth semble aimer ma plaine. Je ne sais pas ce qu'il y avait à la place et il faudra peut-être me le rappeler un jour, mais ça, c'est ma plaine.
Tout cet oxygène qui volle au grand galop m'ennivre. Mais il y a encore quelque chose de pesant, comme si quelqu'un jouait au dada sur mes épaules. Je me rapproche des corps à présent réunis et c'est encore plus lourd.
Mon rire s'est tue pour laisser place à une grimace. Ce rire idiot et cet air qui cours mon reposé l'esprit. Je suis prète à faire face de nouveau.

-Egon, et maintenant... qu'est-ce qu'on fait ?

Mes yeux au paupières douces et alourdies se posent sur mes trois amis décédés. Je les voit mais je ne les reconnais pas. Cette peau innanimé, sans la moindre pulsation ne m'inspire guère plus qu'un tissu posé sur une poupée. Trois poupées de chiffons mouillées. Où sont-il à présent ? Surement pas très loin.
Je pose ma main sur le pied d'Arlequin. Tous mes poils se redressent. Je ferme les yeux sans même m'en rendre compte et il m'apparait un lien attaché à la cheville de l'homme et qui me traverse la main comme si ce n'était qu'un courrant d'aire. Je n'ai pas eu le temps de voir à quoi était relié ce lien d'argent, mes yeux se sont rouverts en un instant en même temps que ma main a fuit.

Je regarde en l'air en espérant y voire un spectre. Mais rien, juste le bleu d'un ciel venteux. J'ai peut-être rêvé. Peut-être que je tiens temps à les revoir vivants que mon esprit à inventé une corde pour les retenir. Ou peut-être que c'est vrai, qu'il y a bien un lien, même s'il n'est attaché à rien.

Un soupir... un espoir... et pourtant je me sent vide. Est-ce le doute, la peur de trop rêver, une retenue pour ne pas être déçue ?