In espérance?

Trois corps sans vie.
Des cadavres.
Frais, tièdes encore, et souples.
La vie est absente mais la chair subsiste et l'invite à revenir.
La vie est absente mais n'a point encore cédé à la mort.
La mort est courtoise, discrète, aujourd'hui.
La mort est si subtile.

Elle semble parfois se jouer du bourreau et de l'assassin, autant qu'un autre jour elle se joue de la proie, du supplicié ou du guerrier acculé.

La mort n'est pas, aujourdhui, accompgnée de la violence ou de la douleur, tantôt alliées, tantôt ennemies. Elle ne leur laisse parfois pas le plaisir de s'abattre sur l'infortuné, elle leur soustrait parfois leur proie. Une autre fois elle se fait longue à venir, elle aime à être attendue, appelée, suppliée, et elle tarde, pour laisser la souffrance faire un pas de plus, pour assister à une violence plus folle.

La mort est là, toute proche. Elle attend. N'espère rien. La mort ne connaît pas l'espoir, elle n'en a nul besoin car de tout temps elle sera. Elle doute, aujour'hui car elle n'a pas été appelée, elle n'a pas eu à arracher les âmes aux corps inertes qui gisent au pieds des Ithryn Luin.
Les âmes sont libres dans les Terres d'Argent, mais aujourd'hui, trois âmes se sont trouvé une autre liberté, plus brillante, supérieure, et la mort sait qu'elle ne les emportera peut-être pas... aujourd'hui.
Mais elle veut attendre, elle souhaite assister à ce qui va se passer.

Egon était devenu sorcier, à présent, certes, mais son très lointain passé de prêtre affluait comme un ressac irrépressible.
Les trois corps, impassibles, nimbés d'une paix sans limite, libérés du temps, à l'images des âmes qui se sont libérés d'eux gisent aux pieds de la troupe, du clan...les Mages bleus.

Je... je ne sais pas, Miw, je crois... que nous devons les emmener à la forteresse.
Il faut accomplir une sorte de...un rite, toi et moi, et les autres aussi, mais tes pouvoirs, et les miens, Miw..
Ce que tu as fait, la vallée que tu as effacée, il faut que... que tu maîtrises ta magie. Tu dois la contenir et ne la libérer qu'au gré de ta volonté. Il ne faut pas qu'elle te domine, tu dois en être le maître, et pas le sujet. Tes yeux doivent rester grands ouverts, tous tes yeux, ceux qui regardent le monde,..., et les autres aussi.

Emmenons-les sans tarder, le soleil sera bientôt au zénith.

NON.

Non, Hellequins.

Non, Egon.

Celà doit s'accomplir en le lieu qu'ils désignèrent. Ce sont eux qui ont ouvert la voie.

Le chemin commence et finit au seuil qu'ils ont posé.

Toi, centauresse, ta soeur doit entendre ta voix, comme celle des autres, rejoins tes frères!

Tous entendirent les paroles du Faucheur.
Egon se tourna vers la silhouette d'Aim la farouche qui se tenait à distance, comme hésitant à rejoindre son ancienne fratrie.
Puis il jeta un regard inquièt à Miw. Les pouvoirs de la petite Félys avaient à peine modifié le relief. La rivière, au lieu de couler au fond d'une vallée encaissée entre deux falaises, creusait à présent un lit aux berges doucement pentues dans une plaine uniforme, qui n'apparaissait que parce que la vallée avait disparu, mais le paysage en était méconnaissable, les repères si profondément changés que l'on ne pouvait être sur de porter le regard dans la bonne direction.

Le seuil qu'ils ont posé? Ce ne pouvait être loin. Alyssandre s'était jetée sur sa propre épée aux pieds d'Arlequin à l'instant où celui-ci faisait un dernier pas., sur cette rive. ici?

Egon ferma les yeux et tendit les deux bras devant lui, légèrement écartés, poings serrés. Il prit une longue inspiration, puis, ouvrant les mains et tournant lentement les paumes vers le haut, il exipira en un râle où semblaient se mèler les murmures d'une foule gémissant à l'unisson. Quand il ouvrit les yeux, ceux-ci avaient pris l'apparence d'orbes de jaspe rouge, sans iris ni pupille.

Bien Egon.

Les trois corps semblèrent s'animer. Imperceptiblement, autour d'eux, les brins d'herbes se couchèrent, comme soufflés du centre d'un cercle vers l'extérieur.
Comme si le temps s'accélérait soudain, il jaunirent, brunirent, l'instant d'après, il n'étaient plus que poussière mélée à la mince pellicule de terre sèche et stérile qui déjà était chassée par un vent que nul ne sentit. Le même vent centrifuge.qui soufflait l'herbe, l'instant d'avant et qui mettait à nu la pierre.

Le seuil.

Une table de pierre, parfaitement circulaire apparaissait sous les trois corps et s'élevait lentement. Epaisse d'un pied, faite de quartz pur. Elle faisait corps avec la colonne cristalline sur laquelle elle reposait, en parfait équilibre.

Egon ferma les yeux, puis les rouvrit en soupirant, ils avaient repris leur apparence normale.
Il savait qu'ils seraient guidés. Qu'il n'y avait pas à craindre de faillir.

Il se tourna vers Miw.

Celà va être à nous.

Puis se tournant vers les autres,

Vous avez tous un rôle à jouer. Nous avons besoin de votre force à tous. Vous, Alquäloth, votre espèce a engendré des sorciers aux pouvoirs inégalés, et vous Erohir, votre courage et votre ténacité doivent nous porter, Haénobarbus votre force doit nous armer, Aim, Aélis, Shery, par votre passion vous nous élèverez.

Venez.

Il prit la main de Miw.

Appelons-les.

Pas trop tard, peut-être.

Mais il faudra faire vite.
Aucune idée de si ça va marcher leur truc.
Alors attention.
Avant qu'ils reviennent vraiment.
Il faudra faire vite et très précisément.
Au moment où ils arriveront, elle reviendra aussi.
Si elle pouvait rester coincée là-bas, cette conne.
Mais ce serait trop beau, vaut mieux pas compter dessus.

J'ai deux avantages sur elle.
Je suis déjà ici, je suis prête.
Et aussi, je sais que je vais devoir me bagarrer avec elle.
Elle ne sait rien de tout ça, elle se promène va savoir où, elle fait du tourisme avec ses bons amis, pour se ramener la gueule enfarinée faire des mines de rien devant tout le monde et jouer les intéressantes, comme d'habitude, sans avoir l'air d'y toucher. La garce.
Je la hais, plus que tous les autres mis ensembles, elle me dégoûte, cette soi-disant sainte nitouche avec ses appétits bien rangés, bien cachés. Madame la blanche colombe. Foutaises...
Je la hais, mais elle a un atout sérieux, qui peut tout faire foirer.

C'est son corps.

Il va falloir faire vite, et très précisément.
Je guette leurs paupières, leurs doigts.
Au premier frémissement...

Nous sommes éloignées de plusieurs mètres, et pourtant si proches. Sens-tu nos souffles qui s’envolent dans la même direction? Entends-tu nos cœurs qui battent à l’unisson?
Ne les écoute pas. Attends-moi, j’arrive.

Lentement, je m’approche d’elle. Mon bras se tend, et du bout des doigts je caresse son épaule, comme pour lui signaler ma présence. Ne les écoute pas. Reste avec moi. Et dis-moi, raconte-moi pourquoi tu restes là, à observer passivement cet acte qui se joue devant nous. Je sais que ce n’est pas la place aux plus près du Faucheur que tu attends. Pourtant, tu sembles espérer comme moi que ce soit la tirade finale de ces comédiens qui s’offrent une mort sur scène. Puisqu’ils le veulent, laissons les partir. Tu n’es pas d’accord?

Ne les écoute pas. Reste avec moi. Tu as entendu mon père, il faut les laisser là où ils ont choisi d’être. Il faut accepter leur choix.

Nous ne serions d’aucune utilités. Nous ne nous donnerons pas en spectacle en les réchauffant de caresses. Nous ne leur volerons pas la vedette en les couvrant de cris de chagrin. Ils méritent de tirer leur révérence comme ils l’ont choisi. Mais qu’ils le fassent vite. Qu’ils arrêtent de me faire souffrir.

Reste avec moi.
Les larmes commencent à prendre le dessus sur le sourire. Les lèvres tremblantes, je relâche la tension pour le laisser disparaître complètement, inondé par des torrents salins que je ne maîtrise plus. Pourquoi? Pourquoi ont-ils fait ça? Et mon père qui ne me voit toujours pas… Prête-moi ta main, Aim. Pour que la mienne arrête de trembler. Prête-moi ta flèche. Pour que mon cœur arrête d’être retourné. J’ai bien compris que ce n’est pas leur mort qui me libèrera.

Mes doigts enserrent les siens et caresse la flèche. Le regard désormais plongé dans le sien, j’attends. J’attends qu’elle me dise à quel appel elle va répondre.

-Je... ça va être à nous ?

Il a dit que je ne contrôlais pas ma magie. Pourtant, est-ce que je ne l'ai pas voulue, cette plaine ? Je ne suis pas sure... Je crois que j'ai été prise par mes émotion. C'était insupportable.
Il me repproche de m'être libirée de ce décor infernal mais visiblement utile. Une vallée, dit-il ?
Je sent encore ces drôles de présence et la chute dans le vide. Pourtant, il n'y a pas de vide.

Malgré tout, je m'habitue peu à peu à ces sensations. Ca tombe bien, car il n'est plus l'heure de paniquer. Me voilà attribuée d'une lourde responsabilité : ramenez des corps à la vie.

J'entend la voix du Faucheur, ce qui me froisse l'oreille malgré toute la bien veillance qu'il semble nous porter.

C'est pas normal... est-ce que je réalise ...?... quelque chose ? J'ai peur de voir quelque chose d'inquiétant.

"Tes yeux doivent rester grands ouverts, tous tes yeux, ceux qui regardent le monde,..., et les autres aussi."

Voudrai-t-il dire que je ne veux pas voire ?

Les pensée fuse dans ma tête, trop vite pour que je puisse consciament comprendre ce qui s'y passe.
Moi et mes peurs, nous aurons une petite discution, après tout ça !

Les questionnements se bousculent mais aucune interrogation ne se fait entendre. La gorge serrée, les lèvres scellées, je commence à me concentrée. C'est difficile. J'ai l'impression d'avoir à faire. Je ne suis pas sure de moi.

Egon prend ma main. J'ai moins mal à la tête. Il semble préparé, lui. Il ne sait peut-être pas vraiment ce qu'il doit faire et pourtant, il semble prèt.
Cette espèce de confience aveugle, il me la transmet ou bien je l'aspire, par un simple contact.

Je sent son sang taper dans ses veines et vibrer contre les miennes entrainant mon fluide au rythme du sien.

Je vois les falaises oubliées et les restitue des souvenir d'Egon jusqu'à la réalité. L'eau chûte de nouveau dans un vacarme régulier. Nous sommes juste au bord. Tout a à nouveau changé comme s'il n'avait s'agit que d'une illusion... mon illusion que je m'étais créée.

-D'accord. Réveillons-les.

L’acte final est entamé.
Mes sabots sont cloués au sol, ils trépignent, remuant la terre sous leur passage. La nausée ne veut pas m’épargner décidément, les bonds du cœur arrachent ce qu’il me reste à l’intérieur… d’ici la fin du spectacle, une coquille vide, assurément.
Il suffit de se montrer un tant soit peu patient.
Ca ne m’allègera pas d’un grand poids, vu ce qu’il en reste. Mais enfin, c’est toujours cela. Pourquoi s’encombrer de ce peu d’âme et s’alourdir futilement de ces sentiments de remords qui me submergent en restant plantée là ?

A l’intérieur, la guerre fait rage.
Oui, je sens monter la rage, ma bonne vieille rage. Mais elle n’est pas venue seule cette fois, elle a invité son amie la haine, sa cousine l’envie et tout ça fait des merveilles en mon sein.
Admirez plutôt. C’est du travail d’orfèvre…
Bientôt il n’y aura plus rien. C’est drôle en un sens. C’est une forme de liberté comme une autre que de s’affranchir de son âme. Peut-être pas aussi délicieuse que celle offerte pas la mort mais ce n’est pas si mal, on n’en a pour son argent…

Eux ?
Ils continuent leur manège, quelle drôle de scène !
Un temps ils semblent perdus, désorientés comme si l’amnésie les avaient frappés.
Que leur arrive-t-il ? Que cherchent-ils des yeux avec tant de frénésie ?
La mort les aurait-elle rendus aveugles ?
L’instant d’après, les voilà se tenant la main, sûrs d’eux et de leurs gestes.
Et ces maudits sorciers ! Avec leurs incantations et leurs formules magiques apprises dans les grimoires… Rois de l’illusion, oui ! Allez au diable !

Allez tous au diable, tous autant que vous êtes !
Toi le premier ! Faucheur ! Je m’importe bien de toi à présent.
Je n’ai nul besoin que l’on m’appelle pour faire couler le sang, jamais !
Je prends, j’ai toujours pris, c’est ainsi et toi, tu n’es rien !

Allez au diable vous !
Egon, Miw, Erohir, Alquäloth ! Tous !
De quel droit tenter vous de les arracher au repos ?
Vous êtes aveugles ? Aveugles devant leurs visages apaisés !
Vous ne comprenez pas… vous croyez que cela en vaut la peine.

Mais « cela » n’en vaut pas.
Cela n’est qu’une longue agonie à laquelle Eux ont pu mettre un terme.
Moi je ne peux pas. Je n’en ai pas le droit. Mon agonie, je la mérite, je me l’inflige.

Mais surtout allez au diable Vous !
Parce que Vous pouvez et que je ne peux pas.
Parce que Vos âmes sont enfin libres, soustraites de toutes contraintes, de toute culpabilité et que je dois porter la mienne constamment… mon fardeau !
Parce que je suis folle de jalousie à ce moment précis ! Je vous envie ! Oui ! Je vous envie et si vous daignez revenir à la vie, je crois que je serais capable de vous ramener à la mort de mes propres mains ! Je ne voudrais pas que vous loupiez votre chance devant l’Eternité !

Et je…

Mes pensées comme mon souffle s’étouffent dans ma gorge étranglée.

Une présence. Derrière moi. Furtive. Agile. Silencieuse. Digne d’une voleuse.

Aelis.

Sa voix au timbre de velours qui réchauffe mes oreilles ? Une caresse. Son visage aux traits si gracieux ? Un sourire. Sa main qu’elle laisse languir sur mon épaule ? De la soie. Si douce. Si séductrice. Si désireuse. Si peu innocente.

Elle me parle. Non. Elle m’hypnotise… du regard. Je n’écoute pas, je n’entends que quelques mots, des bribes pêchées ci et là. Je suis comme attirée vers son visage, ses yeux qui m’appellent, eux me parlent et ils me disent tant de choses. Ils souffrent. Ils sont opportunistes aussi. Que veulent-ils vraiment ?

Dis moi Aelis. Que veulent-ils quand tes lèvres m’invitent à rester près de toi mais que ta voix tremble ?
Que veulent-ils quand ta raison t’ordonne d’être immobile mais que ta passion te supplie d’agir ?
Que veulent tes yeux Aelis quand tes larmes prennent le pas sur ton sourire ?
Dis moi.

Je la fixe à présent. Et le vent balaie la longue mèche de cheveux cendrés, découvrant entièrement mon visage, alors dissimulé.

Me vois-tu comme je suis ?
Tes yeux sont-ils trop brouillés de larmes ou peux-tu voir les miens ?
Noirs.
Du fond de l’œil à la pupille, en passant par l’iris. Noir.
Je le sais. Nul besoin de miroir. Je le sens. La coquille est vide.
Veux-tu voir le néant de près Aelis ?
Veux-tu voir des yeux qui ne savent plus pleurer ?

Apprécies-tu cette expression de pierre sur mon visage ?
Me reconnais-tu seulement… Distingues-tu mes traits déformés par la rage ?
Sens-tu ce doux parfum de mort qui règne ? Le parfum des cendres que je dégage…

Ma main que tu n’enserres pas vient remonter le col de ta nuque pour se poser fermement sur ta gorge… ta gorge si fragile.
Pourquoi tes doigts viennent-ils effleurer la flèche qui dépasse de mon carquois ? Pourquoi jouent-ils avec le feu ?

Je te revois Aelis, m’ouvrant la porte de la forteresse, m’accueillant à bras ouverts. J’étais jeune, inexpérimentée et perdue.
Beaucoup de choses ont changé.
Je suis devenue plus grande, plus forte, plus agile aussi… il suffirait de serrer.

A mesure que j’approche de ton visage, ma respiration se fait bruyante, saccadée.
Ma joue posée contre la tienne, épouse tes larmes.
J’avais oublié comme les larmes sont chaudes. Je m’oublierais sur ces larmes…
Un murmure.

« Qu’attends-tu de moi Aelis ? »

Elle ne sait pas à quoi s'attendre. Alquäloth n'est pas sorcière, elle est guerrière. Oh oui, bien sûr, sa race a engendré de puissants sorciers, mais elle, elle ne fait confiance qu'à son arme et non pas à un bâton de magicien. Elle ne se sert de sa magie que dans certaines circonstances, pour allumer un feu par exemple, elle ne dédaignait jamais son pouvoir inné de faire naître une petite flamme dansant au bout de ses doigts. Ou lorsqu'elle était face à face avec un ennemi dont elle ne connaissait ni la force, ni la résistance ni le sens de l'esquive, il n'était pas rare qu'elle le teste avec une boule de feu rapidement expédiée.

Mais là...Que faisaient-ils, tous ? Inutilement debout, droite, les bras pendant nonchalemment le long de son corps, une partie d'elle observait dans les moindres détails Miw et Egon, surveillait leurs moindres mouvement de sourcils ou le plus futile crispement du coin de leur bouche, tandis qu'une autre partie, plongée dans ses pensées, réfléchissait...

Etait-ce là une bonne chose que de les ramener d'un voyage désiré ? Mais eux, si égoïstes étaient-ils, voulaient les tirer de leur sommeil apaisé. Oui, égoïstes...Et si égoïstes qu'ils continuent tous le rituel. Même elle, qui ne fait rien, contemplant les deux sorciers debout de part et d'autres des trois enveloppes vides, a l'impression de participer au ranimement de Boa, Arlequin et Alyssandre.

Quelle serait la réaction des Trois, lorsqu'ils se lèveraient de cette table de quartz ? Seraient-ils reconnaissants, souriants, ténébreux, tristes, effarouchés, courroucés, voir haïssant ? Mais Alquäloth savait bien que qu'elle que soit leur réaction, elle serait heureuse de les voir se lever et marcher.

Ses doigts se referment sur son fourreau. Un geste machinal qu'elle effectue souvent, même lorsqu'elle n'a pas besoin de son épée. Mais sa lame est sa soeur, sa protectrice, elle ne sont rien l'une sans l'autre et elles se complètent. Elle sort lentement son épée de sa gaine de métal poli, et la saisit à deux mains par la lame, dans un geste affectueux. Son épée, tenue parallèle au sol, devant l'elfe, lui blesse un peu les mains, mais bon, on ne réprimande pas une soeur... Pour un peu, elle la serrerait dans ses bras. Soeur, donne-moi du courage...

Elle, sorcière ? Plutôt mourir !

Tous... Oui vous tous, un jour vous saurez.

Les yeux rivés vers le ciel, Erohir espère...
Aide, ou quelque chose auquel il pourrait s'accrocher pour ne pas tomber.

Véritablement sombrer à jamais dans la folie.
Il n'éprouve pas le moindre remord, la moindre peine...
Eternellement il restera un monstre, jusqu'a que l'on vienne le chercher.

Néant, ou Mort qu'importe son nom, n'importe qui ce sera...
Elle est attendue de pied ferme. Enfin il sera libéré de tous ses maux.
Silencieux, le corps lourd et affaibli, il avance dans l'herbe.
Tempête des esprits... Un rocher calcaire massif se dresse dans la plaine.

Quiétude, et repos... C'est tout ce qu'Erohir demande...
Un geste rapide, il tend sa main vers eux. C'est inutile.
Ultime sursaut puis, son genou tombe lourdement sur le sol.
Nourri par la haine et la colère, en lui, un monstre le dévore.

Cri de rage qui se propage dans la plaine, alertant les alentours.
Homme réduit à néant par ses propres démons, par ses choix.
Où il y a de la vie, il y a de l'espoir, mais quand la vie n'est plus ?
Il porte sa main tremblante et touche la poignée ouvragée de sa lame.
Xylographie sur le pommeau racontant une épopée sinistre.

Au Diable ces rêves... Il se lacère le torse, et y dessine une croix.

Flamme brûlante de la blessure, mélée au contact froid de la lame.
Aube qui commence dans le sang, Age qui s'achève par le feu.
Il se redresse et lance sa rapière au loin, qui se brise sur sol.
Retrouver un semblant de vie et devenir enfin libre.
Erohir a fait ce choix, mais seul il n'y parviendra pas.

Un regard pour les autres, ceux venus pour Boadicea,
Une pensée pour ceux venus rendre hommage à Alyssandre,
Un sourire pour ceux venus voir l'Arlequin...

Comment ressuciter ? Est-ce que j'en suis capable moi ? Qui peine autant à maitriser ma propre vie, est-ce que je peux la donner ? Et faire en sorte quelle soit correcte ? Je peux faire ça moi ?

Petit bout de rien que je suis.
Pourtant, je déplace les falaises.
Ca n'a pas de sens. Je n'ai pas de sens.
Que suis-je ? Qui est-il ? Que sommes nous ?

Le monde est-il fait pour être aussi chaotique, ou ce n'est que pour moi ?
Y a-til un sens à souffrir les maux des autres ? Y a-t-il un sens à se tuer pour revivre ? N'est-il pas plus simple de rester en vie ?

Non, ils ne sont pas mort. Peut-être pas plus que moi dont l'esprit ressemble à un voile troué laissant passer les courrants d'air et perturbation.

Je ressent tout, puis plus rien. Le rien est-il tout ? Dans ce cas, c'est rien du tout. Ils ne sont même partis. Je n'ai qu'à plonger la main dans un bassin d'eau tiède pour y pêcher ce qu'il reste de leur soupe de vie.

Cette idée de soupe me fait sourrire. C'est tellement n'importe quoi... n'importe rien...

Est-ce que c'est tout ce qu'on voit quand on ouvre les yeux ? rien ?

Je regarde ce vide devant moi.
Non. Il y a quelque chose. Un truc suspendu dans le néant.
Mes yeux me piquent. Je vois clairement trois silhouettes suspendues par un fil, comme attirées vers le vide de l'espace. Pourtant, elles sont solidement accrochées à cette table. Ca pend bêtement vers le haut.

Egon est en transe. Est-ce qu'il voit ça, lui aussi ?

-Egon, tu vois ça ? Qu'est-ce qu'on en fait ?

Après tout, je ne sais toujours pas de quoi je suis capable. Ils ont l'air bien accrochés et pourtant, j'ai peur de faire une bêtise, de les abimer, ou de les perdre. J'envisage mille façons de les tirer vers leurs corps, mais impossible de savoir vraiment comment m'y prendre. Y a-til seulement une bonne façon de faire ?

Juste un guide... je voudrai être simplement l'outil d'un guide. Est-ce trop demandé ?
Faucheur, dis moi... que veux tu faire de moi ? Guide mon bras, je te le donne. Ce sont les tiens, ces trois machins qui flottent. Je ne suis qu'une épuisette au bout de ton bras pour les repêcher. Pitié, utilise moi.

[J'espère que cette fois je ne me trompe pas d'In esperance BIDE

]

Musique

Je les vois. Je les entends. Mais je ne les reconnais pas. Ni ne les comprends.

Eux...ces saltimbanques...cette famille.

Eux, qui pourtant m’ont accueillit à bras ouverts.

Je ne puis désormais les reconnaître. Je suis fermé. Je les fuis.

Pourquoi ?

Pour qui ?

Je n’ai qu’eux.

La seule famille qui ne m’ait jamais accepté. Ou tout du moins, toléré.

Je ne fuis plus.

On me fuit.

Il me fuit.

Je tends la main, essaie d’esquisser un signe dans leur direction, essaie de saisir ce bonheur, mais le voila qui fuis à nouveau.

Poids mort depuis ma naissance, je ne puis me défaire de cette malédiction.

Et si...

Petite Mère, aide-moi...par pitié, aide moi...

Et si tout étais de moi ? Et si tout n’était qu’illusion ?

J’ai tant chassé ce bonheur que je n’ai plus la force de combler cet ultime écart. Infime parcelle de rien, qui, depuis le soir de ma naissance obscurcit tout un monde.

Mon monde.

Et si...

Petite Mère, je t’en conjure, donne moi la force...

Mes genoux s’affaissent.

Je tremble. De tous mes membres, aucun ne me répond plus.

Je ne vois plus que couleurs et formes vagues. Derrière le voile de mes larmes se dresse l’inaccessible. L’interdit.

Derrière ce voile, se dresse le salut. Celui de mon âme. Celui de mon cœur.

Celui que l’on m’a, depuis toujours, refusé.

Je n’ose appeler de l’aide.

Je finis de m’affaisser et me retrouve à contempler les arbres et le ciel, perçant le doux feuillage de ma Petite Mère.

Je voudrai appeler à l’aide. Mais je n’ose pas.

Je n’ose les déranger.

Et si...

Petite Mère, je t’en supplie...détrompe-moi.

Et si...j’étais l’intrus...l’indésirable...

Celui que l’on tolère, mais que l’on aime autant que la tempête...inéluctable, indésirable...

Et pourtant...

Petite Mère...Merci.

Merci...Petite Mère.

L’espoir subsiste, infime étoile, dont la clarté s’estompe devant celle des grands astres nocturnes, malveillants...

La vieille carcasse remue. Trop vieille. Trop usée. Mais il faut qu'elle bouge. Une dernière fois.

La vieille carcasse se remet péniblement sur ses genoux, puis, se tenant à la table, un pied après l'autre, se lève. Elle craque, elle souffre. L'alcool n'arrange rien. Ses articulations grincent, ses muscles ne sont plus que des lambeaux. Elle lutte contre le poids des années et des abus pour, petit à petit, gagner la sortie.

Sans armes, sans défense. La carcasse se traîne vers l'extérieur.

La carcasse survivait jusqu'à maintenant. Elle sait que son heure est venue. Qu'il lui reste une dernière chose à accomplir.

La carcasse avance pesamment, économisant chacun de ses pas. Elle ressent une dernière fois les douceurs et les malédictions qui touchent les vivants. Bientôt, elle sera délivrée des tourments de ses douleurs. Libérée. Mais pas encore, non, pas tout de suite.

La carcasse arpente les ruelles sombres, elle gagne les collines. Elle n'y voit plus très clair, ses yeux sont recouvert d'un voile blanc. Mais elle n'a pas besoin de voir, seulement de savoir, et elle sait. Elle avance inéluctablement. Rien ne pourrait l'arrêter, puisqu'elle sait que sa mort est proche, mais pas immédiate. Elle contrôle son propre destin, elle a choisi.

Les ascensions sont des supplices, mais la carcasse peut enfin savourer sa pénitence, elle qui n'avait osé le faire encore bien portante. Le poids des remords et des ans se dissolvent dans sa souffrance. Etrange...

La carcasse pleure.

Mais la carcasse, la vieille carcasse, sourit.

Ce que j’attends… Si seulement je le savais. J’attends qu’ils meurent pour de bon. J’attends que tu les sauves. J’attends que tu me libères de ma tourmente.

Si seulement j’arrivais à choisir entre eux, eux que je chéris, et celui que j’idolâtre. Eux qui m’ont tant apporté, qui m’ont tant offert. Et qui veulent me priver d’eux. Egoïstes!

Ils ne sont qu’une bande d’égoïstes. Ils nous quittent. Ils m’abandonnent. Comme tu le feras dans quelques instants, n’est ce pas?

Plus de larmes. Pas de regard implorant. La mâchoire clouée pour que les mots qui suivent ne sortent pas de mon esprit.

Fini. Fini de me montrer que ce que les autres attendent. J’existe, j’aime et je souffre comme tous ici. Mais personne ne semble le voir. Ni vouloir le comprendre. Alors qui me restera t’il quand ils seront partis? Mon Père, qui me considère plus comme un appât de bonne chair pour âme à châtier que comme la fille que je veux être? Toi, qui disparaîtra dès que j’aurai tourné la tête? Qui pourra entendre mon cœur? Qui saura me décrypter?

Ma main retourne dans la sienne. Elle ne cherche pas d’appui cette fois. Elle donne des ordres. Plaquée sur mon cœur, je veux qu’elle sente.

Crois-tu qu’il batte assez fort qui crier ma détresse? Mes peurs sont nombreuses, je ne suis capable d’aucun choix. Alors toi, tu choisiras pour moi. Regarder, agir, ou mourir. Telles sont mes possibilités. Je les souhaite toutes. Et je me hais d’y songer.

[url=http://www.radioblogclub.com/open/146512/nightwish/Nightwish - Dark Chest Of Wonders]Musique[/url]

Le hurlement.

Les cendres.
Que...?

Par les treize, Egon... Va, maintenant!

Tahäl

Tahäl

Tahäl

Avec moi, Miw!

Tahäl

Hëllequin .... Alessa .... Aedicyë

Tahäl

Hëllequin, Alessa, Aedicyë... Tahäl!

Egon se tourna vers ses frères assemblés qui attendaient encore dans l'ignorance des mots à dire ou des gestes à faire. Lui même n'était qu'à peine effleuré de la cognition des forces qu'il devait invoquer, à mesure que lui était insufflé le savoir. En continuant de psalmodier d'une voix forte et passionnée il leur lança à tous un regard tendu et brulant pour les inviter à se joindre au rituel, à leur donner, à lui et à Miw, la force de leur magie, si faible fut-elle.
Le doute était absent, Le Faucheur guidait.

Tahäl, Tahäl, Tahäl!

Hëllequin, Alessa, Aedicyë... Tahäl!

Hëllequin, Alessa, Aedicyë, Tahäl!

Hëllequin Alessa Aedicyë Hëllequin Alessa Aedicyë HëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyë

Tahäl!!

Le sorcier hurlait à présent à plein poumons, scandant l'incantation, accélérant le rhytme à chaque répétition, comme pour briser quelque chose, comme pour communiquer à la table de pierre toute la puissance des magies. Les yeux rivés aux trois corps inanimés il semblait davantage vouloir les repousser que les appeler.
Car c'est ce qu'il fallait faire.

Tahäl!

Les pousser.

Tahäl!

Les pousser pour qu'ils reviennent.

Tahäl!

Pour qu'ils s'élèvent encore.

Enfin, on me guide ! Je me donne entièrement à la tache, suivant les indications d'Egon. Je mime ses mots, ces gestes, ces souffles. Je le sent qui appellle la puissance, toute la puissance disponible. Je sent la mienne qui chauffe. Main dans la main, je partage ma force à petit feux pour ne pas qu'il s'en étouffe tandis que moi-même, j'oublies que je respire.

-Tahäl, Tahäl, Tahäl!

-Hëllequin, Alessa, Aedicyë... Tahäl!

-Hëllequin, Alessa, Aedicyë, Tahäl!

-Hëllequin Alessa Aedicyë Hëllequin Alessa Aedicyë -HëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyëHëllequinAlessaAedicyë

-Tahäl!!

Je ne connais pas cette langue, j'ignore tout du sens de ces syllabes que je mimes à la perfection. Mais je vois des liens qui s'étirent et s'affine. Je ne pensais pas qu'ils étaient aussi élastiques. Est-ce qu'il vont rompre ou s'étirer comme ça jusqu'au ciel ?
Je hurle ces incantation et voies ces cordes spectrales qui s'enflamment. Le feu bleu part du milieu puis s'étend vres les extrémités.
Je devrais avoir peur de les bruler, mais je ne ressent qu'une profonde confience et une dévotion à toute épreuve. Je ne sais pas pourquoi, mais tout pourrais ce réduire en cendre que je ne changerai pas ce que je suis en train de faire pour autant.

D'où vient cette puissance que je ne me connaissais pas ?
A l'instant où je puise un peux plus dans cette étrange source d'énergie, j'entends un crie strident qui me déchire l'oreille. Mais je n'arrête pas. Un filet de sang coule de mon oreille comme si le tympan c'était rompus.

-youhiiiiiiiiiihhhh

Ce crie, je ne suis pas seule à l'entendre et je l'ai déjà entendu. Mais curieusement, je ne m'en inquiète pas. Ce n'est pas mon tour de me faire du soucis. Je pense qu'il a mal. Liûie enfermé dans mon esprit, je lui arrache un crie. Paie ton loyer !!
La bête hurle à en déchirer le vent. Je puise dans cette source qui semble infinie, comme un animal assoiffé. Ma main fume dans celle d'Egon. Je suis ivre de cette force et ne sent plus les déchirures au fond de mes oreilles. Il peut toujours crier, il n'en résultera rien de plus que se petit flot pourpre qui roule sur mon cou, caresse ma clavicule et chute de mon sein. Des taches rouges tombent sur mes pieds noirs velour, mais je m'en fiche, je me sent invincible.

Haénobarbus

Pour les grandes occasions, il faut de la musique

J'ai mal.
J'ai trop mal.
Et ils sont si loin. Ma vue se brouille, mes articulations gémissent à chacun de mes mouvements.
Je souffre, en silence, car même parler m'est douloureux. Je ne suis plus qu'une plaie intérieure, entourée d'une peau tirée, tannée, martyrisée par le temps et l'exercice.
Un sac brinquebalant, tentant pitoyablement d'agir, rien qu'une fois, une dernière fois. Le résidu de ce qui autrefois fut un guerrier, fut un aventurier, jamais grand, jamais glorieux, mais vivant.

Suis-je réellement vivant ?
Est-ce vivre que de se traîner si misérablement sur une route pourtant empruntée maintes et maintes fois ? Je ne reconnais même pas les lieux où je passe.

Et, suprême horreur, mon esprit même devient plus flou, plus distant, je lutte pour garder contre moi la moindre de mes idées, le plus connu de mes souvenirs, la plus commune de mes sensations.

Tel un tonneau des Danaïdes, ma mémoire veut se vider, et je puise, acte vain et ridicule, je veux écoper, je veux sauver la seule chose qui me reste, la plus petite traces des quelques bonheurs que j'aurai connus.

Qui étais-je...? Cette simple question devient un véritable casse-tête...je suis Ithryn, cache-misère, car les actes antérieurs me paraissent vagues, comme si je les avais vécus à travers les yeux d'un autre. Je revois une forêt, un centaure blanc qui me guide, qui me présente un domaine...était-ce le mien ? Au milieu de tous ces arbres, ai-je réellement vécu au milieu de tous ecs arbres ? Et ce grand bâtiment...une mairie, un temple, une villa ? Je ne sais plus, je ne sais plus.

Avancer. Ne t'arrête pas, où tu oublieras jusqu'à la raison pour laquelle tu te tortures.

Même les odeurs s'évanouissent. L'iode, le vent marin, tout cela me paraît si abstrait, alors que durant des années, dans ma taverne, je pouvais les sentir simplement en fermant les yeux. Je revois l'immensité bleue, qui ne peut pas, ne doit pas disparaître, mais je ne distingue plus de poissons, plus de voiles à l'horizon, rien qu'une étendue uniforme, devenue sinistre.
Ma tête se meurt.

Avance. Avance, avance encore. Des formes, à l'horizon, trois, allongées, c'est ici que tu dois aller.

Mais le pire est toujours le dernier à arriver, pour porter le coup de grâce, pour achever sa proie d'une attaque insupportable. Noms et visages s'estompent, les plus vagues, d'abord...ceux de la forêt, ceux de la mer...d'où je suis né...où suis-je né, d'ailleurs ? Je ne me rappelle pas...Haénobarbus, je suis barbe d'airain, guerrier de...de quelque chose. Qui est passé à travers les pores de ma mémoire. Je ne m'en rappellerai jamais.

Et je pleure, mais j'avance. Je dois avancer. Mon but est gravé en moi, chaque pas m'en rapproche, chaque pas est plus léger, car mes idées s'envolent, mais plus lourd, car le poids de leur perte les compense.

Je n'ai plus que des noms, et quelques visages, dans la mémoire...Yrrch...Boadicea...Alyssandre...une masse de cheveux rouges...deux yeux félins...une centauresse blanche...un elfe, une elfe, plusieurs elfes...

J'oublie. Je fuis.
Je suis arrivé.
Devant eux.
Et...

Et ils ne sont pas là. Ils auraient dû être là.
C'était écrit, gravé. C'était un fait inéluctable. Rien d'autre ne pouvait arriver.
Pourtant, ils ne sont pas revenus.
Alors, une dernière fois, une lamentable dernière fois, mes cordes vocales gémissent, à la mort et à ma mort.

Et enfin, je m'effondre, en même temps que les derniers vestiges de mon existence.

Je tente désespérément de saisir les miettes qui me restent.

Boa...Yrrch...

Je vous aimais.

Esperance is out...

In espérance? - Page 2 Nain2zc2

Haaa… Aelis.

Le son mélodieux de ta voix résonne au creux de mon oreille comme une supplique, pareille à celle des condamnés à mort face à leur bourreau, à celle de mes victimes quand mes flèches pénètrent leur poitrine, arrachant leur dernier souffle de vie. Un vrai délice.

Egoïstes, eux ?

Ce mot m’arrache un sourire, presque un pouffement de rire étouffé entre deux soupirs.
Oui, égoïstes ils sont et ils ont raison !
Raison de quitter cette existence vide de sens !
Les beuveries, les orgies… reste la souffrance, seule, chienne !
Et qui nous laissent comme des chiens, seuls à notre tour !
Restent notre conscience, notre mémoire, douloureuse, notre tourmente, affligeante !
Restent des restes !
Les restes d’une âme contrite, désespérée d’avoir donné pour se voir tout reprendre en un seul jour… jour maudit ! Que ce jour reste maudit à jamais !

Et toi, tu es là, à espérer !
A gaspiller le peu d’air que laisse passer ma main serrée sur ta gorge et pour quoi ?
Te plaindre qu’ils t’abandonnent ?
T’abandonner toi-même dans la complainte de les voir partir, de me voir fuir ?
Mais pourquoi ne rentres-tu pas dans la danse alors hein ?
Va !
Va donc les rejoindre ces pitres qui croient défier les dieux en ramenant à la vie ce qui est déjà mort !
Participe à la grande fête puisque tu sembles les regretter...

Haaaa… pas aussi simple.
Toi aussi tu es en guerre à l’intérieur.
Ta conscience se bat contre la colère et tu hésites et c’est cette même incertitude qui te cause tant de tracas.
Peut-être ta rage est-elle mauvaise conseillère. Peut-être devrais-tu y aller, courir à la rescousse.
Ou est-ce le contraire ?
Peut-être dois-tu la laisser faire, t’envahir pour de bon et aller creuser leurs tombes…

Ton visage se durcit à présent, ta main se raidit, elle pose ma paume contre ta poitrine.
Dessous, un cœur qui bat. Une vie. Un espoir.
Un rythme qui me touche, m’émeut mais qui n’est pas mien.
Je laisse ta gorge respirer, enfin et à mon tour, je prends ta main pour la poser contre moi.

Nos mains posées sur nos cœurs. Miroir menteur.
L’illusion est parfaite mais la réalité incline sans clémence.

Ton cœur bat, Aelis.

Pas le mien. Plus maintenant.

Et ce cœur qui bat, qui n’est pas mien, me fait envie.
Prendre ton cœur !
L’arracher simplement comme les pétales d’une fleur fraîche !
Arracher le rythme, la vie, l’espoir !
Détruire. Encore et toujours !
Arracher le beau pour ne plus avoir à souffrir de sa séparation.
L’on ne peut souffrir le manque quand l’on a jamais possédé, n’est-ce pas ?
Et un cœur qui ne bat plus comme le mien, jamais ne peut souffrir désormais ?

Horreur !
Terrifiante que cette pensée fugace qui vient de me traverser l’esprit !

Mes yeux plongés dans les tiens, je t’écoute. Je t’entends me demander de choisir à ta place alors que je suis là, à songer à te prendre la vie !

Stupéfaite.
Je saisis l’horreur qui se trame à l’intérieur.
Je réalise le ménage du corps débarrassé de souvenirs ! Envolée l’âme !
Je comprends le vide pour la première fois.
Ne plus aimer, c’est ne plus peiner.

Et je ne veux plus peiner.
Le choix est fait.

Combien de temps me reste-il avant que toute lueur disparaisse définitivement, avant de commettre l’irréparable ?

Mes bras t’enlacent Aelis, une dernière fois, comme pour te protéger.
Ultime signe d’humanité, sursaut de lucidité avant l’oubli et le déni.
Les mots se bousculent dans ma gorge serrée.
Sous mes yeux clos, la folie gangrène et ton visage blotti dans le creux de mon épaule.
Ta chaleur est un cadeau empoisonné.

« Pars !

Tu dois partir !

Ton cœur… ton cœur bat si fort Aelis. Je crois qu’il bat assez pour hurler au monde toute la détresse et la joie qu’il peut embrasser !

Tu… Tu dois partir… maintenant ! Va-t-en avant…

… J’ai peur de ce que je pourrais te faire, peur d’en être capable…

Si tu te contentes de les regarder, les remords te rongeront avant la vieillesse, crois moi, j’en sais quelque chose.

Si tu restes, tu meurs.

Alors pars ! Va les rejoindre avant qu’il ne soit trop tard et que je… »

Les silouettes se tordent et s'éloignent alors que les inquantations s'accélèrent.
Je les vois, je les sent... quelque chose semble être malmené. Ca va rompre...

J'entends toujours ces cries qui veulent me percer.

Un instant, je doute. Je faiblis. Mais je n'ai pas le temps de me poser des questions pour savoir si je dois m'arrêter ou continuer car une force qui me dépasse m'attrappe la main et la tend brusquement au dessus de la pierre.
Je ne peux plus bouger mon bras. Je peux seulement trembler et contracter mes doigts.
Les fils s'emmellent et les forment s'agittent, tournoient, se heurtent presque. Je peux même les entendre craquer.
Une goutte rouge et épaisse coule anormalement hors du reste du flot. Au lieu de tomber vers mon sein comme les autres, elle roule sur mon épaule puis le long de mon bras tendu.
Surprise, ma main se déserre laissant respirer celle d'Egon.
Je vois cette goutte qui avance jusque sur ma main, au bout de mon doigt... puis un petit mouvement et elle chutte. Une chute qui me semble lente. Je peux la suivre des yeux pour la voir s'écraser sur la pierre.

Alors tout accélère. Les fils spectraux se cassent, les fantômes s'échappent et se heurtent violement à je ne c'est quelle barrière qui les fait rebondir assez fort pour qu'ils s'encastrent dans les trois corps.

Je cligne des yeux. Je ne m'étais pas rendu compte que j'étais tombée en arrière. J'ai l'impression de voir une autre réalitée beaucoup plus... normale.

Assise au sol car incapable de trouver la force de me relever, je voix la peau d'une main pendante qui reprend une teinte rosée. Ca palpite à l'intérieur.

Merci, Faucheur, d'avoir guidé ma main. Je crois bien que nous avons réussi.

Mais je ne pourrais pas proffiter tout de suite de la victoire : je tourne de l'oeil, exténuée. Et enfin la bête se tait.

J'espère qu'on ne me réveillera pas trop tôt. C'est si bon, ce relachement.

Je ne veux pas partir, mais tu m’y obliges. Pourquoi? Pour t’enfuir à ton tour loin de moi, c’est ça? Qui sera le prochain à me tourner le dos? Arrache-moi le cœur de tes mains plutôt que par ton absence. Cela aura plus de sens pour moi.

Oui, il bat fort, mon cœur. Trop fort. A chaque battement, il me vide un peu plus du peu d’énergie qu’il me reste. J’ai mal. Mes genoux me reçoivent à terre. Recroquevillée sur moi-même, j’essaie de contenir ce muscle qui tente de s’arracher à mon corps. L’une de mes mains tente de le faire taire. Mais mes cotes refusent de passer outre leur rôle d’armure pour cet organe en révolte.

Je croyais avoir fait le nécessaire pour qu’ils ne fassent pas ça. Peut être pas pour Alyssandre, mais pour les deux autres… Et je suis incapable d’aider les miens à les faire revenir. Quels liens vont m’unir à ceux qui seront toujours là demain? Je ne suis rien. Le Faucheur n’est pas mon père. Et les démons reviennent. Je les vois se faufiler dans les ombres, ils se plaquent contre vos corps. Bientôt, ils seront en vous.

Noooooooon!!!

Pas eux. Pas lui. Vous n’aviez pas le droit… Vous n’aviez pas le droit d’investir celui qui m’a permis de vous affronter.

Mon cœur s’emballe de plus belle. Aidé par des flots de larmes, il m’étouffe. Puis s’éteint. Et repars lentement. Je ne regarderai pas derrière moi, pour voir si tu es encore là, Aim. Je ne lèverai pas les yeux pour m’assurer que les démons ont pris place dans ces corps. Je ne vous montrerai pas mon regard vide. Ni mon âme torturée.

Me revoilà. Je suis de retour. Je suis à nouveau celle qui errait avant de trouver refuge en ces lieux. Si la prophétie de la vieille se révèle juste, les griffons viendront bientôt me rendre mes ailes.

A ce moment, un sursaut.

Une vibration.

Un frémissement...

Un oeil qui bouge sous une paupière.

Elle a respiré trop fort, brusquement.
Elle n'a pas bougé, elle n'a pas pu cligner des yeux, de peur que ce ne soit qu'une illusion, qu'un rêve, qu'une bribe de songe éveillé.
Alors elle garde les yeux grands ouverts, et les larmes montent sous la brise fraîche qui parcourt la plaine.

Sur l'autel de pierre, le corps sans vie de Boadicea remue. Ou plutôt ses yeux, qui roulent sous ses paupières et qui distinguent des choses qu'on ne peut voir, les méandres de son esprit pour seules visions.

Est-ce que....
Est-ce que ça aurait marché ?
Est-ce qu'ils seraient de nouveau parmi nous, revenus d'entre les morts, frais et beaux comme aux premiers jours ?

Alquäloth rengaine son épée qu'elle a serré si fort à la vue du corps frémissant de Boadicea, que ses phalanges ont blanchi, et que l'acier a creusé des sillons rougeâtres dans la paume de ses main. Elle s'approche, et tout doucement, s'agenouille au pied de l'autel...

Est-ce que...
Est-ce que...
Est-ce que...

Le corps d'Alyssandre est soudain secoué de spasme.

Une longue inspiration secoue son torse.

Chaque muscle se gaine, son corps se cambre.

Agenouillée devant l'autel de quartz, son coeur bat la mesure de son effaremment, de son excitation.
Vont-ils revivre ? Vont-ils se réveiller, se relever de cette table ? Et après ? Et après...Que se passera-t-il ? Après...Mais après n'est pas encore là. Elle tremble...Alquäloth tremble....Oh oui, elle tremble.

Après le soubresaut premier d'Alyssandre, après l'oeil de Boadicea qui s'agitait sous sa paupière, il n'y a plus rien eut...Et pourtant...ses mouvements, tellements infimes, sursauts de vie, de coeur qui bat, de sang qui circule dans leurs veines, d'air qui entre et ressort de leurs poumons, ont fait naître en elle une bulle d'espoir...Elle lui monte dans la gorge, impossible de la crever.
Pas même avec, sous les yeux, la vue de leurs corps à nouveau inerte.

Ses mains tremblent, crispées sur la table de pierre.

Et elle se souvient des noms prononcés par Miw et Egon. Incantés seraient plus juste. D'ailleurs, elle ignorait que les mots " Hellëquin, Alessa, Aëdissye, Tahäl " soient des noms. Mais après avoir répétés ses syllabes dans son esprit...Alessa...Alyssandre...Juste la dernière syllabe change. Aëdissye...Boadicea...Même consonnances, cinq syllabes...Hëllequin...Arlequin...Hëllequin...Le maître des Hellequins, les pantins du faucheur !

A cette pensée, Alquäloth s'emballe, ses doigts pianotent furieusement sur le quartz pâle de la table. Ces noms seraient-ils...la réponse ?

La réponse à ses meurtres. La réponse à ses frénésies sanguinaires. La réponse à...tout, en fait. Ce qui a guidé sa vie, après son passage dans l'Antichambre des Âme Volées. La réponse...

Et leurs corps n'ont toujours pas bougé.

- Alessa...Hëllequin...Aëdissye...

Les noms ont jailli de sa bouche. Qui sont-ils ? Ceux qui empruntent les corps de Boa, d'Arlequin et d'Alyssandre. Mais leur esprit...Que sont-ils ?

Un pied dans la tombe, ça veut rien dire pour un centaure. Pour un humain, un elfe, ça signifie à l’équilibre entre le monde des vivants et le monde des morts. Une pièce est jetée, pile tu sors, face tu chutes. Cela signifie que l’on a plus totalement son destin entre ses mains, en quelque sorte. Que notre seule volonté est insuffisante. Il faut que la chance, ou une tierce personne s’en mêle.
Si j’avais un pied dans la tombe, ça m’en laisserait trois dehors. Ca voudrait aussi dire que je ne suis pas maître de ce qui va se passer dans les minutes prochaines. Donc, ce serait doublement erroné. Car je déciderai seul de mes mouvements. Je serai libre.
Situation farfelue. Je crois qu’on me prend pour un boute-en-train, un peu rêveur, un peu à côté de la plaque, souvent de bonne humeur, bien qu’un peu râleur. Pas le genre de type à faire ce que je vais peut-être accomplir. Non, ça c’est pour les hommes, les vrais, les sensibles. Pas pour les superficiels comme ce brave Sin, comme le gentil Sin. Non, le Sin, lui, il est du genre à gueuler très fort, et à oublier qu’il faisait la tronche une demi-heure plus tard, c’est évident. Ouais. Ce doit être vrai. Et en cet instant, j’aimerais plus que tout que ça le soit vraiment. Mais non, y’a un cap qui a été franchi, un truc qui s’est brisé. Crac. J’y arrive plus, à faire le joyeux luron, le bon drille qui arrive pour sortir une ânerie cent fois débitée mais dont on rit de bon cœur, et qu’on a effacé de sa mémoire dans la minute. Pas faute d’essayer, mais…y’a un truc qui coince. Non. Plein de petits trucs. Ca s’empile, ça s’empile. Des petites boîtes, des cubes, au début, ils s’alignent, alors on s’en méfie pas. Mais ces pervers, s’ils font ça, c’est pour avoir la meilleure assise possible pour grimper, grimper, grimper…et finalement, ne plus s’arrêter.
Ca me ressemble pas. Je suis un brave gars, pas un type qui fait de la poésie. Des métaphores, des images, non, sortez de ce corps, figures de style. Je suis du genre à finir sur une grosse blague. Ah ah, on se sera quand même bien marrés. Il était gentil, Sin. Bon, on va aller boire une bière, il se fait tard.
Et pourtant…je me sens…tiraillé. D’un côté, ce que je fais, je trouve que c’est pédant, inutile, c’est se donner en spectacle. C’est vouloir faire son intéressant. Superflu, gamin. De l’autre, bah voilà. Je l’ai trop fermée, j’imagine, pour pas vouloir l’ouvrir une dernière fois. Quoique, non. Si ça se trouve je l’ai trop ouverte. J’en sais rien. Mais je le fais. Parce que je suis un gros con.
Il y’a des choses qui devraient passer inaperçues. Les petites colères, les mini-rancunes, tout ça, ça se garde pour soi, ça s’épanche pas – tu vires schizo, mon bon Sin – ça s’enferme sous clé une fois le problème réglé. Je laisse de côté. Et d’autres qui ne devraient jamais pouvoir être passées sous silence. Des pertes notamment. Des disparitions. Parfois, c’est une image qui brusquement s’évanouit, pouf ! alors même qu’elle était à son apogée, qu’elle rayonnait.
Et parfois, le decrescendo est lent, douloureux ou paisible, les cas sont tellement nombreux qu’on ne peut les cataloguer trop directement. Parfois, il y’a des soubresauts, des tentatives de se raccrocher, mais rien n’y fait. Parfois, il y’a dans cette pente descendante une sorte de volonté plus forte que tout d’assumer son destin.
Et non. Ca, on zappe. On pense que c’est le passé, que maintenant, ce qu’il faut, c’est de l’avenir. On fait table rase. On ignore.
Je peux pas. Je suis un type au passé. Old school. Ce sont mes souvenirs qui font ce que je suis, les bons et les mauvais, les grands et les petits. Sans eux, je suis une coquille vide, un zombie. Sans eux, je n’aurais jamais existé. Et ces souvenirs, ce sont des êtres qui les portent, pas simplement des cellules dans un cerveau. C’est plus subtil. Tout n’est pas en moi, il y’a une symbiose, qui aujourd’hui disparaît par déséquilibre. C’est toujours la même chose : lorsqu’il y’a trop de champignons dans les racines, la plante meurt. Lorsqu’il y’a trop de souvenirs et plus assez de gens qui les portent, le Sin meurt. Oui, finalement, c’est assez logique.
Donc, le Sin meurt, oui. Définitivement, cette fois, adieu la Donneuse, t’étais une bonne copine, je te fais cadeau des dettes que tu me dois. Adieu aux trop peu nombreux qui existent encore, balayés par le « vent du renouveau », je vous souhaite une bonne continuation, vous avez la force d’exister en pointillées, moi j’aurai seulement celle de ne plus être en Majuscule. Sin meurt, Sin ne ressuscitera pas. Ni ici, ni ailleurs. Pourquoi le ferait-il ? La terre tourne sans lui. Il existera encore, oui, en souvenir, comme tant d’autres regrettées. Mon Dieu, mais Sin est un romantique, il attend que toutes soient parties pour se faire hara-kiri ? Non, il en demeure encore. Mais la balance vient de pencher trop fort du côté obscur de l’existence. Ce n’est pas une insulte pour les autres, c’est juste une occasion saisie, orgueilleusement.
Allez, c’est décidé, je vais sauter. Je suis sûr que le monde sera aussi beau vu d’ailleurs. Que ceux qui le peuplent encore lui montreront moins de mépris que ceux qui l’ont quitté. Qu’il continueront à avoir de l’Espérance. Sayonara.

Il y a eu des moments de bonheur, des moments de déception, des moments de malheur et d'autres qui sont flous à force d'avoir été trop consultés.
Il y a eu des moments qu'on voudrait graver à jamais dans son esprit pour pouvoir les regarder, sourire aux lèvres, à chaque fois que la vie nous joue un mauvais tour, mais qui s'étiolent et disparaissent comme une écharpe de brume dans la nuit.
Il y a eu des moments dont on a tellement honte, ou bien où on a eu si peur, qu'on aimerai les oublier, les recluer dans un coin de son esprit, malheureusement, leur souffle putride et désincarné nous surprend à nouveau les nuits où nous gardons les yeux ouverts sur rien, les mains cramponnées aux couvertures, alors qu'on aimerait tellement être débarrassé du souvenir de ces moments-là...

Il y a eu la joie fade et inspide, il y a eu l'ennui, il y a eu le déshonneur et la honte, suivi de la liberté farouche et hasardeuse, il y a eu l'errance puis le bonheur total et un peu oisif de celle qui ne manque de rien, il y a eu ensuite la peur, celle qui tord les boyaux et donne envie de pleurer, puis la colère, puis la rage, puis la folie, puis le retour au calme avec l'apparition de la honte et des regrets, des sanglots désespérés et du sang amer, puis il y a eu l'indifférence glacée, écrin, coquille, carapace, masque pour enrober un coeur broyé, puis il y a eu les couleurs vives et le parfum de joie à nouveau apparus, glissés par une brèche invisible, puis enfin, le bonheur total à nouveau, complet, uniforme, à satiété...

Et là, depuis quelques heures, se sont succédés l'incompréhension, la peur, le désespoir et les cris éplorés, puis le soulagement temporaire que donne l'effort, la sueur, la respiration précipitée, un pas après l'autre, toujours, puis l'espoir qui fait mal, puis le déchirement à nouveau...

*
***
*

- NOOOON !

A plat ventre au bord de la falaise, je scrute les profondeurs marines dans lesquelles tournoie une nouvelle forme. Grande et quadrupède. Yeux grands ouverts sur une totale incompréhension. ils ne peuvent plus cligner. Ils ne peuvent pas cligner. Les larmes ne peuvent plus couler, même si elles me ravagent de l'intérieur.

J'ai quitté l'autel où reposent les corps. Ils n'ont plus bougé depuis le dernier frémissement. Ce n'était peut-être qu'une illusion d'optique, je voulais les voir vivre, alors je les ai vu vivre, pendant une fausse seconde, une seconde d'espèrance...Et maintenant, ils sont immobiles, aussi froids que la pierre sur laquelle ils dorment, et Sin qui tombe aussi, qui tombe, qui tombe...

- Non...Sin...Non...

Je peux pas le croire, je ne le croierai jamais. Pourquoi...Je comprends plus. Plus rien. Tout ce que je vois, c'est le grand corps brun d'un centaure qui était mon ami tomber lourdement dans les profondeurs de la falaise. Se briser sur les rochers. Être broyé par l'eau. Glisser vers la mer au rythme du courant. Disparaître.

Qu'ils pleurent, les ignorants qui verront son corps dériver lentement au gré des remous, dans le lit d'une rivière dans laquelle ils pêchent la friture. Qu'ils ne rient pas de la vision étrange d'une imposante masse brune
qui se fait transporter par une matière si fluide, si légère, que l'eau. Qu'ils pleurent, qu'ils hurlent, en prière à lui.

- Sin...Sin...Reviens...Sin, où es-tu, reviens...Sin...

Les larmes finissent enfin par arriver. Je n'aurai pas pu les retenir plus longtemps. Elle glissent, irrégulièrement, sur mes joues déjà brûlantes d'avoir trop pleuré. Je tremble de tout mon corps, sans véritables sanglots, c'est pire, je hoquète, frémis violemment, crie à moitié, j'ai très mal à la gorge, aux joues, aux paupières, j'ai très mal au coeur...

Sin, pourquoi l'a-t-il fallu que tu pose cet antérieur droit dans la falaise...Après l'un, tout le reste a suivi. C'est injuste, si injuste...Sin...