Où êtes vous? Ici.

Un arbre
Un Arlequin perché
C’est dans l’ordre des choses ? Peut-être.

Cette fois-ci, j’avais oublié mes casseroles aux vestiaires, ou bien je ne sais plus. Je savais la rencontrer ici, c’est son domaine, un domaine esseulé, morose, un peu triste, un peu maculé de mélancolie.

Je connais le son enchanté de sa flûte, j’y ai lu les entre mots, j’ai entendu son cri.
Je suis là pour elle, pas la flûte.

Perché sur mon arbre, j’attendrai, le temps qu’il faudra.

Perché, oui perché, en culbute et a califourchon, et puis après ! Je suis ainsi, et je ne changerais pas pour si peu, d’ailleurs pourquoi le ferai-je ? J’ai tenté de chasser ma nature propre au jeu, tous les jeux, ce fut une expérience que je quitte sans regret. Certains ne comprennent pas, d’autres suivent emprunts des mêmes convictions.

C’est dans les arbres ou marchant sur les toits à la tombée du soir, que je respire, que j’exprime le moi-même, et si ce n’est pas le meilleur, ça n’est pas le pire pour autant.

Et toi, chaton, je te vois !

Que fais-tu ici ?

Que cherches-tu ?

Tu meurs beaucoup d’après ce qui se dit, et ce qui se dit, n’a pas l’air de se tromper même si je ne crois guère les « on dit » et que je préfère les laisser à une place de choix, dans la boue.

Mais pourquoi cette tristesse ?

C’est vrai… j’ai dit de toi, que tu es une « pleurnicheuse ». Et c’est faux ?

Parles-moi chaton, je suis la voix des incompréhensions et je suis ici pour les dissiper et te tendre la main, peut-être y déposerais-je, plus tard, un baisé et peut-être qu’alors, tu souriras de ce baisé.

La forme cotonneuse de Caramiel était vaguement apparue dans la pénombre de la caverne.
Elle regardait fixement Arlequin.

« Pleurnicheuse ? Je suis une pleurnicheuse ? Dites moi, Joli Bonnet, quelle puissance céleste vous permet de m’affubler de ce titre ? Qu’ai-je donc fait pour mériter ce si charmant sobriquet ? Pleurnicheuse ? Je serai la pleurnicheuse ? La petite fille trop gâtée par papa maman et qui ne supporte pas la moindre contrariété ? La chouineuse qui ne sait pas réagir autrement qu’en versant des larmes de caïman ?

Quel fin psychologue vous êtes pour avoir si facilement réussit à me percer à jour !

Vous voilà dans cette grotte sordide avec l’intention affichée de me tendre une main ? Et vous parlez de baisers ? Vous êtes bien un homme. Et du plus loin de ma mort, je vois bien que vous avez tous les mêmes obsessions, les mêmes raisonnements à l’emporte-pièce la même façon de penser tout savoir mieux que les autres. Tenez, c’est simple, vous allez finir par me faire penser à Feraenor…

Tssss... j’ai la sensation que vous êtes plus venu ici pour me narguer de vos saillies que pour autre chose. Je suis morte et même morte, je ne connais pas de repos, je reste assaillie.

Monsieur, si vous êtes là pour pérorer sur mon sort et ma bêtise, faites le tout votre saoul, peu me chaut.

Oui je suis morte et oui je n’en fini pas de mourir. Alors si vous possédez une bonne lame d’argent qui pourrait trancher ce qui me rattache encore au monde, n’hésitez surtout pas, coupez !

Oui je suis morte désespérée, comme une gourde oui, comme une dinde stupide qui amoncelle les âneries et les erreurs. Alors, vous voyez, me tendre la main… quelle bonne blague ! »

"Epuisée… oui c’est cela… Je suis vide. Je n’arrive même pas à me mettre en colère noir contre vous et à vous envoyer paître. La mort n’est pas un refuge savez vous. Regarder ainsi les vivants, de loin, et ne réussir à interférer avec eux qu’en surface…

La plupart du temps, je ne les intéresse d’ailleurs pas. Certains, certaines, vont jusqu’à m’ignorer, feignant de ne pas croire aux fantômes. D’autres préfèrent m’accuser, me fustiger du choix que j’ai fait. On me reproche tour à tour de n’être qu’une pleureuse, et je ne parle pas que de vous, on me dit que je mets de la mauvaise volonté, on me fait comprendre que mon désespoir et ma souffrance ne font que m’enlaidir et me rendent fade et inintéressante.

Comme si je le choisissais. Comme si j’avais eu le choix. Tout s’est déroulé comme dans une mauvaise histoire de quatre sous racontée par un ménestrel ivre et bègue. Des répétitions, oui, dans les erreurs et les chutes. Et là… dépenaillée, lorsque je rencontre enfin des êtres lumineux, rayonnant qui me font entrevoir la vie sous un autre jour tout s’écroule de nouveau. Et en s’effondrant, m’emmène. Je suis sous les décombres, loin dessous. J’ai erré un moment et cherché un refuge. J’ai espéré, mais bien je me suis rendu compte à quel point ma présence n’était pas désirée. A quel point j’étais incongrue, presque indécente. Partout où j’allais, je ne trouvais nulle place, nulle réelle place.

Mais pourquoi est-ce que je vous raconte cela… laissez je suis morte, ne venez pas écouter les lamentations ridicules et infondées d’un esprit tordu et fade… partez, partez avant que je ne vous ensevlisse sous mes jérémiades…"

Partir ? Quelle idée ! Et vous laisser ici, sans corps et l’âme hagarde ? Ce serait digne des suppôts de l’ignorance, et j’ai beau y réfléchir, je ne vous trouve ni ennuyeuse, ni fade d’ailleurs.

Egarée, oui à l’évidence.

Qui sont ces êtres de lumières qui vous ensevelissent avec eux ! Les ignorants...

Petit chaton égaré… elle est touchante, et son regard semble s’être perdu sur des chemins bien compliqués. Je n’ai que peu de chose à lui offrir, quelques mots par-ci, un sourire par-là.
Je reste décontenancé par ses propos, pas impuissant, non, mais surpris de tant d’errances inutiles et toutes vaines, sans queue ni tête ; pure folie que de suivre aveuglément des lumières, et c’est vivre dans l’ombre, caché, fané…

Prends ma main !

Viens ! Suis-moi au grand jour !

Vis et re-vis ! Arrêtes de vivre dans l’ombre des autres, et regardes devant toi, pas qui est, devant toi…

Sans perdre un instant, pressé qu’elle ne perde plus un seul de ces instants précieux et si rares, qu’il ne faut plus en laisser passer, je prends sa main et saute de l’arbre lestement, l’entraînant derrière moi. Et je cours hors de la grotte, au grand jour, là où le soleil lui rendra ses couleurs, là où ses couleurs sortiront de l’ombre pour éblouir et étinceler, là où elle ne vivra plus sous couvert de lumières qui ne sont pas d’elle, pas à elle, et qui l’étouffent et fanent son regard qui ne demande qu’à respirer.

Dehors, je m’arrête et la regarde un instant, le temps qu’elle retrouve la vue, les odeurs qui viendront bientôt lui chatouiller le nez, et peut-être la faire sourire de tant de délicatesse.

Souris ! Renais des cendres et laisses ces lumières à leur propre destin, le tiens est là ! Devant toi ! Regarde ! Sens ! Touches !

Joues-moi un air sur ta flûte de bois, un air heureux ! J’ai envie de rire et sourire, parce que tu riras et que tu souriras.

Fais chanter ta flûte et sèches tes larmes.
Maintenant, je peux te tutoyer.

*Ses mots sont doux et piquants à la fois. Il réussit à la consoler
et à la provoquer dans le même temps. Qu’est-ce qu’il lui prend, à ce
tout-blanc de lui dire cela ? Ne devrait-il pas plutôt rester dans son
rôle caustique ?





Elle se pose trop de questions, mais sa tête, elle ne la
contrôle pas. Les idées s’y précipitent et viennent se cogner contre les parois
trop exiguës de sa caboche de bois. Elles passent et repassent dans une
sarabande infernale où le noir succède au noir, où les démons ressortent sous
leurs visages les plus avenants.





Memnoch, qui l’a recueilli dans ses bras et dit l’aimer,
mais n’est-ce pas plutôt le désespoir qui la pousse à se raccrocher à plus
désespérée qu’elle ? N’y a-t-il pas dans cet amour déclaré une illusion
complète de ce qu’est Caramiel? Elle veut la sauver, mais qui dit qu’elle le souhaite ?
Sauvée… mais pour quoi, pour qui ? Et d’ailleurs il faudrait qu’il y ait
encore quelque chose à sauver. Et il faudrait encore que le retour à cette vie
infecte permette de changer quelque chose, de modifier le cours du temps…
Revenir pour Memnoch ? On ne peut pas voir les choses ainsi. Revenir
uniquement pour que Memnoch sèche ses larmes est une tromperie, un pacte de
dupes. Revenir et rencontrer Memnoch, oui, apprendre à se connaître,
certainement. Et il adviendra ce qu’il adviendra.





Anog. Cette incroyable femme est troublante. Ses bras
l’attirent et lui font peur. Anog ne lui est apparue que deux fois, et ce fut à
chaque rencontre un moment étrange, une sphère hors du temps. Anog est
séduisante, Anog est attirante, sa sauvagerie affichée fait d’elle un être
étrange. Mais Anog n’est plus. La louve s’est retirée. Alors revenir dans un
monde sans Anog, quel intérêt ? Mieux vaudait rester dans les Limbes pour
espérer y cueillir quelques bribes d’elle plutôt que revenir et ne trouver que
les traces froides de son passage.





Trompe La Mort, celle pour qui Caramiel voulait offrir sa
vie, et celle qui l’a refusée. Que dire de ce sentiment étrange quand on croise
le regard de TLM ? Cette fillette, cet incroyable être profondément humain
est autre chose. Emouvante, certes mais surtout belle, déchirée, brutale et écorchée.
Trompe La Mort n’a jamais cessé de se railler de Caramiel, elle la fustige,
ridiculise ses choix et crache sur ses dons. Mais Trompe La Mort reste
quelqu’un à part. Revenir pour découvrir Trompe La Mort ? Pourquoi pas.
Revenir pour se heurter au mur de ses sarcasmes, voilà un défi.





Wise Dawn, majestueuse femme. Resplendissante Altesse. Avant
même de la
connaître Caramiel l’aimait. Et son contact n’a fait que
renforcer ses sentiments. Mais Wise Dawn a offert son cœur à un autre, à un
homme qui pis est. Alors ne serait-elle rien d’autre qu’une femme de plus à
crouler sous le joug des mâles
arrogants ? Wise Dawn. Elle lui a offert les derniers morceaux de son
amour et ils se sont fracassés sur le mur de la réalité. Wise Dawn,
revenir pour elle, oui, c’est certain. Mais revenir pour contempler de plus
près encore ce spectacle écoeurant d’amoureux de collège. Non, voilà qui serait
insupportable, insurmontable.





Gwenwyfar. Superbe prêtresse au cœur d’airain. Caramiel n’a
jamais compris ce qui la rendait si forte. Elle n’a jamais compris cet amour
pour Danador qui semble pourtant vrai et fort. Gwenwyfar, prêtresse d’Artémis,
la seule de ses sœurs qui lui soit venu en aide. La seule de ses sœurs qui ait
essayé de comprendre ses raisons sans l’accabler de reproches. La seule de ses
sœurs à être présente. Revenir pour Gwenwyfar ? Non, ce serait une cruelle
déception pour la prêtresse que de voir l’état de délabrement de Caramiel. Ce
serait trop cruel de les voir s’opposer, ce qui serait inévitable, sur le
terrain de la religion, des hommes et de la vie en général. Mieux valait que Gwenwyfar
soit triste plutôt que déçue.





Boadicea, elle l’avait rencontré rapidement. Et la centaure
lui avait fait un effet très particulier. Un mélange de désespoir contenu, de
douceur généreuse et d’aura bienfaitrice. Boadicea, elle aurait aimé la voir,
la rencontrer vraiment, partager quelque chose… Mais revenir pour quelqu’un qui
l’avait certainement déjà oubliée ? Rajouter au fardeau que devait portait
la belle centaure le propre fardeau de Caramiel. Non, ce serait mesquin et
vain. Mieux valait que Boadicea l’oublie.





Et cet étrange Arlequin ? Lui aussi avait son lot
d’étrangeté. Lui aussi apportait avec lui une ambiance très particulière. Il
survenait n’importe comment, plus incongru qu’une paire de moustache sur le
visage d’Artémis. Et dans des torrents de poésie frelatée, il réussissait à
enrober ses interlocuteurs de mots aimable et cruels. Et curieusement, c’est
lui qui avait franchi le seuil du Hinan. Lui seul. Lui, un
« méchant », un suppôt des forces maléfiques, un doigt de la main du Faucheur.
Lui un homme dans toute sa masculinité. Il la berçait de mots qu’elle aurait
voulu croire. Il développait autour d’elle tout un arsenal de voiles
attrayants.*











Il l’avait prise par la main et avait sauté. Avant même de
pouvoir réprimer un frisson de dégoût à l’idée d’être touchée par une main de
couillu, Caramiel avait été entraînée. Il avait réussit à capturer cette main
frêle et éthérée et l’avait emmenée. Dehors. A l’extérieur.





La lumière était trop vive, l’air trop frais. Les rayons du
soleil perçaient la forme fantomatique de la félys et la traversaient sans
laisser d’ombre sur le sol. Elle n’appartenait pas à l’Au-delà, mais elle
n’était plus non plus de ce monde. Sous les morsures du soleil, la silhouette
de Carmiel semblait si ténue qu’un passant ne l’aurai pas remarquée. Sa voix
elle-même semblait provenir de très loin.





« Je ne comprends pas Arlequin, que voulez-vous de
moi ? Je ne suis pus rien ici, si tant est que j’ai été quelque chose. Je
regarde devant moi et je ne vois que du blanc. Un blanc désert et mort. Je n’ai
plus de larmes à sécher, et tout n’est que cendres sous mes doigts. Vous me
poussez à revivre, à redécouvrir le plaisir de fouler les Terres d’Argent. Je
vous en sais gré. Mais je ne trouve pas la force d’en avoir envie. Je ne suis
pas assez forte pour trouver en moi les ressources nécessaires. »

Je la regarde, transparente, refuser désespérément d’exister autrement que par les autres, mais par qui transparaît tant de douceur, la même douceur que j’ai entendu dans ses mélodies, au son d’une flûte toute simple, faite d’un bois sans prétention. Une mélodie triste, mais si jolie qu’on ne peut que s’y attacher sans perdre une note.
Et plus j’entends ces notes chanter dans ma tête, plus je réalise qu’elle se trompe encore et encore, et sur tous ces êtres qui semblent lui tourner le dos, pourtant, je suis là, sa musique en tête et son minois qui ne devrait plus jamais rester dans l’ombre.

Et s’ils n’étaient tout simplement pas fait pour toi ? Et si ton destin était ailleurs qu’auprès d’eux ?

Et puis, tu m’agaces !

Personne n’est fait pour s’agenouiller indéfiniment devant l’indifférence ! Relèves le menton et redresses les épaules !

Passant devant elle, je saisie ses hanches et les serre pour les faire rebondir, puis j’emprisonne ses épaules et les rehausse fermement, pour ensuite la faire tourner sur elle-même comme une danseuse gracieuse et merveilleuse.

Voilà, c’est mieux, tu reprends une allure séduisante, encore quelques rayons de soleil et ton visage respirera à nouveau !

Cesses de pleurer sur la vie qui frappe et amuses-toi des coups esquivés, et si un désespoir passe par ici, botte-lui ses artifices de vices et reprends ton dû, le droit à la vie, le droit d’être libre des autres.

On voyait bien qu’Arlequin faisait tout pour la rendre plus gaie, pour lui redonner une forme humaine… mais il n’agissait que sur une marionnette, une poupée, un reflet de Caramiel.

Mais il avait réussit en quelques répliques bien senties et en trois coups de main ce que d’autres ne réussiraient en cent ans. Il l’avait redressée, il lui montrait un chemin.



Mais son doigt pâlissait à vue d’œil. Il s’étiolait doucement et sa blancheur laissait place à une transparence du plus mauvais effet…

Alors c’était cela… il s’était joué d’elle, l’avait poussée dans ses retranchements jusqu’à ce qu’elle entrevoit une ouverture et il disparaissait. Ses discours n’étaient que du vent ? Il était incapable de mettre en pratique ce qu’il lui prodiguait ? C’est donc que rien de ce qu’il disait n’avait la moindre valeur. Du flan, une plaisanterie. Cruelle.

Elle ne pouvait s’empêcher de crier au vent qui dispersait les derniers contours de la silhouette de l’homme en blanc.

« ARLEQUIN ! Alors vous vous êtes gaussé de moi ? J’espère que vous avez bien ri ! J’espère que cette farce vous a amusé. J’ai failli vous croire, détestable bouffon cynique. Alors oui, partez, disparaissez, vous m’avez bien eu avec vos salamalecs sur la vie.

Tu m’avais dit, Arlequin, Cesses de pleurer sur la vie qui frappe et amuses-toi des coups esquivés, et si un désespoir passe par ici, botte-lui ses artifices de vices et reprends ton dû, le droit à la vie, le droit d’être libre des autres.

Alors, que dois-je en conclure ? HEIN ? »

Des larmes blanches coulaient sur le visage rageur de Caramiel. Il lui en voulait de l’avoir trahit alors qu’il avait réussit à faire renaître une envie, un désir de vivre. Et il lui prouvait le contraire. Qu’elle n’était qu’une cruche, une gourde de croire ainsi la rhétorique d’un beau parleur.