In espérance?

Le vague...
Et dans le vague...
Bruit lointain.

Peut-être de l'eau.
Ou une voix...
Ou bien...
...

Bruit encore...
Un cri peut-être...
Peut-être pas...
Ou alors...
Rien...
...

Un bruit, quelque chose de vrai.
Un bruit, j'en suis sûre...
Quelque chose de léger...
Mais vrai...
C'était un bruit...
Je l'ai entendu...
C'est étrange...
Je n'entendais plus rien...
Est-ce que...
C'est...
...

Le bruit, encore...
Le battement...
Lent...
Le battement...
Lent...
Encore...
Lent...
Mais plus fort...
Plus proche...
Quelque chose...
Je ne sais pas...
Quelque chose vient...
Vient à moi...
Quelque chose...
Je n'attends rien...
Plus rien...
Rien...

Le bruit...
Il est là, c'est quelque chose qui vit.
C'est quelque chose qui vivra.
Un cri.
Ou pas...
Je ne sais pas...
Un nom...
Je ne sais pas...
Un nom...
Je sais...
Je viens...
Ne pleure pas...
Ne pleure pas petite...
Ne pleure pas...

J'entends le bruit, l'eau, le cri, j'entends qu'elle pleure, la petite...
J'entends la vie qui fuit, la rage et la peine, si semblables, si proches, les miennes, presque, ma vie, ma rage, ma peine, ma force perdue et mes rêves usés.
J'entends la petite, elle ne veut pas mais qu'y peut-elle, rien, ne pleure pas, c'est pas la peine, il ne faut pas avoir de peine, ne pleure pas, petite...

Je vois la chair qui dérive et la vie qui s'effiloche, et l'eau qui lave, plus de colère et plus de peine, l'eau qui emmène au loin ce qui pèse désormais le poids des rêves qui restent, si légers...
La chair qui s'éloigne et je ne ressens rien, elle est vide déjà, la buée d'argent qu'il est, elle est ici, et c'est elle qui vit désormais.

Pareille à moi...

L'eau n'emporte pas ma chair, les oiseaux l'ont mangée, quelques os restent peut-être, quelque part par là.
Peu importe.
Cette carcasse n'est plus rien qu'une chose vide et fatiguée, mieux vaut que d'autres s'en repaissent, sa faim à elle était trop grande et elle l'a tuée.
Je n'ai plus faim ni froid, plus soif ni peur.
Que peut redouter la buée d'argent ?
Elle vit et elle vivra toujours, même dispersée, même répandue au loin, elle connaît sa propre substance, elle sait qu'il y a d'autres temps, elle sait...

Je sais petite...
Tu as vu celà pourtant, il y a peu, partie toi-même, et toujours là, tu sais, mais tu as oublié peut-être...
Ecoute...
Regarde...
Tu le vois, n'est-ce pas...
Pareil à moi.
Pareil à toi.
Laisse s'éloigner ce qui ne compte plus...
Et regarde...

Léger, enfin.
Libre...
Libre pour d'autres rêves, pour d'autres vies.
Libre...
De s'ouvrir en grand au monde, impalpable, de choisir, une nouvelle substance, ou pas.
Libre...
De s'évaporer au soleil gris qui reste, soleil si pâle, et d'aller vibrer au milieu des nuages, puis de se condenser et de retoucher une terre plus fertile, plus riche...

Seule la chair est morte.
La buée danse, elle cherche, elle ne sent pas encore très bien...
Elle craint encore peut-être, de se perdre...
Elle ne se perdra pas...
Regarde moi, toi, là, nouveau mort, nouveau-né.
Quelque chose de trop ou de pas assez t'a poussé au bord de la falaise et t'a plongé dans l'onde...
Et te voici.
Et me voici...
Trop tard peut-être...
Peut-être pas...
Absente trop longtemps peut-être...
Occupée à lutter pour ce qui traîne à présent dans un fourré, vide, de plus en plus vide sous le bec des oiseaux et les insectes qui fouillent, qui rendent au sol, qui rendent la mort à la vie...
Lutter pour ça, c'est dérisoire...
On ne le sait que quand on est dehors.
Quand on est libre...
Regarde-moi...

Absente, oui...
J'ai fui la peine et j'ai trouvé l'exil.
Quitté la pénombre pour la grisaille.
Cherché la lumière et perdu mon chemin...
Perdu le reste de mes forces dans le gris opaque qui colle aux épaules et rend les mots lourds et laids...
Puis, je ne sais plus, comme toi, sans doute, trébuché une dernière fois, et décidé que je ne me relèverais plus...
Ou plus pareille.
Je suis sortie.
Une autre manière, plus lente, plus lourde, plus secrète peut-être...
Moins de colère, sans doute...
Mais la colère part en miette sous le bec des corbeaux.
La colère et la peine, et l'attente, tout est resté dans la chair morte, dans la buée d'argent il n'y a plus que moi qui danse...
Regarde et pardonne-moi...
Et danse...

Viens avec moi...
Où ?
Mais nulle part...
Partout.
Une fois, mille fois...
Le monde est vaste, les mondes sont innombrables, innombrables les vies qui s'offrent à nous, et les vies des autres, ceux qu'on connaît, ceux qu'on connaîtra, ailleurs, ici, partout.
Viens avec moi, mon coeur...

Je ne te dis pas adieu, petite.
On se reverra, ailleurs, ici, partout...
On se reverra et cette fois tu sentiras une main sur ta joue, pour dire bonjour et non adieu...
Nous n'avions plus que des adieux à dire...
Il le fallait.
Car tout meurt, petite...
Il faut que tout meure.
Pour revivre.

[je m'étais pourtant juré...]

( agglup... Crying or Very sad

)

La petite brume vacillante me fait signe, bientôt rejointe par une autre.
Les buées argentées.
Vos buées.
Vous.
Tous les deux.
Réunis.
C'est si beau...

Ca pourrait sécher mes larmes, de voir cette valse douce-amère, suintant une joie morbide, ces deux écharpes de brumes enlacées, vous, vous êtes si beaux, même si je ne vois plus vos visages, même si de vous je n'ai plus que des souvenirs, et deux lambeaux de buée qui s'étirent et se rassemblent dans l'air qui se refroidit...

Et pourtant...

Car il faut toujours un " pourtant ", comme il faut qu'une fleur perde ses
pétales, comme il faut que la peau d'un visage se froisse et se ternisse, comme il faut qu'un regard illuminé s'éteigne au bout du compte, comme il faut qu'à la fin de la vie, il y est toujours la mort...

Et pourtant, je ne sais plus quoi faire, désemparée, hébétée, je supplie du regard, une prière muette et informulée, les deux écharpes de brume, ignorant laquelle est Boa, non, son esprit, ignorant laquelle s'est arrachée du corps de Sin...
A un moment, trop futile, trop fugitif, espèrée du bout de l'esprit comme un petit enfant qui n'ose pas y croire trop fort de peur d'avoir encore plus mal si jamais il s'était trompé, j'ai cru te revoir, Boadicea, j'ai cru que tu allais revenir...Et je ne suis pas folle, je l'ai bien vu, le frémissement de ta main, je l'ai bien perçu, le mouvement presque imperceptible de cet oeil, le gauche, sous ta paupière...Mais apparemment, toi, tu as refusé...Tu sais, Boa, j'ai eu l'impression de te perdre une deuxième fois...

Et voici le "pourtant".
J'ai voulu trop fort.
Maintenant, mes voeux ont explosé en mille morceaux, comme une bulle de savon qu'on éclate.
Je n'ose plus rien espèrer.
Je n'ose plus bouger.
Je ne veux plus bouger ?
Peut-être, en fin de compte...
Peut-être qu'il serait plus sage de suivre votre voie...
Peut-être qu'il serait plus sage de vous rejoindre...
Je n'ai jamais volé...Et pourtant, dieu sait si ça me plairait !
Mais peut-être aussi que...
Peut-être que...

...

Je n'ose pas y penser.
Je n'ose pas l'espèrer.
L'espèrance ? Si j'étais bien civilisée, je dirai " Fi ! ". Mais là...Je ne dirai rien. Je ne peux rien dire. J'aimerai espèrer. J'aimerai y arriver. J'aimerai pouvoir me dire que je vais me ... - non, n'y pense pas -... relever, remarcher droit...-ça suffit, tais-toi, tu te fais du mal -...et reprendre ma vie..- arrête de te raconter n'iimporte quoi ! - ...normalement, comme une guerrière normale, qui n'a jamais eu de perturbations dans sa vie normale, et...- Arrête, je te dis, ça vaut pas le coup, ça ne vaut plus le coup, tout est fini, je te dis...-...

Non...Je refuse d'y croire...Je ne vais pas me laisser abattre...
Et pourquoi pas ? Tu ne te sentirai pas bien, là-haut ? Dansant avec eux ? Une troisième écharpe de brume, hein ?
Non...Je ne veux pas, je ne veux pas, je vais vivre...
Et pourtant, la délivrance n'est qu'à deux pas...
Non...Elle est derrière-moi...Avec les autres...
Elle est devant, au-dessous, en bas de la falaise ! Avec les autres, comme tu le dis ! Ne vois-tu pas que tu es la dernière idiote à t'accrocher à un fil qui se déroule sans se préoccuper de toi ?
Non..Je vais résister...Je vais me battre...Pour eux...Pour elle...Je suis forte...J'y arriverai, va-t-en, désespoir, laisse-moi, fous moi la paix, je ne t'écouterai pas...
Avance, je te dis ! Ne joue pas les courageuses, puisque, si tu résiste aujourd'hui, tu te donneras la mort dans deux jours ! Avance !
Non...Je refuse...
Lève-toi ! Un pas en avant ! Un seul ! Et tout sera fini, tu n'auras plus la possibilité de regretter...
Non...En arrière...
En avant !
En arrière !
En avant !
En arrière !
Devant...S'il te plaît...
Crève donc ! Je vivrai !
Non ! Tu mourras ! Tu mourras ! L'espèrance est à ta portée !
L'espèrance est derrière-moi ! Avec eux, à jamais !
Tu mourras !
NON !

Elle lance son refus vers les cieux, comme un ultime espoir.
Elle a fermé les yeux, tout à son combat intérieur.
Elle était à deux centimètres du grand plongeon, mais elle a refusé...
A présent, elle recule, les écharpes de brume se sont volatilisées.
A ses yeux.

A présent, elle sait où se trouve l'Espèrance.